Parler, parler, parler. C’est un peu comme si, au bout de 24 ans de vie humaine, je quittais un fauteuil roulant pour marcher sur mes propres jambes. Bien sûr, ce n’est pas seulement le fauteuil. C’est aussi le sol, qui a changé. Parler, c’est parler à quelqu’un. Parler, c’est parler à un ami. Nico, cet été. Puis Jane, ici. Encore une soirée passée à discuter. De vingt heures à trois heures du matin. Plus besoin d’alcool, désormais. J’en ai rêvé, de ces conversations qui n’en finissent pas, et peu importe ce que l’on dit, c’est l’humain qui s’échange. Echanger nos points de vue, échanger des bribes de nos histoires personnelles, retrouver Sophie et finir la nuit devant un thé vert dans la cuisine. Regards, sourires, mots des uns et des autres. L’amitié, les gars, l’amitié. Et l’amour peut bien aller se rhabiller. Jamais l’amour n’apportera autant que l’amitié. On peut s’aimer sans se comprendre, sans se dire. On a même parfois plutôt tendance à se taire, pris au piège du rôle qu'il nous incombe de jouer. J’aurais aimé arriver jusque-là avec Ch., pourtant. Jusqu’à l’âge où l’homme apprend à parler, comme le fit l’enfant bien avant. On aurait eu des choses à se raconter. Mais Ch., c’était de l’amour. Du cinéma, du sentiment, des violons pleins les balcons. L’amour, c’est ne voir que soi, et la personne aimée. C’est s’enfermer dans quelque chose, se retirer du monde. C'est être seul à deux. L’amitié, c’est le contraire. Les portes s’ouvrent, et l’on est au monde. Les mots se mêlent, et les regards, et les pensées, et l’on est heureux d’être là, de croiser les jambes sous la même table. C’est calme, c’est tiède, ça sent le thé, le miel. Ca a le goût du rire. Appartenir non pas à une personne, mais à des idées, et se sentir lié à des gens par elles. Ecouter, proposer, conseiller. Etre écouté, conseillé. Humblement. Patiemment. Choses que ne sera jamais l’amour. Etre compris, compris, c.o.m.p.r.i.s, et l’on en pleurerait de soulagement. L’amitié, les gars, l’amitié. Et l’amour peut bien aller se rhabiller.

(Et pourtant, quand je les quitte, que le charme se rompt, allongé seul dans le noir, les bras autour de mon oreiller, n'est-ce pas ton absence que je ressens ? Cela ne cessera donc jamais...)