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D'ailleurs.
Debout dans la cuisine vide, du haut de mes dix-sept étages, je regarde la ville, le reflet des feux rouges sur les avenues trempées, et je me sens d’ailleurs, une fois encore. Non, ce n’est pas chez moi. Ce n’est qu’un asile temporaire sur une route que je sais désormais ne jamais devoir s’arrêter. Il fut, il fut un temps où tout semblait aisé, où tout semblait tracé, où le monde était clos. C’étaient ces quelques champs, ces pelouses du lycée où l’on s’attardait les soirs d’été, c’étaient ces visages, une poignée d’amis qui revenaient sans cesse comme les chevaux des manèges. C’était avant, bien sûr. Avant de se mettre en route. Je ne parviens pas à me souvenir, mais je sais qu’il est plus d’une histoire où le protagoniste part un matin comme tous les matins, pour faire un trajet qu’il a déjà fait mille fois, et à aucun moment il ne pressent qu’il ne reviendra jamais. Alice, Ulysse, mais ceux-là sont revenus.

A Rennes, rien n’avait changé. J’ai retrouvé les mêmes gens, qui fréquentaient les mêmes endroits, parlaient des mêmes choses, comme si le temps dépendait de l’espace, et qu’un espace clos imposait un temps immobile. Nico était toujours avec Sab, Ben travaillait toujours à la boucherie, les gars du foot étaient encore les gars du foot, Ch. habitait toujours sur cette petite route perdue dans la campagne. Comme si quatre ans plus tard, les nouvelles photos venaient se superposer parfaitement aux anciennes. Ces gens qui naissent et mourront dans la même ville, et dont le monde se limite à un village, une poignée d’enfants qui deviendront hommes puis vieillards, ensemble, sans avoir conscience qu’il y a au-delà de l’autoroute encore d’autres villages, et d’autres autoroutes, et d’autres hommes, même que si l’on marche longtemps, les visages, les langages changent. Mais cela ils l’ignorent, et j’envie leur bonheur. Je n’aurai jamais cru, en partant, que je me mettais en route pour toute la vie. Qu’en quittant mon chez moi, mon monde, mon village, je les quittais à jamais.

J’aime bien Birmingham. C’est en rentrant au pays, puis en revenant ici, que j’ai compris qu’il est plus facile d’être exilé loin des siens qu’exilé auprès d’eux. Ici, il pleut souvent, et j’aime quand le ciel joue les mêmes accords que ceux que mon cœur fredonne. Je suis gris en dedans, et sous la pluie je chante, même si j’aimerais… Retrouver le village, retrouver le bonheur de celui qui n’a pas même à l’idée qu’il pourrait un jour partir. Retrouver l’ami avec lequel je devais chanter pour les copains, retrouver la jeune fille qui attendait avec moi le jour où l’on serait assez vieux pour avoir le droit de se marier. Retrouver ces champs, ces arbres, ce ciel gris, cet espace limité où l’on se sentait bien. Où l’avenir était sûr, demain rien qu’un autre aujourd’hui, et du bonheur jusqu’au bout du chemin. Ici, c’est plus facile. Je regarde les gens à travers la fenêtre de la culture, du langage, et je ne me sens pas d’eux. Mais il pleut souvent, alors en fumant, j’écoute le murmure de l’eau sur les toits. Et même si je suis seul, je n’ai pas à expliquer à l’ami qui m’accompagne pourquoi au fond de moi, tenace comme l’odeur du tabac dans les vêtements de laine, je me sens seulement de passage. Pourquoi je ne resterai pas, pourquoi je ne le peux pas. Ni ici, ni ailleurs.

Alors, oui, je m’accroche à Ch. Parce que tout a commencé en la perdant. Avant, même l’éloignement n’était que temporaire, n’était qu’un obstacle. Mais bien sûr, je reviendrais au village, retrouver les amis, l’épouser, et l’on vivrait heureux une vie d’hommes simples. On ferait des enfants qu’on regarderait grandir, on mangerait ensemble le soir, on rirait le dimanche. Mais tout, tout a changé. Quand je retrouve les gars du village, il y a entre eux et moi tous ces pays que j’ai traversés, tous ces hommes que j’ai rencontrés, ces inconnus avec lesquels j’ai ri, puis salué au matin, en reprenant ma route. Je suis celui qui ne vient de nulle part, celui qui n’est plus d’ici, mais pas non plus d’ailleurs. Celui qui ne sait pas où il va, qui suit seulement la route, et l’on verra bien où elle mène. Et ce ne sont que portes qui s’ouvrent sur des bras tout aussi ouverts, portes qui se referment sur des visages graves auxquels on promet qu’on reviendra bientôt. Et l’on sait que c’est faux. Qu’on reviendra, bien sûr, mais jamais comme ils voudraient. J’envie tous ces gens qui ont un chez eux, qui savent où ils s’installeront plus tard. Pour être près des gens qu’ils aiment. J’envie ceux qui ont quelqu’un à aimer. Moi, moi j’ai Ch., Ch. que je n’épouserai pas, Ch. qui était mon ancre, et sans ancre, on dérive jusqu’à ce que l’usure achève de dévorer la coque, et que le bateau coule. Où serai-je demain, je n’en sais rien. Je sais seulement que ce sera ailleurs. Quand ils regardent un paysage, ils ne voient que ses collines, et cela met de la joie dans leurs cœurs parce que ce sont leurs collines, et qu’elles resteront là pour vieillir avec eux. Quand ils regardent un paysage, moi je les regarde eux, bras dessus bras dessous, et ils savent que ces bras deviendront secs, usés, mais ne cesseront jamais d’être unis. Il fut un temps où j’étais l’un des leurs, il fut un temps.

Qu’est-ce qui fait un « chez soi », me demandait Jane. Ce qui fait un chez soi, ce sont les yeux d’une fille, et puis, à moindre échelle, la voix d’un ami, les blés du pays qui nous a vu consumer notre enfance dans la joie… J’aurais aimé que ce soit un roman, qu’il y ait une belle fin, qu’Ulysse retrouve Pénélope, j’aurais eu tant de choses à lui raconter, tant de choses sur le monde au-delà des frontières du village, celui qu’elle ne connaît pas. Tant de choses qui entre elle et moi auraient fatalement mis un silence triste. Le monde m’a changé, je ne le sens que trop. Mais je préfère rêver, croire que je pourrais redevenir enfant, oublier que le monde est plus vaste que ce que j’en connaissais alors, croire qu’en retrouvant ses bras, je retrouverais un chez moi. Oublier quelques instants que l’Odyssée n’était qu’une légende, et que dans ce monde-ci, de sirène en sirène, on finit par se perdre, ou par devenir fou. Et oublier qu’Ulysse en regardant la mer, regardait vers la femme qu’il aimait, vers la femme qui l’aimait, quand moi je ne regarderai jamais que vers la mer.

Ecrit par Barjac, le Jeudi 28 Octobre 2004, 02:13.
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