Samedi matin, vers huit heures. Le soleil brille, déjà haut dans un ciel d'azur que pas un nuage ne vient troubler. Les étudiants ont terminé leurs examens la veille, et au tomber de la nuit est montée une grande clameur, mélange de rires et de cris, de chants et de rythmes. La jeunesse soudain libérée de son fardeau d'étude a plongé avec impatience dans la tiédeur de juin, embrassant avec ardeur l'été enfin déclaré.

Le soleil brille, haut dans le ciel, tandis que les membres du syndicat étudiant terminent de monter, au bord de l'étang, les tentes blanches sous lesquelles commencera à la mi-journée le traditionnel festival qui clôt chaque année étudiante. Les groupes de musique se succèderont sur la scène principale, des jeux de plein air ont été préparés. A la buvette, on a démarré le générateur qui alimente les frigidaires, et on commence à cuire les hamburgers en préparation de l'assaut que donnera dans quelques heures une foule affamée. Une poignée d'irréductibles, encore sous le choc de la nuit qui vient de s'achever, observent d'un oeil éteint leurs camarades s'affairer, tout en piétinant mollement autour de l'étang comme des grenouilles décérébrées,

Le soleil brille, haut dans le ciel, tandis que montent dans le lointain les coups de marteaux des derniers préparatifs. Au bas de la tour Dalton, sous le couvert ombragé des arbres, les merles jouent dans l'herbe humide. Un écureuil grimpe agilement le long d'une poubelle, dans laquelle il disparaît. Une pie se détache d'une branche, plonge dans la pénombre, amorce son vol mais change soudain d'avis et se pose. Un objet brillant, au pied du bâtiment, vient d'attirer son attention. Elle sautille en direction de l'éclat, entrecoupant sa série de bonds de courtes pauses, à l'affût d'un traquenard. Soudain. rassurée, elle termine sa course d'un coup d'aile.

Le soleil brille, haut dans le ciel. Au pied de la tour Dalton, une pie pique du bec un morceau de verre, puis un autre, puis encore un autre. Déçue de s'être fourvoyée, elle s'interrompt, immobile, la surface noire de son oeil renvoyant l'image déformée du corps désarticulé d'une jeune fille. Dans un claquement d'aile, la pie s'élance et disparaît.

* * * Une jeune fille s'est jetée du haut d'une des tours du campus samedi dernier. Il y a des gerbes de fleur, juste à l'entrée, au pied d'un arbre. La police a rejeté la piste criminelle (enfin c'est ce qu'on nous a dit). Apparemment, la jeune fille aurait été sous l'influence de stupéfiants (c'est ce qu'affirme ma source 1, qui fait partie du personnel de surveillance/assistance du campus), et il y avait beaucoup de bruit cette nuit-là dans cet appartement (selon ma source 2 qui habite à l'étage où a eu lieu l'incident, mais il faudrait confirmer l'heure exacte), appartement qui n'était pas celui de la victime (selon ma source 1). Suicide, probablement, mais sous l'effet de drogues, cela peut-être le résultat d'une simple erreur de jugement, d'un mauvais trip. Cela peut aussi être un acte de groupe (il faut une certaine force pour briser une fenêtre), possiblement un accident bête. En saura-t-on plus ? La direction de la fac ne fait pas de zèle dans cette direction. A l'heure de la réception des dossiers pour l'année prochaine, on la comprend. Un rassemblement est organisé demain pour se recueillir, il y aura des sandwiches. Le cynique en moi jubile. Je vais m'abstenir.