Soirée School Daze. L’uniforme d’écolier était de rigueur ; nous avions, pour les garçons, sorti chemises blanches et cravates foncées, pour les filles jupes (trop) courtes et chemisiers. Au pub, je retrouve Steve et Dave, et l’on attaque nos premières pintes, bientôt rejoints par Mark et sa copine. A 22h, je quitte mes amis musiciens pour retrouver Jane, Sophie et Thomas, pour qui j’ai des tickets, et l’on gagne la soirée. La piste de danse étant vide, on descend au pub de la fac, où il y a plus de monde. Là, je délaisse Jane et les autres pour retrouver mes potes du groupe, et les filles qui les ont rejoints : Emma, et puis deux autres dont je n’ai pas retenu le nom.

J’observe Steve et Emma. A la répète, Steve n’avait pas la frite, et je sais que c’est en partie à cause des sentiments qu’il a pour elle. Ils dînaient ensemble hier soir, mais malheureusement pour mon ami, elle a refusé ses avances. « Temps de passer à autre chose », nous a expliqué Steve, dans un soupir. Sagesse des hommes tristes. Je le comprends, le pauvre. Emma est une fille aussi jolie que sympathique. Et qui plus est, ce qui est rare pour les filles de son âge qui ne sont pas encore femmes, elle a du style. Dans sa façon de s’habiller (elle est une des rares à la soirée à savoir être sexy sans être vulgaire), dans sa façon de parler, de se comporter. Je me dis qu’au fond, il ne doit pas être bien difficile d’avoir des sentiments pour elle. Qu’il ne me serait pas difficile d’en avoir. Idée que je chasse non sans quelque honte, à cause de mon ami.

Hier, je prenais un pot avec Emma et Steve. Steve s’absente quelques instants. Elle me demande alors si j’ai une petite amie, au pays. Ce soir, seul avec elle à nouveau l’espace de quelques minutes, elle veut savoir si je trouve aucune fille jolie. Je dois reconnaître qu’elle a le don pour me mettre à l’aise… J’ai honte d’avouer cela, mais je lui trouve vraiment quelque chose. Honte, parce qu’il y a moins de 24 heures, un ami qui m’est cher souffrait de s’être vu rejeter par cette fille. Honte parce que j’ai l’impression de trahir Steve. C’est son amie, c’est la fille qui l’attire. Je garde les yeux sur mon paquet d’allumettes, parce que j’ai peur qu’ils aillent chercher les siens, peur qu’elle le voie, peur que Steve le voie. Il faut me pardonner, elle a de si jolis yeux, deux grands yeux d’un bleu très pâle. Et des cheveux, rouges comme des flammes, une peau blanche de rousse…

Au fond de moi, je rêve. Je rêve de la prendre dans mes bras, et je me sens coupable. Je me demande ce que je ferais si j’apprenais qu’elle me trouve aussi quelque chose. Choisir entre l’amitié, et donc ici, mon groupe, et l’amour. Aurais-je le courage de refuser, par honneur, et pour préserver ce qui m’est cher : Steve tout autant que le groupe ? Et pourtant, pourtant, je voudrais qu’elle soit là, allongée sur mon lit, et juste du bout du doigt, effleurer une mèche de cheveux qu’elle doit laver chaque soir dans le soleil couchant. Chasser de telles pensées. Ne pas chercher un sens à ses questions. Ce n’était bien sûr que pour meubler le vide. Mais pourquoi ne pas demander autre chose, ce que j’étudie, des trucs en rapport avec le groupe. Pourquoi de telles questions, et pourquoi chaque fois lorsqu’il n’y a plus personne autour ? Pour rien, mon vieux, pour rien. Ne t’embarque pas sur un bateau qui file droit sur les rochers. Mais allons, aucun risque. Je n’irais pas, quand bien même je le voudrais, lui dire que je la trouve vraiment charmante. Et, pour une fois, j’ai une bonne excuse. Sauver une amitié. On oublie une fille dans les bras d’un ami, mais oublie-t-on un ami dans les bras d’une fille ? Un ami comprend la souffrance de celui qui aime, mais une fille comprendra-t-elle jamais la souffrance d’un homme qui pleure un ami ?

Et pourtant, pourtant. Même en sachant que ce serait une erreur, même en sachant que ce serait sauter du haut d’une falaise en croyant que l’on va rebondir, pour une si jolie fille, n’abandonnerais-je pas amis, groupe, et tout le reste ? Espérons que je n’aie jamais à choisir. Et que Steve me pardonne cette basse trahison. Les sentiments, hélas, se moquent bien des liens qui unissent les hommes.