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Nouvelles réflexions sur Ch.
28 août 2004 — J’ai passé l’après-midi à la terrasse d’un café d’Aix. J’ai répondu à la carte de V., pour mon anniversaire. Pour lui confier un peu l’état de trouble dans lequel j’ai passé ces dernières semaines. Puis j’ai lu quelques poèmes de Brel. J’admire le talent avec lequel cet homme a su faire passer sa personnalité déchirée. Et je me sens reconnaissant qu’il ait su mettre des mots sur la douleur, non seulement la sienne, mais aussi celle des autres hommes qui n’ont pas son talent pour l’exprimer, et dont je suis. J’ai ensuite pensé à Ch., et je suis rentré. Là, je lui ai écrit encore une lettre. Au fond, c’est toujours la même que je réécris sans cesse, car jamais elle ne me satisfait. Peut-être, simplement, cela me fait du bien de lui parler, sans la déranger. Car je ne la lui enverrai pas ; il m’a fallu le courage du désespoir pour oser reprendre contact avec elle, et sa dernière lettre a détruit le peu qu’il m’en restait. Je n’oserai plus l’ennuyer avec des trucs qui ne lui causent que de l’embarras.
J’aurais aimé qu’elle me dise « non », un « non » franc, sans appel, dés le début. J’ai relu, encore et encore, les rares mots qu’elle m’a envoyés. Et toujours, toujours, ces points de suspension dans lesquels j’ignore ce qu’elle met, et qui font que je ne parviens pas à avoir la certitude qu’elle ne veut vraiment plus de moi. Ma première lettre était sincère : je comptais réellement l’oublier, et demander son aide pour cela, car je sentais bien que tant que rien ne bougerait, je resterais attaché à son souvenir. Elle n’a tout d’abord pas pu me répondre longuement, n’ayant pas facilement accès à ses mails. Alors, elle est allée à l’essentiel : « ce que je veux juste te dire, c’est qu’il n’y a pas une semaine sans que je pense à toi... Tu es devenu le mec sans visage qui hantait mes rêves, celui qui me faisait peur ou l’inverse... Maintenant, il a un visage, et c’est étrange, je vis avec sans pouvoir le faire partir... » Puis, elle a eu le temps de répondre plus longuement. Et plutôt que d’abonder dans mon sens, de me dire quelque chose comme « oui, cela prend du temps, mais tu verras, tu m’oublieras », elle m’a au contraire répondu : « je pense que je t’aimerai toujours, d’une certaine façon, car c’est une histoire que je ne pourrai jamais terminer ». Bien sûr, ensuite, elle a parlé de sa nouvelle vie, ce qui est tout naturel. Mais pourquoi cette première phrase, pourquoi ce « toujours », ce « jamais » ? Je suppose qu’il n’y a pas de raison à ces mots, qu’elle n’a fait que dire la vérité. Peut-être aussi, de manière indirecte, a-t-elle écrit cela pour prendre le contrepied de mon désir de l’oublier, comme on dit parfois à quelqu’un « moi je ferai tout le contraire » afin de lui montrer, par l’affirmation de notre choix, qu’on désapprouve le sien. J’ai peut-être eu tort, de vouloir voir dans ces mots une preuve qu’elle avait encore, même enfouis au fond d’elle, même confus, des sentiments pour moi. Me le reprochera-t-on ? Penser à quelqu’un chaque semaine, n’est-ce pas là une preuve, sinon de sentiments, mais tout du moins qu’on est, même inconsciemment, accroché à cette personne ? On ne saura me blâmer d’avoir donné au mot leur sens le plus évident. On pourra par contre, et à juste titre, me reprocher de m’être laissé embarquer sur un navire duquel je n’étais pas capable de maintenir la barre. Je me suis montré envahissant, et à vouloir lui témoigner mon amour, je n’ai fait que l’effrayer. J’aurais dû comprendre que sa confiance serait fragile, et qu’il me faudrait y aller très doucement, ne pas la brusquer, car ressurgir comme cela après trois ans de silence, c’était forcément lui causer un grand trouble. Ajouter à ce trouble mon impatience n’aura fait que la troubler plus encore. Je comprends, dans cette situation, qu’elle ait fini par me rejeter. Quand j’étais en Angleterre, j’avais avec quelques gars de la fac, monté un groupe. Ce fut quelque chose de formidable. Je me souviens de nos concerts. J’en rêvais tout le mois qui précédait, tant j’étais pressé d’y être : c’était mon rêve qui se réalisait, être musicien, jouer devant des gens, partager avec des copains cette passion. Et puis, le jour venu, le trac me prenait, une angoisse immense, et soudain je ne voulais plus jouer. J’étais terrifié à l’idée que j’allais être là, sur cette scène, devant un public. Peur de l’erreur, peur d’accomplir une chose que j’avais pourtant tellement désirée. On a beau rêver d’une chose, tendre vers elle de toute sa force, le moment venu où le rêve peut devenir réalité, il faut beaucoup de courage pour surmonter le trac. Dans ces moments-là, j’oubliais totalement que j’avais tant attendu ce jour. Je n’entendais plus que mon angoisse, et j’avais envie d’appeler les copains pour leur dire que j’étais malade, que je ne pouvais pas venir, inventer n’importe quelle excuse. Je me demande si il n’y a pas, dans l’attitude que Ch. a eu, quelque chose de similaire. Je voudrais être certain qu’elle m’a dit « non » parce qu’elle ne m’aime plus, et ne veux plus m’aimer. Et non parce qu’elle traverse une période d’angoisse qui lui ferait oublier qu’elle rêve encore de moi, qui lui donnerait pour seul but de faire cesser le trouble, retrouver sa quiétude, comme je voulais fuir les concerts. Si j’avais cédé à la panique, je sais qu’ensuite, le calme retrouvé, mon rêve serait revenu plus brûlant encore, et j’aurais connu l’amer regret de n’avoir pas su le réaliser lorsqu’il était à portée de ma main. J’aimerais m’assurer que ce n’est pas le cas, qu’elle ne me dit pas « non » parce qu’elle a peur de ce que réaliser un rêve représente, et qu’elle n’en contractera pas de regret plus tard. Au final, c’est tout ce que je demande. Une certitude. Je lui ai dit que j’attendrais toute ma vie qu’elle se décide, que toujours mon coeur lui serait ouvert. Je me suis cru plus fort que je ne le suis. Il m’est trop pénible d’attendre sans savoir, d’aimer sans réponse, pour que je me maintienne encore longtemps dans un pareil état de trouble. Aujourd’hui, je commence à me résigner, à accepter que si elle ne veut plus de moi, ça ne sert à rien de m’acharner contre des choses sur lesquelles je n’ai aucun pouvoir. Il me faut lui tourner le dos, l’oublier pour de bon, et vivre ma vie. Mais voilà, une chose m’en empêche encore, ce sont tous ces points de suspension dans ses lettres. « Moi, je reste avec mes fantômes, et je pense qu’ils finiront par se lasser de m’empêcher de dormir. Je garde ton adresse... » Quel sens a-t-elle voulu donner à ces points de suspension ? Ne faut-il pas y lire ceci : « je pense que je finirai par t’oublier, mais pour le cas où je n’y parviendrais pas, je garde un moyen de revenir vers toi » ? J’ai peur. Peur de lui fermer mon coeur aujourd’hui, parce que c’est la seule chose que je puisse faire pour mettre un terme aux jours noirs que je connais, et qu’elle revienne demain. Jusque là, j’ai réussi à ne prendre aucun engagement définitif pour ma vie future. J’ignorais pourquoi j’avais cette angoisse de trouver un boulot, de me caser avec une nana, et je pense aujourd’hui qu’inconsciemment, j’avais peur de m’engager dans une voie parce qu’au fond de mon coeur, son prénom résonnait encore. Peur de choisir une vie sans elle, alors que mon rêve de la bâtir avec elle brillait toujours. Je voudrais qu’elle me dise le fond de sa pensée. Qu’elle me dise non si je ne suis plus rien pour elle, ou bien, le cas contraire, qu’elle m’en dise un peu plus. Je saurai comprendre, je saurai être patient. Je n’attends pas un « oui », bien évidemment ; il est trop tôt pour cela. Mais si elle éprouve encore quelque chose pour moi, mêlesi c’est confus, j’aimerais qu’elle me le dise, et alors, je lui laisserai tout le temps qu’elle voudra pour réfléchir. Même si c’est difficile. Je sais que tout est affaire de confiance, et je sais que la confiance est longue à se construire. Mais si j’ai le moindre espoir, alors je n’attendrai pas d’elle l’impossible. Je serai patient, prêt à l’écouter. Prêt même à ce qu’au final, elle me dise « non » malgré tout. Tout ce qui compte pour moi, c’est de savoir que sa décision a été mûrement réfléchie, et qu’elle est définitive. Et qu’elle me tienne au courant. Car je me noie, dans son silence. Il y a, dans la vie d’un homme, deux types d’événements. Il y a d’une part ceux sur lesquels on agit, par nos choix, nos actions, et il y a d’autre part ceux qui se déroulent indépendamment de nous, et sur lesquels on n’a aucun pouvoir. Les regrets n’affectent que les premières. J’aurais eu des regrets à ne pas avoir osé lui dire que je l’aime encore. Je n’en aurai pas à la voir me dire non pour la vie, car cela appartient à la seconde catégorie d’événements. On ne regrette que ce dont on est responsable. A ce propos, je voudrais parler de la rupture. Puisque la boîte à souvenirs était rouverte, j’en ai profité pour en tirer le fil de notre histoire, cette bobine de laine avec laquelle un châton espiègle s’est beaucoup amusé, et essayer d’en défaire les noeuds. L’exercice ne fut pas vain : j’ai trouvé des réponses à certaines questions, et acquis des certitudes qui me soulagent un peu. Je ne suis pas responsable de notre rupture. Je n’ai pas quitté Ch. parce que je ne l’aimais plus. Je l’ai quittée parce que je l’aimais. Et que cet amour rendait la situation invivable. Bien sûr, sur le moment, mon coeur ne m’a pas dit : « tu l’aimes, quitte-là », sans quoi je n’aurais jamais trouvé le courage de le faire. Il a simplement cessé de me parler, afin que je fasse ce qui était devenu nécessaire. Je souffrais trop de la savoir si loin, de ne jamais la voir. Et je sais qu’elle souffrait tout autant. Si elle me lisait ce soir, elle aurait sûrement envie de me jeter par la fenêtre pour oser prétendre que je ne suis pas responsable de cette rupture. Et pourtant, il ne s’agit pas de me déculpabiliser. On sait que j’ai même plutôt le penchant inverse. Je ne pense pas me tromper en affirmant que ce que j’ai fait, elle l’aurait fait à ma place peu de temps plus tard. J’ai relu ses dernières lettres, et toujours il y revient ce ras-le-bol, cette prise de conscience d’une faiblesse contre laquelle elle non plus ne pourra rien faire. « Je ne tiendrai pas encore trois ans loin de toi. » Elle n’en pouvait plus, je n’en pouvais plus. Notre relation nous apportait dix mois de peine pour deux mois de mauvais amour. Car comment s’aimer raisonnablement quand on essaie, en deux mois, d’aimer pour une année ? On pousse son coeur à bout, aimer cesse d’être une liberté pour devenir un devoir. Il faut s’aimer, on n’a pas le droit de gâcher une seconde, il faut rattraper le temps perdu, faire le plein pour les mois à venir. Une telle pression ne pouvait que nous rendre aggressifs, et je ne m’étonne pas que nous ayons connu tant d’inutiles disputes. Je regrette que nous n’ayons pas su comprendre leur signification. Mais quand bien même, qu’aurions-nous pu y faire ? Je me souviens de ce jour où je l’ai raccompagnée à Saint Charles, et puis j’ai regagné ma chambre d’étudiant dans ce monastère de la rue Edmond Rostand, et j’ai pleuré. Je voulais mourir, tant j’avais mal de la savoir repartie loin de moi. Les premières semaines, je ne me sentais bien que lorsque je lui écrivais. Je m’évadais le midi, pour me cacher dans la salle de permanence des lycéens, et j’écrivais, j’écrivais, j’écrivais. Je n’ai trouvé la paix que dans ces longues lettres que nous échangions, et dans les coups de fil qu’on se donnait le mardi et le jeudi. Sans eux, je n’aurais pas tenu en prépa. Et puis, les semaines passaient, et je finissais par retrouver une vie supportable. Alors, j’avais peur de la retrouver, peur de savoir qu’il me faudrait à nouveau la perdre, et replonger dans la tempête. Je finissais par préférer la voir moins souvent et plus longtemps. J’ai fini par ne plus vouloir la voir du tout, pour ne plus connaître ces quais où dans mes bras elle versait des larmes dont je me sentais coupable, pour ne plus connaître ces heures vides passées à regarder le ciel depuis ma fenêtre, et à me dire que jamais je ne tiendrais les six mois qui me séparaient de cette fille dont le parfum flottait encore sur mes vêtements. Alors, je l’ai quittée. Elle me haïra d’oser dire cela, et pourtant, je crois sincèrement que c’est la vérité. Si je ne l’avais pas fait, elle l’aurait fait à ma place, et pour les mêmes raisons. Et, si elle ne m’en a pas voulu (du moins est-ce ce qu’elle m’a affirmé au téléphone), je crois que c’est parce qu’elle sent cela aussi bien que moi. C’aurait pu être elle qui ait rompu. N’est-ce pas un peu ce qu’elle a fait avec Jef ? Si je l’avais quittée en découvrant qu’elle m’avait été infidèle, elle aurait pensé que c’était elle qui avait tout gâché. Comme j’ai pendant des années pensé que tout était de ma faute. Ce n’aurait pourtant pas plus été la sienne que ce n’est de la mienne. Si il fallait désigner un responsable, alors je pointerai le doigt sur la vie, la vie qui a mis sur notre chemin un obstacle qu’elle n’avait pas prévu surmontable. Longtemps, je m’en suis voulu, de l’avoir quittée. Et toujours, je m’apostrophais en me demandant pourquoi, mais pourquoi avais-je fait cela, sans être jamais capable de me fournir une réponse. Longtemps aussi, j’ai cru que si nous avions rompu, c’était la preuve que notre amour n’avait pas été assez fort. J’étais dans l’erreur, à ce sujet aussi. Mon ignorance des choses me faisait reprocher à mon coeur de n’avoir pas su tenir bon dans la distance. Ce n’est qu’en acquiérant de l’expérience, en racontant mon histoire avec des amis, et en écoutant les leurs, que j’ai compris mon erreur. Reprocher à mon coeur de n’avoir tenu que trois des cinq années d’éloignement qui me séparaient du retour au pays, c’était reprocher au champion du monde de saut en hauteur de ne pas savoir voler. Mais j’ignorais alors tout des limites de l’homme, j’ignorais que deux adolescents qui s’aiment n’ont pas les moyens de tenir aussi longtemps aussi loin. Et je dois à mes amis de m’avoir fait comprendre que les trois années que nous avons tenues malgré la distance sont un véritable miracle, et que ce coeur que j’ai tant maudit pour son échec, il m’aurait fallu en réalité le féliciter pour son succès. L’ignorance est source de tant d’erreurs, et cela donne à l’expérience toute sa valeur. Et puisqu’on parle d’expérience, je vais aller plus loin, concernant cette rupture, et affirmer qu’elle est une bonne chose. Peut-être même la meilleure qui eût pu nous arriver, pour autant qu’on ait un jour eu l’occasion de vivre notre rêve, de faire notre vie ensemble. Je sais que cela peut paraître aberrant, mais je vais expliquer le fond de ma pensée. Il faut bien comprendre que nous n’avions alors rien connu d’autre en amour que nous mêmes, passé six années dans une bulle. Je ne regrette nullement ces années, qui furent fantastiques. Mais il nous manquait quelque chose pour pouvoir réaliser un jour notre rêve, et Ch. l’avait su dés le lycée, lorsqu’elle me disait : « nous nous sommes connus trop tôt ». Elle a toujours été beaucoup plus lucide que moi, qui avait tendance à me croire tout simplement invincible (par ignorance, là encore, car on ne prend conscience de ses limites qu’en en faisant l’expérience). En effet, nous nous étions rencontrés trop tôt, et cela avait deux conséquences néfastes pour notre amour : d’une part, nous n’avions pas vécu notre jeunesse comme les autres garçons et filles de notre âge (moi en tous cas, car les deux années de prépa que je passais cloîtré, je pense qu’elle en profita pour vivre sa jeunesse de son côté), et d’autre part, nous ne connaissions à vrai dire rien de l’amour que ce que nous savions du nôtre. Ne pas avoir vécu ma jeunesse était un danger. Car, à l’âge adulte, j’aurais regretté de n’avoir pas fait la bringue avec mes potes, vécu une vie de jeune homme, et fatalement, j’aurais fini par en faire le reproche à celle qui m’avait « pris » ces années-là. J’ai, maintenant, vécu toutes ces choses, et j’ai pu le faire parce que je n’étais plus avec Ch. Tant que j’étais avec elle, je me sentais responsable de ce que je faisais, de mon comportement. J’avais à coeur d’être un homme dont elle pût être fière, aussi je me gardais de tout excès. C’était une conduite adulte. Mais être adulte sans avoir été ado, sans être passé par toutes les conneries, les bêtises, qu’il faut faire à cet âge, c’était risquer plus tard de les regretter. Et Dieu sait combien les choses dont on ignore tout sont attirantes. En rompant le lien qui m’unissait à elle, je me débarrassai de cette responsabilité, et pus alors faire les quatre-cent coups, les quatre-cent bêtises dont je vous ferai gré du détail. Ne pas avoir connu d’autre fille qu’elle était un danger encore bien plus grand. D’une part, pour les mêmes raisons que précédemment, à savoir le regret de n’avoir pas un peu bourlingué sur les chemins du coeur, embrassé d’autres nanas, froissé d’autres draps, brisé des coeurs et eu le mien brisé en retour. Regret que tôt ou tard, j’aurais fini par transformer en reproche à son encontre : « tu m’as empêché d’aimer d’autres filles ». D’autre part, l’amour est comme tout autre domaine : c’est l’expérience qui aide à progresser. Sans expérience, on tombe dans chaque piège, on fait chaque erreur qu’on peut faire. Surtout, sans expérience, on n’a de la discipline qu’une vision très imparfaite. J’avais, quand je quittai Ch., une vision totalement naïve des femmes. Je les croyais toutes quelque part entre l’homme et Dieu, sortes de créatures parfaites, incapables de faire le mal, ne sachant qu’être douces, gentilles, aimantes. J’en ris aujourd’hui, parce que je sais pour les avoir fréquentées, que les filles sont comme les garçons. Il y en a des bien, des moins bien, des pas bien du tout. Parmi les biens, il en est assez peu dont on puisse vraiment se faire des amies. Parmi les amies, il n’en est qu’une ou deux avec lesquelles notre coeur se sente prêt à faire tout le chemin ensemble. (Je n’ai pas encore rencontré la deuxième ;)) J’ignorais que croire toutes les filles des anges, c’était les mettre toutes dans le même panier, et faire insulte à celles qui valent vraiment quelque chose. J’ignorais aussi que toutes n’étaient pas Ch. Et d’avoir connu les filles, d’avoir aimé à maintes occasions, d’avoir discuté avec les unes, ri avec les autres, de m’être fâché avec d’autres encore, cela m’a permis d’avoir de l’amour une vision plus réaliste, plus juste. Et, par là aussi, de mesurer la valeur d’un amour parmi d’autres, ce dont j’aurais été incapable en n’en ayant connu qu’un. Aujourd’hui, je sais combien rare était l’amour qui m’unissait à Ch. Je sais que des amours comme celui que nous connûmes, peu de gens ont la chance d’en vivre. Et je doute que ceux qui en vivent un puissent jamais en vivre un second. C’est aussi une raison qui fait que j’aurai, à perdre Ch., beaucoup plus de peine que je n’en eus, par exemple, à perdre Chiara. Ce sont deux histoires incomparables, sans aucun point commun. Pour ces deux raisons, je pense que la rupture fut une bonne chose. Rester avec Ch. ne m’aurait pas permis, sur le long terme, de la garder auprès de moi. Je l’aurais mal aimée, parce que n’ayant aucun moyen de comparaison pour mesurer sa valeur, parce que n’ayant jamais flirté ici et là, donné mon coeur et pris celui de filles, vécu toutes ces histoires de jeunesse qu’il faut vivre pour pouvoir ensuite entrer dans l’âge adulte sans regret, en ayant du monde une bonne connaissance, en sachant qu’on a vécu nos années folles, et tourner la page serein d’avoir fait ces choses-là quand il fallait les faire. Puisque mon rêve était de faire ma vie avec Ch., je sais que la vie m’a donné ce qu’il y avait de mieux pour y parvenir. Et que cela supposait la rupture. Sans cette rupture, je ne serais aujourd’hui que le gamin que j’étais en la quittant, ignorant tout du monde, ne connaissant qu’elle, n’ayant rien vécu d’autre. J’aurais fini par la tromper, parce que les femmes me fascinaient. J’aurais fini par faire des bêtises, pour rattraper le temps perdu des excès. Je suis heureux que la vie m’ait obligé à vivre ce qu’il était bon que j’aie vécu avant de devenir adulte. J’ai fait tant de chemin, rencontré tant de gens, vu tellement de lieux, et cela me rend fort aujourd’hui. Je connais mieux le monde, et je ne l’aime que plus ardamment. Mais je l’aime avec raison, pour ce qu’il est, et qui n’est ni tout blanc, ni tout noir. Je sais que je ne pourrai jamais lui expliquer cela. Je ne pourrai jamais lui montrer ma vie, dans son ensemble, et lui faire comprendre que séparément, les événements semblent dénués de sens, mais que prise dans sa globalité, l’histoire s’explique, et qu’elle était juste. Je ne pourrai jamais lui faire comprendre qu’il fallait que je la quitte, si je voulais pouvoir l’aimer plus tard. Que partis comme on était partis, on aurait fini par se déchirer, parce que manquant d’expérience, on n’avait pas les moyens de mesurer vraiment la valeur de ce que l’on possédait. Et puis, on s’idéalisait trop pour s’aimer sainement. Aujourd’hui, je peux placer Ch. parmi toutes les filles que j’ai rencontrées. Je sais qu’elle est celle qui me correspond le mieux, mais je sais aussi qu’elle n’est pas une déesse. Simplement une femme, comme d’autres femmes, mais dont la seule différence est que j’ai trouvé en elle tout ce qu’il me fallait pour être un homme heureux. Nous fûmes vraiment proches l’un de l’autre. Mêmes goûts, même milieu social, mêmes aspirations, même vision du monde un peu décalée, même besoins créatifs. Je sais combien nous fûmes complices. Nous ne fûmes pas seulement petits copains, avec cette espèce de raideur dans le comportement dûe à ce que chacun essaie de tenir son rôle du mieux qu’il peut, et qu’au delà de la mise en scène amoureuse, rien n’unit vraiment les protagonistes. Nous fûmes, nous ne fûmes pas petit ami et petite amie, nous fûmes grands amis. Aucune des filles que j’ai rencontrées par la suite n’a été pour moi « un pote dans un corps de fille ». Et c’est cela qui fait que je la considère unique, que je pense que je pourrais l’aimer jusqu’au bout. Pas en homme fou d’amour passionné comme je le fus autrefois. Non, juste en homme heureux, simplement, dans une petite vie sans prétention. Certitude qui ne me rendra que plus amère sa décision de ne pas faire sa vie avec moi. J’avais fait une promesse à Ch. Je lui avais promis de faire ma vie avec elle. Elle m’avait fait la même. Parce que je l’ai quittée, je considère naturellement qu’elle est libérée de sa promesse. Mais je ne m’estime pas libéré de la mienne. Aussi, à l’aube de ma vie adulte, je reviens vers elle, afin de respecter mon engagement, c’est-à-dire de faire en sorte qu’elle puisse, si cela répond encore à un souhait de sa part, faire valoir son droit sur moi. Si elle a tout oublié de cette promesse, si elle n’en veut plus, alors son rejet m’en affranchira. Mais j’aurai le sentiment d’avoir été en accord avec moi-même, avec mon rêve, notre rêve, en nous donnant le moyen de le vivre si il avait perduré jusqu’à ce jour. Je me débarrasse ainsi du sentiment d’inaccompli que j’ai pu connaître ces dernières années. Je ne pense pas avoir réellement brisé ma promesse en la quittant, pour les raisons que j’ai citées plus haut. Je pense, en m’étant montré prêt à tenir ma parole trois ans plus tard, que j’ai fait ce qu’il fallait. Si Ch. voulait, elle pourrait aujourd’hui prétendre à sa part du rêve ; je suis prêt à tenir mes engagements passés, c’est-à-dire à faire ma vie avec elle, à la prendre pour compagne jusqu’à la fin de mes jours. Ce ne sont pas des mots jetés ainsi que le clavier ; je les écris sans émotion autre que la tendresse. Pas de folie, pas de passion. Je sais. Je sais que j’aurais le courage, malgré les désagréments de la vie commune, de l’aimer jusqu’au bout. Maintenant, je sais ausi qu’il y a fort peu de chances que brûle encore dans son coeur cet amour d’antan. Je ne m’attends pas à un miracle. Mais je crois que l’important, c’est d’être en accord avec soi-même, avec ce qu’on a pu prendre comme engagements dans sa vie, et qu’elle me dise oui ou qu’elle me dise non, j’aurai fait ce qu’il fallait pour que notre rêve, qui n’est probablement plus que mon rêve, puisse se réaliser. Là encore, si le rêve ne se réalise pas, ce ne sera pas par ma faute. Ce ne sera pas non plus par la sienne, car comme je l’ai dit, son engagement envers moi a été rompu le jour où je l’ai quittée. Ce sera seulement que la vie n’a pas voulu que nous réalisions notre rêve ensemble, a voulu que les choses soient autres. J’ai eu beaucoup de peine à la voir résumer notre histoire, en la comparant à sa nouvelle relation stable « où tout coule de source », par cette expression réductrice et erronée : « je t’aime, moi non plus ». Je ne nie pas que nous nous sommes beaucoup disputés, mais je sais aussi que cela a été surtout caractéristique de la période d’éloignement. Quand je la voyais chaque jour au lycée, notre relation était stable, car nous pouvions nous aimer sans l’angoisse du lendemain, de devoir nous séparer pour des mois. Comparer sa vie actuelle à nos années noires revient à dire : je préfère l’Italie à la France parce qu’en 1940 la France était en guerre, et c’était difficile, alors que l’Italie ne l’est pas en 2004. Il faudrait, pour comparer, prendre des bases identiques, comparer non pas nos années d’éloignement avec sa vie nouvelle, mais les années où nous nous voyions tous les jours. Et puis, je pense aussi que les gens qui s’aiment vraiment sont aussi ceux qui se fâchent le plus souvent. L’amour, le vrai, apporte toujours son lot de tempêtes (cf. Brel dans la chanson proposée l’autre jour). Il n’y a pas de bonheur sans malheur, car l’un se définit par rapport à l’autre. C’est parce que l’amour fait mal qu’il est si beau. C’est parce que les ruptures font pleurer de chagrin que les retrouvailles font pleurer de joie. Le noir et le blanc sont indissociables, et il faut accepter qu’aimer beaucoup, c’est à la fois connaître beaucoup de bonheur et beaucoup de malheur. Et pourtant, je sais qu’aujourd’hui, si elle me disait oui, les choses seraient bien moins houleuses. Je ne viens pas vers elle comme l’adolescent vint vers l’adolescente, mais comme l’homme vient vers la femme. C’est la différence fondamentale entre un potentiel nous futur et le nous passé. Autrefois, nous étions des enfants, et en tant que tels, nous n’étions pas libres. Nous étions liés à nos parents, financièrement ; nous étions liés à nos études, raisonnablement, et ces liens pouvaient s’opposer à celui qui nous unissait. Ce fut d’ailleurs le cas. Je n’avais, adolescent, pas d’autre choix que celui de suivre mes parents dans leur déménagement. Tandis qu’aujourd’hui, je suis adulte, capable de subvenir à mes besoins, et je ne dépends plus que de moi. Je ne suis plus une barque entraînée par les flots au gré des courants ; je suis un croiseur, suffisamment puissant pour suivre la trajectoire qu’il a choisie, quel que soit le temps et les obstacles. Mes parents peuvent bien déménager autant qu’ils veulent, désormais : nous ne partageons plus la même embarcation. Et, si je retrouvais Ch., il est clair que la première chose que je ferais serait de trouver du boulot près d’elle, et de faire en sorte que plus rien ne nous sépare. Chose que je n’avais pas les moyens de faire autrefois. J’aimerais lui faire comprendre que nous sommes des adultes, et que plus rien ne pourrait désormais s’opposer à notre rêve, sinon nous-mêmes. Peut-être aussi lui faire comprendre qu’en le réalisant ce rêve, nous donnerions alors un sens à tout ce qu’ont enduré les adolescents que nous avons été. Voilà, toutes ces choses que je ne lui dirai pas, parce que c’est à elle de déterminer seule ce qui est bon pour elle. Tout cela était plus ou moins contenu dans la lettre que je lui ai envoyée, mais demandé de ne pas lire après coup, ainsi dans la version améliorée que je comptais lui envoyer ensuite, et que je n’enverrai pas, au final. J’espère qu’elle acceptera de me revoir, et que nous passerons un bon moment. J’espère qu’elle trouvera le courage de me dire non, non pour la vie, comme elle avait su trouver autrefois celui de me dire oui. J’espère qu’elle n’entretiendra pas mon espoir par des sous-entendus, des « un jour peut-être si la vie le veut » et autres points de suspension. Alors, j’espère, n’ayant plus le moindre espoir, je l’oublierai. J’espère. Ecrit par Barjac, le Dimanche 29 Août 2004, 15:49.
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