Croisé Fred, hier soir. Nous sommes allés discuter un morceau au bord du "Lac" (la flaque au milieu du campus avec ses trois canards en orbite).

Je m'amuse de le voir tantot heureux, tantot perdu, souvent ne sachant trop ou sa nouvelle histoire d'amour va le mener, pataugeant dans cette brume mi-fantastique, mi-inquiétante, qui est si caractéristique aux nouvelles relations amoureuses un peu sérieuses. Combat intérieur entre une indépendance qu'on sent bien qu'il va falloir hypothéquer au moins en partie, et la joie d'un partage d'emotions aussi neuves qu'intenses. Questions inévitables sur l'engagement que cela représente (et si c'était la bonne, ai-je vu assez du monde et des femmes pour me caser ? Est-elle aussi bien que ce que je cherchais ? Y aura-t-il jamais "mieux" ?), interrogations sur le début d'un état qui amène la fin d'un autre. Autant d'incertitudes qui tombent soudain en bloc, de questions, d'angoisses presque. Il est rare que l'amour apporte la paix dés le début. Il faudra du temps pour accepter, se faire à ce nouveau mode de vie si différent de l'ancien, prendre là comme ailleurs ces habitudes sans lesquelles on ne saurait se sentir chez soi, rassuré.

Fred essaie de rester détaché, il a raison. Il arrive qu'on foute tout en l'air à vouloir trop d'un coup, ou à l'inverse en donnant trop trop vite. Un minimum de raison ne peut que rendre les choses plus stables, réduisant les courants qui passent entre les deux intéressés a un debit suffisant pour ne pas risquer d'en faire un torrent incontrôlable, évitant aussi (mais le risque est moindre) de voir arriver des périodes de sécheresse une fois tout le flot écoulé.

Je lui ai fait remarquer que c'était plus qu'une chance, ce qu'il lui arrivait là. Pas tant en terme de plaisir que d'objectif. La vie est tellement plus simple lorsque l'on sait où l'on va. Jane est canadienne (partie anglaise), n'est-ce pas l'occasion rêvée de partir à l'aventure ? Il y a tant de choses que, moi, je n'aurais jamais vécues s'il n'y avait eu mon coeur amoureux pour me donner l'audace et l'énergie de les réaliser. Des années plus tard, les filles après lesquelles je courais ont disparu de ma mémoire, mais les souvenirs de voyage, les lieux, et surtout l'expérience que j'ai pu en tirer, restent. Voila au moins une chose pour laquelle l'amour est bon : nous arracher à la routine, nous pousser à faire ce qu'on ne ferait pas autrement, en un mot, nous donner des ailes.

Et en espérant que l'ami Fred volera longtemps et loin, je m'en vais, moi, voir si ces abrutis de canards sont encore en train de manger du gravier.