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« On n'oublie rien, de rien... »
27/12/2004 — Elle me ronge, elle m'obsède, elle me hante, m'habite, m'empêche de grandir. Elle me réveille au milieu de la nuit, une fois par semaine environ, et me maintient éveillé jusqu'au matin, quand dans l'oreiller je n'ai plus de larmes à enfouir. Elle ressurgit au détour d'un mot, d'une chanson, d'une promenade. Elle n'est jamais bien loin, présente dans chaque cigarette que je consume lentement, le regard dans le vide.

Plus le temps passe, et plus je me dis que ce n'est pas seulement elle. Que c'est autre chose, que c'est moi, ma façon d'être. Mon attachement au passé, cette angoisse viscérale du temps qui s'écoule, inlassablement, dans le même sens. Elle est le visage de mes craintes, un nom sur mon adolescence vécue à rebours, le fantôme de celui que j'osai encore appeler moi, un « moi » lancé à la face du monde comme un cri de victoire.

Il me faut l'écrire. Coucher sur le papier ces souvenirs qui me bouleversent. Ne nous leurrons pas : il ne s'agit nullement d'un remède. Cette histoire est une maladie qui n'en possède pas, je ne le sais que trop bien. Il ne s'agit pas d'arranger les choses, au contraire. Il s'agit d'y replonger pleinement, sans plus essayer de me retenir. Sauter du haut du pont, parce que c'est ce dont j'ai envie. Prolonger l'histoire, dans ma tête ; c'est tout ce que je possède. J'ai lutté, essayé vainement de la chasser, de vivre autre chose, de recommencer sans elle. Mais elle est là, sans cesse, telle un spectre aux yeux noirs et même si elle n'est qu'un rêve, c'est un rêve que je désire étreindre de toutes mes forces. Il me suffit de fermer les yeux, pour la retrouver ; la ligne rose de ses lèvres, la courbe blanche de ses épaules, l'odeur de son parfum, celle de sa peau. Ce n'est pas Ch. pour qui j'éprouve cet amour d'homme fou, c'est pour son souvenir. C'est un amour qui n'aura plus jamais la saveur vivante, violente, d'un baiser, l'odeur tiède d'un corps auquel on s'accroche avec un désir qui s'épèle « désespoir ». Mais c'est un amour dont je pourrais faire un livre.

Le roman ne s'y prêterait guère, car trop long, trop linéaire. Etre exhaustif serait fatalement se répéter. On n'aime pas bien différemment le mardi du lundi. Et la répétition tuerait inévitablement l'âme de l'histoire. Raconter chaque baiser serait absurde. Un baiser unique marquera bien plus qu'une infinité de baisers dont la multitude effacera l'intensité. Il suffit d'en dire un pour les avoir tous dits. Ce sera donc un recueil de nouvelles. La nouvelle permet d'isoler un instant précis, et d'en tirer toute la moëlle, tout le présent, toute la vie. Chaque nouvelle exprimera une des facettes de ce que nous avons partagé. J'éviterai ainsi de tuer le sentiment en le noyant dans la répétition. Par ailleurs, le caractère fragmentaire d'un recueil exprime parfaitement le mécanisme du souvenir : sélectif, imprévisible, non ordonnée, focalisé sur des événements bien précis. Chaque nouvelle sera illustrée d'une photographie en noir et blanc. Les photographies seront des images des lieux passés au présent. Il conviendra d'y faire sentir l'absence des personnages, l'impact du temps qui a effacé, du moins pour l'oeil, leur histoire. Il y aura, ainsi, dix années d'écart entre le temps du récit et celui de la photographie. Mais les photographies seront des décors que, l'espace du texte, les fantômes reviendront hanter de leur amour. Le décalage entre ces deux temps, temps des mots et temps de l'image, montrera que l'on ne peut empêcher le présent de devenir passé. Mais qu'on peut, pourtant, l'empêcher de mourir. Qu'il n'est qu'une mort : l'oubli.

Sans doute aussi, ce sera un appel. L'espoir qu'un jour, si ce livre en vaut la peine, quelqu'un le publie, et qu'il puisse arriver jusqu'à elle. Pleurera-t-elle ? Sans doute. Qu'en retirerai-je ? Je n'en sais rien. Peut-être un jour trouverai-je chez un libraire d'autres nouvelles, d'autres photos. Dont elle sera l'auteur. J'en sourirais, je crois. Comme au temps où nous écrivions ensemble, des histoires, des lettres. Nos plumes sur le papier comme nos corps sur les draps : luttant avec la mort. A deux.

Il faudra retourner là-bas. Nico habite à cent mètres de notre lycée, il sera facile de s'y introduire en passant par le parc ; je suis certain que le trou dans le grillage y est toujours. Autrement, je passerai par dessus. Le collège n'est pas bien loin non plus. Il n'est de lieu où notre histoire s'est déroulée que je ne puisse atteindre, maintenant que je suis adulte. Rennes, Angers, Aix, Marseille, Paris. Mon ancienne maison, la sienne. Je sais comment y acccéder, j'y ai autrefois commis plus « d'effractions » que n'importe quel voleur... De l'argenterie, cachée dans le buffet, j'aurais sans doute tiré un bon prix. Mais dans la chambre du haut, guettant à sa fenêtre les trois éclats brefs de ma lampe de poche, se tenait un trésor d'une toute autre valeur. Le chien se souviendra-t-il de moi ? J'espère que Nico m'accompagnera, en Bretagne. Revenir seul sur ces lieux m'effraie un peu.

L'on me dira peut-être fou, ou bien poète. Et j'avoue qu'une telle entreprise sort un peu du cadre prédécoupé qui devrait régir mon existence d'adulte responsable. Je ne pense pourtant pas avoir à la justifier, ni à la critiquer, pas plus que je ne le ferai de ma couleur de cheveux ou de celle de mes yeux. Ce n'est pas une chose que j'ai choisie, et ce n'est pas non plus quelque chose que je puis changer, n'est-ce pas ? Je suis ainsi, il me faut faire avec. Le faire du mieux que je peux. Ceux qui me disent qu'il faut laisser le passé dormir ne comprennent pas. On peut laisser le chat dormir ; si le chat n'en a pas envie, il ne dormira pas. Ce n'est pas par l'effort de leur volonté qu'ils oublient le passé et vivent au présent. C'est simplement parce que leur passé dort de lui-même. Question de nature, de vécu, sans doute. Le mien ne dort pas, et ma volonté n'a pas le pouvoir de l'assommer. De même qu'il est des gens dont le corps ne produit pas assez d'insuline, le mien ne produit pas assez d'oubli. On fait de l'insuline en seringue, et de l'oubli en bouteille, mais cela ne guérit pas. L'écriture non plus, mais elle permet au moins d'évacuer l'excédent de passé sans donner mal au ventre. C'est, de loin, la meilleure solution.

Des fois, je me demande s'il est vraiment un Dieu là-haut. Parce que s'il en est un, alors le fait que j'aie perdu Ch. doit posséder un sens. « Les voies du Seigneur sont impénétrables », bien sûr, mais il est dit aussi que tout ce qu'Il fait, Il le fait pour le bien de l'homme. Quel bien retirerai-je de cette perte ? Certes, c'est un sujet d'inspiration créatrice inépuisable, mais quel bonheur sera-ce jamais, comparé à celui que connaîtra l'homme qui fera sa vie avec Ch. ? J'aimerais, à défaut de pouvoir laisser ce poids derrière moi, en comprendre le sens. Y aura-t-il un nouveau « nous » ? Il a fallu nous y reprendre à trois fois pour arriver à nous aimer, et nous nous contenterions d'une seule rupture ? Oui, mais c'était le temps, le temps où l'on se voyait chaque jour, et même si les années passaient, le fait de continuer à se voir contribuait à entretenir cet amour que l'on se taisait. Aujourd'hui, on ne se voit plus. Et je doute qu'on se voie plus demain. Et si l'on se voyait ? Régulièrement ? Cela changerait-il quelque chose ? Je glisse sur une pente savonneuse, glisse, glisse, et Dieu – que Tu existes ou non – que l'ivresse est douce de se sentir descendre si vite, Dieu que l'ivresse est douce !

Donne-moi un ravin
Pour y finir ma course,
Au milieu des sapins,
Sous l'oeil surpris d'un ours.

Ecrit par Barjac, le Vendredi 31 Décembre 2004, 21:27.
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