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« In bed with Beckham »
Non, il ne s’agit pas d’un calendrier de nus pour une cause caritative, comme nos grands sportifs en ont le secret.

Il ne s’agit pas non plus de la biographie scandaleuse de quelque maîtresse délaissée par la star anglaise, n’hésitant pas à traîner sur la place publique le linge sali par les tendresses du bel apollon, pour y assener rageusement le battoir (car c’est encore en lavant à l’ancienne que l’on éclabousse le mieux).

Il s’agit encore moins d’une émission de télé-réalité mettant en scène la vie intime d’un des hommes les plus admirés de la planète, nouvelle version du Bachelor avec un coq tel (notez le calembour) que son aura audiovisuelle, ajoutée à la folie qui ne manquerait pas de gagner la basse-cour, ferait battre tous les records d’audience depuis qu’à l’écran, l’homme posa la main sur la lune.

En réalité, c’est avec ce titre en clin d’oeil à Madonna [1] que s’ouvre le dernier article du magazine Time de cette semaine, dont le sujet n’est rien moins qu’un voyage plutôt original dans l’intimité du beau David. S’expose en effet à la National Portrait Gallery de Londres un portrait vidéo du footballeur signé Sam Taylor-Wood, d’une durée de 67 minutes, et dans lequel ce David (titre original de l’oeuvre) des temps modernes se livre sous nos yeux à l’activité la plus excitante qui soit : dormir. Filmé à hauteur du lit, dans la pénombre d’une petite chambre bleue d’hôtel, le Dieu du stade dort, le visage et le haut du torse dans une lumière douce, le reste noyé dans l’obscurité (et de toutes façons, sortant de l’écran). Autour de ce bel au bois (du lit) dormant, un demi cercle de femmes, silencieuses, contemplent.

Pas excitant, le David endormi ? Qu’on se détrompe. Si l’on peut accorder aux observatrices de la photo l’excuse d’être venues par amour de l’art, il n’y a par contre aucune ambiguïté sur les motivations qu’aura la journaliste de retourner au musée : le lit du footballeur « vraiment bel homme » est « un endroit où il doit faire bon être » ; « [mes] pensées sont pleines de la beauté de Beckham ». S’ensuit une description minutieuse de tous ces petits détails magiques que l’athlète daigne offrir à son public : il bat des cils, s’humecte les lèvres, se gratte le crucifix, déplace sa main, ce qui met en mouvement les bracelets à son poignets. « Rien ne se passe, mais nous sommes ensorcelées », confie l’auteur, qui fait de l’idole le vrai symbole de la royauté anglaise, mais « tellement plus attirant, talentueux et adorable que les originaux ». Bref, la journaliste s’avoue conquise par cette intrusion dans les draps du plus sexy des personnages people de notre temps. Si Beckham, dont par ailleurs la vie privée fait des vagues suite à une « affaire » avec une femme de son entourage, cherche quelqu’un pour tenir la caméra lors de son prochain portrait, il n’aura qu’à s’adresser à Time magazine.

Mais, que je ne me moque pas plus que cela de l’admiration béate d’une journaliste pour le beau blond du Real Madrid. D’une part, on me dirait jaloux (à tort, car Dieu me garde de jamais m’exposer sommeillant dans une galerie d’art autrement qu’en spectateur), d’autre part, j’aurais sans doute été moi aussi conquis si l’on avait filmé l’autre côté du lit, Madame et non Monsieur. Il y a fort à parier qu’un similaire portrait de l’ex-Spice girl (ou de toute autre actrice / chanteuse / mannequin glamour du moment) drainerait un public masculin non moindre que celui de Beckham.

Je regrette pour ma part que l’article n’en dise pas beaucoup plus sur l’artiste, ni qu’il ne pose des questions plus liées à l’art (et notamment celle de l’usurpation de l’aura du modèle, dans ce cas, car je doute que le succès de l’oeuvre ne soit pas en bonne partie lié à celui du footballeur :)). Ni qu’il ne se demande l’intérêt d’un portrait « endormi » (est-ce, par exemple, la seule façon possible d’obtenir un portrait naturel d’une personne, puisque le seul moment où elle ne peut jouer la comédie ?), ou pourquoi le choix d’un support vidéo, plutôt que photographique (quel apport du mouvement dans un sujet qui aurait fort bien pu s’accorder avec l’immobilité ?). La journaliste se focalise un peu trop sur Beckham à mon goût, et pas assez sur l’oeuvre dans son entier, ce qui laisse à penser que toute une partie du public fera de même, n’allant pas voir « un portrait de Taylor-Wood » mais bien « un portrait de Beckham ».

Enfin, voilà une oeuvre simple qui fera rêver les filles, et là était sans doute l’intention de la photographe. Plus qu’un portrait, c’est une fenêtre ouverte sur le lit d’un apollon moderne. Un cadeau du héros à ses admiratrices, une invitation à la romance ; un peu de l’homme tel qu’elles le rêve. Rien de plus, au final, que ce qui pousse ma soeur à coller dans son agenda le portrait du ténébreux Johny Depp. Ou qui me poussa moi, au même âge, à couvrir mes murs de photos de la belle Eva Herzigova. Un support à la rêverie, simplement.


[1] Coïncidence ? La chanteuse et dernière James Bond-girl en date trône justement au centre de la page opposée, où il est question d’un différend avec sa maison de disques... (retour)

Ecrit par Barjac, le Mercredi 5 Mai 2004, 09:54.
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