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Zola et mes amours perdues
11/12/03 - Je viens de terminer « La Fortune des Rougon », d’Emile Zola. Emprunté comme ça à la bibliothèque, dans l’édition si agréable à lire de la Pléïade, j’avais craint de trouver Zola ennuyeux, sans bien savoir pourquoi. Zola, pour moi, c’était inconsciemment ces descriptions qui n’en finissent pas d’un auteur de feuilleton payé à la ligne. Je me souvenais pourtant avoir lu « Au Bonheur des Dames » sans m’y ennuyer, pris dans l’histoire, mais il ne m’en restait qu’un souvenir confus. Et bien, de ce roman que dont je viens de finir la lecture, je ne peux qu’adresser à l’auteur, à travers le temps, des remerciements d’une sincérité mêlée d’admiration. Ce roman, comptant parmi les moins lus de la série des Rougon, est un chef d’oeuvre. Il est peu de livres qui m’aient tiré les larmes. Le Petit Prince de Saint-Exupéry, est un de ces livres, que je ne peux lire d’une traite tant il est plein de vérité et d’amertume. Je me souviens aussi de l’Amerzone, BD de Sokal, qui m’avait bouleversée. Et bien voilà, Zola comptera désormais parmi ces auteurs qui me touchent exactement là où il suffit d’appuyer pour que mon être se brise et se répande.
La Fortune, c’est l’histoire de la mort de la République lors du coup d’état de Napoléon III, mise en scène tout près de chez moi, en Provence. L’auteur y conte son temps, sa région, et se fait la voix d’un peuple qui se soulève face à l’assassinat des son idéal républicain, peuple qui sera vite décimé par les troupes de l’Empire naissant. Mais c’est aussi, derrière la grande Histoire, celle des particuliers, celle de cette famille prête à tout pour servir sa cupidité, son ambition bourgeoise, prête à tout sacrifier dans sa quête du pouvoir et de l’argent. Et c’est, parallèlement à celle de ces adultes opportunistes qui complotent et conspirent afin d’assurer leur position sociale, celle de l’amour de deux enfants, qui embrassent la république pour servir leur idéal de liberté, destinée tragique de deux coeurs assassinés en même temps que leur rêve, et réunis enfin à jamais dans la mort. J’avais cru Zola ennuyeux, je découvre un auteur formidable, conteur de génie et virtuose d’une langue qu’il manie avec précision et exactitude. Je ne peux qu’être empli de respect et d’admiration en face d’un tel talent d’écrivain. Peinture vivante de la grande histoire à travers la petite, analyse minutieuse des comportements humains, description poignante d’un amour tel qu’on peut le vivre à l’enfance, simple, virginal, lourd, tel un fruit mûr, du sucre des rêves. Considérations personnelles J’ai retrouvé, dans l’amour qui est compté dans ce livre, le mien, celui qui porte le visage de Ch. J’ignore si beaucoup de gens ont vécu des amours de ce type, ces amours naïves, qui éclosent en pleine adolescence, et poussent brusquement, s’étendent à l’infini, à un âge où on a trop peu vécu pour avoir déjà dressé des digues prudentes contre nos sentiments. Qui a connu les nuits d’été, les rencontres secrètes, en quelque coin de campagne désert, avec pour tout toit, les étoiles, et pour toute couverture, le vent. Ce vent, qui court et fuit, emportant dans ses robes ces mots d’adolescents, ces promesses éternelles, cette fraternité amoureuse ; ce vent qu’encore parfois, au milieu de la nuit, j’entends revenir, chargé de murmures ; ce vent qui me réveille souvent, en soufflant sur les braises d’un amour que je croyais mort, ravivant tant de souvenirs, de parfums oubliés, délivrant dans mon coeur ces élans qu’il m’a fallu si longtemps pour baillonner, sauvages, brûlants, douloureux. O, étés de ma jeunesse, ou chaque nuit j’oscillais entre pleurs grinçants quand elle ne venait pas, et pleurs de joie lorsque sa silhouette se découpait enfin dans la clarté lunaire, ô été de douce folie, de rêve partagé, comme vous me manquez... Aimer avec son coeur d’enfant, la chose est tellement belle ! On ne songe pas à mal, on ne cherche qu’à donner, on n’a pas encore l’idée d’aller voir ce qui nous attend au delà des baisers fiévreux qui alors nous suffisent. Qu’elle me manque, souvent, cette fille qui fut ma soeur, la seule amie que j’aie jamais eue, la seule fille dont j’ai pu me sentir aussi proche... Si belle, si jeune, enfant et femme à la fois, plus tout à fait l’une, mais pas encore l’autre, au joues fraiches et aux lèvres tièdes, au yeux noirs et brillants dans la pénombre, qui se donnait à l’amour, et les baisers se faisaient morsure, tandis que les coeurs s’élevaient vers dans la nuit pour aller briller au firmament. Peut-être que des amours d’enfants seules naît cette étincelle, qui monte, et va se fixer là haut ; peut-être chaque étoile est-elle née ainsi, et la mienne serait là-haut, brillant parmi les autres, attendant que le frère et la soeur que nous fûmes soient réunis dans la mort pour enfin s’éteindre... Ô amère pensée, ô troublante douleur. Pourquoi faut-il que les belles amours soient celles qui meurent les premières ? Que nous étions forts, alors, gamins assis sous la lune, s’embrassant jusqu’à ce que l’horizon rayonne dans la clarté rose et bleue des matins d’été ! Nous sentions couler dans nos veines ce sang qui bat et semble congédier la mort, nous étions invincibles, nous étions éternels, nous étions infinis, deux corps allongés dans l’herbe haute d’une clairière, mais dont les coeurs unis jouaient à traverser le ciel, laissant une traînée brève, puis une autre, pluie de météores dans le ciel d’Août que main dans la main nous regardions comme le plafond d’une église, avec ce respect religieux de ceux qui se sentent humbles devant les merveilles de ce monde, allongés là, l’âme grande ouverte, buvant avidement à la source fraîche de notre amour, s’emplissant des parfums de la terre, des murmures de la campagne blanche, ne faisant plus qu’un avec la nuit qui était en nous, nous en elle, unis. Qu’il est dur de la savoir si loin, de la savoir aimée, pis, de la savoir aimant à nouveau, un autre. Se souvient-elle seulement, croyez-vous que parfois, la nuit, elle se réveille, et elle se souvient d’un garçon blond, qui la serrait dans ses bras, ou s’endormait contre son sein, et ces nuits passées, serrés l’un contre l’autre avec gravité, comme si le petit jour devait amener la mort de la nuit, et avec elle, de notre amour, jusqu’à la nuit suivante, si nous parvenions à nous voir ? Je pourrais user plus de mots qu’il n’y a d’étoiles dans cet univers sans jamais arriver à poser sur le papier qu’un infime et terne éclat de ce que furent ces moments. C’est là la raison qui fait qu’elle me manque tellement, car elle est la seule qui n’ait pas besoin des mots pour mesurer l’étendue de mes souvenirs, elle est la seule qui sait. Parfois, je la pense mariée à son nouveau, je la pense maman, et mon coeur se déchire. Trois fois, je l’aimai. Trois fois, elle se donna à moi. Trois fois, je finis par m’enfuir. Et trois fois, je m’en mordis les doigts. Mais cette fois, voilà, c’est la dernière. Il n’y aura pas de quatrième. Elle est heureuse, elle est, je crois devenue adulte, et moi, moi je suis resté l’enfant de ces nuits, revenu à notre lieu de rendez-vous après avoir juré de ne plus y mettre les pieds, je découvre qu’assis là, sans elle, il manque une étoile, notre étoile. Un jour, dans longtemps j’espère, la mort prendra cette fille. Et avec elle, elle m’enlèvera la seule personne qui sait, qui a vu non pas de ses yeux mais de son coeur, ces nuits à la texture veloutée du rêve. Mais je crois que ce jour là, je serai parti depuis longtemps. J’ai écrit bien des choses sur la mort, mais si peu sur la vie. Est-ce parce que chaque fois que j’entends l’amour, au détour d’un roman, ou lorsque le vent chante sa douce complainte, je pense à elle, à elle inaccessible, et qu’alors seule la mort m’attire ? Je pense à ce frère de mon père, mort aux âges que j’atteins, peu après qu’une amie de lui, dont on savait assez peu sinon son attachement pour elle, se fut mariée. Je pense à ce type qui mit fin à ses jours, et j’ai l’impression que c’est son histoire, son sang, qui coulent dans mes veines. Il est des heures où j’entends les étoiles murmurer mon nom, et dans ces heures, j’aurais le courage d’agir gravement, pour à nouveau ne faire plus qu’un avec le ciel et la nuit, cette fois éternellement. Oui, on me dira fou, et je fus le premier à dire qu’il faut vivre, aller au delà des tristesse, car qui sait de quoi demain sera fait ? Mais voilà, voilà trois ans déjà que cette soeur que j’ai trahie me manque, trois ans que pas un mois ne s’écoule sans que je m’éveille en pleurs au milieu de la nuit, tout empreint de son souvenir. Et ces temps-ci, ce n’est plus chaque mois, mais chaque semaine. Et cette semaine, ce fut chaque nuit. J’ai peur, peur d’avoir raté ma vie, d’avoir méprisé le bonheur par ambition égoïste, de l’avoir jeté au loin en lui riant au nez, et de réaliser qu’il est dans ce monde des choses que l’on perd à jamais, des actes que l’on ne défait pas. Alors, à quoi bon vivre, si c’est pour être hanté chaque nuit par le souvenir d’un paradis disparu, pour apercevoir son fantôme et refermer mes bras sur le vide laissé par un amour perdu ? Il est des jours, il en est de plus en plus, où je me dis que Dieu m’avait offert le paradis, et que je me suis moqué de lui, et que maintenant que j’ai découvert qu’aux frontières du paradis commence l’enfer, il est trop tard pour revenir demander pardon. Ma fierté me l’interdit. Je l’ai quittée, j’ai trahi mes promesses, j’ai trahi son amour, j’ai même trahi l’enfant que j’étais, celui qui a souffert tant d’années en s’accrochant à l’espoir du jour béni où il pourrait l’épouser et vivre avec elle. Maintenant qu’elle est heureuse, je respecte ce bonheur qu’un autre plus malin que moi aura su lui donner. Et moi, de souvenir en souvenir, de nuit perdue en nuit perdue, j’attends. J’attends sans trop savoir quoi. Peut-être le jour où son nouveau se lassera. Mais il ne se lassera pas. Elle n’est pas fille dont on se lasse, elle a toujours eu tout pour plaire, et nous le savions tous, garçons d’alors, bien avant qu’elle ne me choisisse. Ah, Bretagne chérie de mes amours, patrie perdue, campagnes qui furent miennes, nôtres, tant de nuits d’été... Laissez-moi rire, amer, sur l’homme banni que je suis devenu, le vagabond sans autre terre que celle qui vibre encore dans son souvenir. Amis, vous ne comprendrez pas. Il faut avoir aimé, aimé comme je l’ai aimée, aimée à quatorze ans comme à vingt, et puis l’avoir quittée. Je suis un homme sans destin, parce que je l’ai fui. Et puisque la vie d’un homme, c’est d’accomplir son destin, alors je suis un homme sans vie. Vivant, mais sans vie à vivre, que d’attendre un jour qui ne viendra pas, jusqu’à ce que son mariage me porte le coup fatal, et bonsoir la compagnie, je m’envolerai pour le paradis de ces jeunes oncles qui s’en vont sans un bruit, emportant leur secret, me fondre dans la nuit, moi en elle, elle en moi, pour toujours. Ecrit par Barjac, le Vendredi 12 Décembre 2003, 09:26.
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