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Au fond, ce qu’il y a de terrible dans les chagrins d’amour, c’est qu’ils font prendre conscience, réellement, de cette vérité : l’homme n’est pas Dieu. Ou, dit sans les cloches, que nous ne sommes pas des êtres tout-puissants. Cela paraît idiot, mais je crois que c’est une de ces vérités qu’on n’a pas souvent l’occasion de mesurer. Vous savez que l’univers n’est pas infini, mais vous n’en avez jamais fait l’expérience pour autant. C’est la même chose. Qu’on vous mette au bord de l’univers, et que vous découvriez que vous ne pouvez pas faire un pas de plus, même si votre cerveau en donne l’ordre à votre jambe, et vous serez certainement profondément affecté. Il y a, de la chose sue à la chose vécue, de la connaissance théorique à l’expérience, un chemin qui parfois éprouve.
Donc, les chagrins d’amour nous offrent la preuve la plus solide des limites d’un univers : le nôtre. Notre volonté se heurte à l’infranchissable limite de celle d’autrui. Et je crois que ce qui rend les choses si difficiles quand on aime sans être aimé vient beaucoup de cela. Le chagrin d’amour nous démontre qu’une partie de notre vie ne nous appartient pas, et qu’on peut tendre aussi fort que l’on veut vers quelqu’un, cela n’a pas ou très peu d’effet sur lui. On reste collé sur la vitre, et lui, de l’autre côté, fait bien ce qu’il veut. Je serais curieux de savoir quel est l’organe responsable de notre jugement en matière d’importance. Quelle partie de nous établit des hiérarchies entre divers éléments de notre vie : nos études, notre boulot, la fille ou le garçon qu’on aime, tel ou tel rêve, telle ou telle passion ? Pas de distinction nette entre coeur et raison à ce niveau, puisque les deux interviennent également. Et pourtant, il y a bien quelque chose en nous qui nous dit : ceci est important, tu dois t’en occuper avant tout, ceci ne l’est pas, tu peux remettre à plus tard. Est-ce le résultat qu’on en attend, simplement ? C’est-à-dire la quantité de bonheur futur qu’on compte en retirer ? (Ou inversement, la quantité de malheur qu’on devra subir, à minimiser, cette fois.) Cette réponse est loin d’être exhaustive et mérite d’être complètée. En comprenant le mécanisme de cet organe (au sens abstrait), peut-être pourrait-on en apprendre un peu plus sur la façon dont une personne peut prendre une telle importance lorsqu’on aime. Et sur les moyens de la virer du haut du podium. Donc, conclusions de mes réflexions de la pause de 17h : primo, toute vie humaine possède une part indiscutable de solitude ; secundo, toute existence humaine se déroule dans un aquarium dont les parois sont les libertés d’autrui (l’amour étant alors une histoire de vases communiquant, soumise à la condition que chacun ouvre son côté de la double porte, et rien ne sert de s’énerver, on ne fera pas pousser de poignée de notre côté de la sienne) ; tertio, les mécanismes d’attribution d’un degré d’importance à un élément de notre vie me sont encore opaques, mais pourraient amener, si je parvenais à les mettre à jour, des réponses à certaines de mes questions. Un petit mot concernant Ch., quand même (ah ah, vous croyiez y couper, hein !). Toujours pas de nouvelle, ni par courrier, ni par coup de fil. D’ailleurs, le téléphone portable, quand je n’en avais pas, je me portais très mieux. Maintenant que j’en ai un, j’ai l’impression que je suis seul au monde, à toujours y jeter un coup d’oeil, des fois qu’elle ait appelé pendant la demi-seconde où je regardais ailleurs — où est le chargeur, où est le chargeuuur ? Oh nooon, elle va appeler quand j’ai plus de batteriiiiie — et que j’aurais pas entendu la sonnerie règlée au max (je sais pas quel est le type de chez Gnocchia qui a réglé ça, mais sur le mien, la sonnerie max, ça défenestrerait un éléphant — « deafen », pour ceux qui chercheraient l’association d’idées). Le problème du téléphone portable, en fait, c’est qu’il amène beaucoup plus de silence que d’appels. Un silence qui se manifeste désormais à la conscience en tant que « non appel », et j’en finis par me dire que ce ne sont pas les minutes de communication que je paie le plus cher. N’empêche, elle est belle, son amitié, à Ch.. (Gonfler la joue et y appuyer l’index de manière à expulser l’air d’une traite dans un bruit de klaxon à poire.) Pas un mot depuis deux semaines, rien. Peut-être, un jour, elle me dira : « la balle était dans ton camp, mon vieux. » Alors, je lui répondrai : « C’était pas une balle, c’était une grenade. » Elle conclura seule, selon celle des deux options sous-entendues qui l’arrangera. Et puis j’m’en fous, d’façons, avec mon téléphone, je peux jouer à Spayce Impact : ça sonne (quand je me prends une bastos), ça vibre (quand je meurs) et ça clignote (quand je recommence). Finalement, c’est comme si trente Ch. m’appelaient en même temps. Discutez avec mon répondeur, les filles : je suis en train de battre mon record. En fait, j’aurais dû acheter une Ghem Boï. Ecrit par Barjac, le Mercredi 25 Août 2004, 06:03.
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