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Claudia
Bar grec, vendredi soir dernier. Je carbure à l'eau douce, mon estomac ayant le mal de mer (le dîner ayant été bien arrosé). La musique est trop forte, l'air trop enfumé, et je m'ennuie un peu, comme toujours. A côté de moi, Claudia (en psycho aussi, comme le reste de la bande hormis Mario, Thomas et moi), que je connais vaguement pour l'avoir déjà aperçue à quelques soirées il y a deux ans. Je lui roule une cigarette. On échange quelques sourires. De temps à autres, elle lève vers moi des yeux où je lis une étrange intensité. Bientôt, c'est la guerre.

Un premier glaçon me descend le long du dos. Je me débats, mais Andrea et Sophie viennent à la rescousse. J'arrive à récupérer quelques munitions, et riposte. On se presse au bar pour obtenir de nouveaux verres d'eau, et c'est désormais une affaire personnelle entre Claudia et moi. Après plusieurs tentatives infructueuses pour essayer de la conserver dans la glace (ses cheveux bloquant tout accès à l'encolure de son T-shirt, sauf devant, mais ça serait déplacé), je passe au plan E, comme « éclaboussure ». Une guerre sans merci se livre entre nos deux camps respectifs. De temps à autres, j'attrape sa main pour parer une frappe aérienne, et pendant quelques instants, nos regards se soutiennent, et j'en oublie le temps. Ou bien elle se débat, et je la fais prisonnière de mes bras, et même si c'est un combat, de sentir ses cheveux tout près de mon visage, ou bien sa joue contre la mienne, cela est étrangement agréable. Elle commande un autre verre d'eau, et comme je suis sur le passage, se colle contre moi. D'ordinaire, je me sentirais mal. Sentir la poitrine d'une fille m'est d'habitude vraiment embarrassant. Mais là, cela ne me dérange pas. On fait une pause, on danse un peu. De retour au bar, elle m'écrase un pied. Je réponds sans attendre. On saute ainsi d'un pied sur l'autre pendant quelques minutes, puis j'allume une cigarette, qu'elle m'emprunte à plusieurs reprises. On essaie de parler un peu, mais les mots se noient dans les décibels. On retourne donc au regards. Parfois, il y a dans ces yeux comme une question, une demande. Quelque chose que je trouve très joli. Je me sens bien, soudain. Mon estomac s'est calmé, et j'ai curieusement confiance en moi. L'impression de la connaître depuis longtemps, alors que c'est la première fois que je la cotoie, et qu'on n'a échangé que quelques mots jusque là. Un type vient lui faire la conversation, je me tourne et discute avec Sophie. Appuyé contre le bar, mon bras touche celui de Claudia et c'est une sensation douce. Tantôt je bouge et son bras revient chercher le mien, tantôt c'est elle et c'est à mon tour de rétablir le contact. Comme si, brusquement, on était liés. Et, je ne puis le nier, il y a quelque chose qui passe. Que ce soit par les yeux, ou par la peau, il y a quelque chose. Je ne peux pas dire que je la trouve jolie, mais je lui trouve quelque chose. Quelque chose de différent. Quelque chose de familier. Dans sa façon de se comporter, dans la manière dont elle répond à mes taquineries. Je suis aussi surpris que ravi : j'ai confiance. En moi, en elle, en le fait qu'il y ait quelque chose qui nous rapproche, même si je suis incapable de mettre un mot dessus. Je sais que le gars qui papote avec elle perd son temps. Je sais que les autres nous jettent des regards en coin depuis un moment. Je sais que la nuit n'est pas finie, et qu'on a tout le temps. Et c'est fantastique. Moi qui suis d'ordinaire tellement gêné, je me sens bien. C'est une première que je savoure.
Le bar se vide un peu, et l'on a la place de danser. Pour faire rire les filles, Mario et moi partons sur un tango dans un corps à corps endiablé. Puis Mario invite Sophie, Jane danse avec un inconnu, et c'est tout naturellement que je vais chercher Claudia. En y repensant, j'avoue que cela était surprenant. Jamais, ni de cette année, ni même des précédentes, je ne me souviens avoir eu le courage d'inviter une fille à danser. Mais là, pas besoin de courage, parce qu'il n'y a plus de peur. Tout me semble facile. J'ai confiance en elle, à cause de ce courant invisible qui circule entre nous. On danse, puis l'on retourne au bar. Avec des pailles, je fabrique une couronne, que je mets sur sa tête. Fatiguée, elle s'assoit par terre, et joue à défaire mes lacets. Que je refais. Qu'elle redéfait. C'est comme si, d'une certaine façon, on appartenait l'un à l'autre. Comme si, je réalise brusquement, on était ensemble depuis longtemps.

On finit par y aller. Sur le chemin du retour, Claudia et moi tapons dans un paquet de cigarettes vides, lui faisant traverser Birmingham. Je voudrais qu'il n'y ait qu'elle et moi. Je voudrais l'embrasser. Mais une part de moi sonne l'alarme. Tout cela va trop vite, beaucoup trop vite. Une part de moi le veut, veut reprendre ses mains, caresser ses cheveux, profiter de l'excuse d'un glaçon pour la toucher. Mais une part de moi sent que c'est un chemin important, et qu'une fois sur la route, on ne fera pas demi-tour comme cela. « On est responsable pour toujours de ce que l'on a apprivoisé ».

Arrivé au campus, tout le monde va se coucher, hormis Sophie, Claudia et moi, qui restons à bavarder dans la cuisine en attendant que le jour se lève et qu'elle puisse rentrer chez elle. Chaque fois que nos regards se croisent, on se sourit. Complicité. Voilà le mot que je cherchais plus haut. Nous partageons quelque chose que les autres ne voient pas, dont nous deux seuls sommes conscients. A 8h30, on peut enfin y aller. Sophie nous raccompagne jusqu'à la grille, et il n'y a plus que Claudia et moi, dans le jour naissant. Nous sommes trop fatigués pour parler. Alors on marche sans rien dire, conscient qu'il faudrait pourtant dire quelque chose. Profiter de l'élan de la soirée pour enchaîner sur ce qui semble naturel. Pourtant, j'hésite. Et si c'était simplement l'effet de l'alcool ? Et si demain je changeais brusquement d'opinion à son sujet ? Devant chez moi, appuyée contre son vélo, elle me dit au revoir. Et me remercie de lui avoir tenu compagnie. Je dis non, qu'elle se trompe, que c'est moi qui la remercie. On se sourit, encore. Puis d'un geste de la main, on se donne congé.

J'ai trois heures de sommeil à prendre avant la répétition. Dans ma tête flotte l'image de Claudia et je visionne en boucle le film de la soirée. Claudia a un vélo. Une fille appuyée contre son vélo. Je crois qu'il y a une lueur d'espoir. Dans la glace au matin, j'ai encore mon sourire. J'ai oublié de l'enlever pour dormir (et de le mettre dans un verre d'eau – avec glaçons). Une belle journée commence.

Ecrit par Barjac, le Mercredi 15 Décembre 2004, 06:18.
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Commentaires
Le 15/12/04 à 06:45
J'ai beaucoup aimé la facon dont tu nous as fais partagé ta soirée =) J'avais vraiment l'impression d'être dans ce Bar... j'aurais voulu danser ;)

Il me tarde de connaître la suite =)
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Le 31/12/04 à 21:21
Chère MissDarkness,

Merci pour ce commentaire qui m'honore; et pardon pour le retard avec lequel je réponds ! J'ai moi aussi aussi beaucoup apprécié le temps passé dans ce bar, mais de là à y donner suite, c'est un tout autre problème. Partager l'instant fut agréable, entre autres parce qu'un instant possède toujours une fin qui n'est jamais bien éloignée. La suite, la suite serait une responsabilité que je ne me sens pas prêt à prendre (ou dit autrement : je n'ai pas pour Claudia de sentiments justifiant de prendre un tel engagement). Je doute donc que cette histoire possède une suite (mais sait-on jamais, la vie nous joue parfois des tours). Ce qui ne m'empêchera de conter ici d'autres soirées. :)

En te souhaitant bien du bonheur pour l'année qui approche à grands pas,

Barjac
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Le 16/12/04 à 10:49

J'adore vraiment ta façon d'ecrire, de nous faire partager tes émotions, tes sensations, tes pensées, avec autant de justesse et de relief !

Ta façon de vivre les choses aussi, simplement.

Je n'aurai qu'un petit 'reproche' à te faire: tes textes sont trop addictifs !!! ;) Tu devrais vraiment faire un effort pour être moins bon ! Pense à nous, à moi... Te lire me manque trop toutes ces longues journées où tu nous laisse sans nouvelles. C'est qu'on s'attache... Je reverais que tu redevienne aussi prolifique que tu le fut à une époque et qu'on puisse profiter à nouveau pleinement de ton inestimable talent. Mais ce que tu nous donnes est déjà beaucoup et je t'en remercie du fond du coeur !

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Le 31/12/04 à 21:22
Chère (ou cher ?) GreatExpectations,

Voilà un commentaire particulièrement touchant ! Je suis ravi que mon récit ait pu te plaire. Je n'aurai qu'un petit 'reproche' à te faire (hum, le plagiat est-il décelable ?) : avec de tels commentaires, je vais finir par embrasser mon propre buste matin et soir ;) Je tâcheré à la venire d'être moin bons, c promie. En attendant, il faudra continuer de faire avec le tout-venant. Et rationné, comme tu le remarques fort justement. C'est le problème quand j'ai du boulot : je n'ai plus le temps d'écrire à côté. Non que je bosse, en fait, mais pour la conscience, faire quoi que ce soit d'autre serait désastreux. Mais je tâcherai de faire des efforts, ne serait-ce que pour essayer d'être à la hauteur de tels commentaires !

En te remerciant, et avec mes meilleurs voeux pour l'année qui débute dans 5... 4... 3..., bientôt quoi,

Barjac
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Le 01/01/05 à 06:11

cher en fait... ce qui te sera confirmé par le commentaire que j'avais laissé à ton article "Femmes, belles du seigneur ?" grâce auquel j'ai decouvert ton journal.

Quant à ton reproche, j'avais conscience, au moment de l'ecrire, des repercussions éventuelles de commentaires comme le mien, qui bien que sincères, peuvent avoir aussi un effet contraire à celui recherché en participant à tarir la source de ton talent, qui trouve ses racines notamment dans tes questionnements et tes doutes, qui sont selon moi une richesse. La vanité est rarement la muse de créations sincères, simples et profondes. Mais je pense que tu es encore loin de cet ecueil, et que je peux donc encore souffler un peu dans tes voiles sans risque. ;)

Très bonne année à toi.

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Muse -
Le 17/12/04 à 07:38
Oui, merci Barjac.
Répondre à ce commentaire
Le 17/12/04 à 08:49

Il va falloir que tu vives moins pour écrire plus Barjac, on sent le paradoxe :)

Bien à toi !

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Le 31/12/04 à 21:23
Très juste, mon cher Songe. Fort heureusement, je suis bien trop fainéant pour jamais me plier à une écriture forcée qui mettrait le naturel en danger. Je n'écris que lorsque le coeur m'en dit, c'est à dire quand la muse est d'humeur (et tu connais certainement, pour les avoir toi aussi fréquentées, les muses : il y a quelque chose d'italien dans leur maîtrise du caprice...). Enfin, il est rassurant de se dire qu'il faut peu pour écrire beaucoup : tout est dans le détail, n'est-ce pas. L'on pourrait s'étendre des heures sur un simple regard accroché au coin d'une rue blonde :)

Bien à toi, ami. Et, avec mes excuses pour le retard (je mets tout dans la même carte, j'économise un timbre ;)), je t'adresse mes voeux les meilleurs pour l'année qui va bientôt commencer : santé, bonheur, amour... (tourte sortant du four, raviolis aux gruyère et flan pour le dessert !)

Barjac
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Le 31/12/04 à 21:23
Non, Muse, merci à toi. C'est parce qu'il y a des gens pour laisser des commentaires comme ceux qui enluminent cette page qu'écrire est un plaisir. C'est donc à moi de vous remercier de me donner ce plaisir.

En te souhaitant que l'année qui arrive t'apporte tout ce dont tu auras besoin et un peu plus,

Barjac
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