Etrange sentiment, ce soir. Par la fenêtre, du haut de cette tour, je regarde les rues désertes, et c’est ma vie, là en-bas, dans le silence et l’obscurité. Solitude. Toujours, où que j’aille, j’ai rencontré l’amitié. De ces amitiés au singulier, exclusives. Toujours, j’avais mon pote, et nous formions un couple, ensemble chaque jour, riant des mêmes choses, échangeant les mêmes idées. Il y a eu Nico, puis Ch., puis Guillaume, puis Fred. Et aujourd’hui, pour la première fois peut-être, il n’y a personne. Alors ma vie est une grande étendue vide, un ciel où l’on chercherait en vain la lueur d’une étoile. Je comprends maintenant pourquoi j’étais si déçu l’autre soir. Jane était la seule personne que je connaissais bien ici, et j’ai cru un instant, grisé par l’alcool, qu’elle deviendrait l’amie. J’ai compris dés le lendemain qu’il n’en serait rien, et cela m’a fait de la peine. Et plus encore ce soir, j’ai de la peine, dans ce pays où l’on ne parle pas ma langue, où la nature de mes études fait que je ne rencontrerai que très peu de gens, et l’idée de passer deux ans, peut-être trois, dans ce désert affectif, me fait peur. Je tremble de voir la liste MSN vide, je tressaille de joie quand mon téléphone sonne, même si ce n’est qu’un texto de Jane pour telle ou telle soirée. J’aimerais avoir un pote, un vrai. Ce soir j’irais le voir, demain, on irait faire trois courses ensemble, ou bien boire un verre. On parlerait de choses qui nous sont communes, on se comprendrait. Un Nico, un Guillaume, un de ceux qui ont de l’amitié cette même conception très forte. Et je me rends compte à quel point mon besoin d’attachement est grand, désespéré. Je me sens misérable, d’avoir tant besoin des autres. Il est parfois si dur de se maintenir dans sa condition de solitaire. Et l’on a beau tout faire, rien ne remplace l’homme. Ni l’écriture, ni les relations virtuelles. Il n’y aura jamais dans tout cela quoi que ce soit qui puisse répondre à mon attente, celle d’un regard, d’une voix, d’une présence. Quelques mots échangés, à minuit, sur un banc. Quelques mots échangés, à minuit, dans un champ. Quelques mots échangés, à minuit, dans une grande ville. Et toujours cet ami qui fait du monde un plein, sans qui il est un vide. Combien de temps tiendrai-je, avant de tout plaquer, comme à l’école, avant, et de dire : s’il vous plaît, rendez-moi ma maman, je veux rentrer chez moi. Serai-je un jour un homme ?