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Mensonges
jeudi 06/08/03, encore tôt du matin - Aujourd'hui fut une de ces journées qui comportent tant de bonheur et de malheur qu'on ne sait au final si on les doit qualifier de bonnes ou de mauvaises.
Ceux qui ont lu Rousseau se souviendront de la grandeur d'un homme dont la nature fut sans doute l'un des plus grands ennemis, quand bien même préférait-il voir l'adversité dans la nature humaine, celle des autres. Le lecteur qui se sera laissé porter par le flot des Confessions de Jean-Jacques se souviendra sans nulle peine de cette anecdote où Rousseau, accusé d'un vol qu'il a pourtant commis, pris de panique, se réfugie dans un mensonge aboutissant au renvoi de la servante qu'il accuse à tort d'avoir volé ce même collier de perles qu'il comptait lui offrir. J'ai connu plusieurs fois ce genre de situations, où la peur de la honte vous fait chercher recours dans les plus abjects mensonges. La plus mémorable restant celle-ci. J'étais alors au collège, dans ces jours où l'adolescent sent en lui le besoin de défier l'autorité. J'avais un comportement retors, et devint sur la fin de ces éléments qu'on appelle dissipateurs, bavardant, n'écoutant rien. J'avais la chance d'être bon élève qui valut à mon comportement d'être longtemps toléré - ce que je considère comme une immense injustice, car de bonnes aptitudes ne sauraient en rien excuser un comportement irrespectueux - mais il arrive fatalement un moment où même les plus indulgents perdent patience, et voila comment je me retrouvai avec un premier avertissement écrit. Mes parents le prirent très mal, et on me fit comprendre qu'il était plus que préférable pour moi que cela ne se reproduise plus. Cela se reproduisit pourtant. Une première fois, d'abord : un surveillant me fit cadeau d'un deuxième avertissement, sans doute mérité. Terrorisé à l'idée du sermon qui m'attendait, je m'engageai sur la route facile mais trompeuse du mensonge, et reproduisis la signature de ma mère avec une perfection dont je ne saurais pourtant être bien fier. Je découvris alors le vrai prix du mensonge, et ce qu'il en coûte de vendre son âme au diable. A partir de ce jour, la peur d'être découvert ne me quitta plus une seconde. Le regard de mes parents m'était insupportable, tant j'avais constamment le sentiment qu'ils savaient ; mon sommeil devint gris et tourmenté. J'évitai systématiquement de croiser le surveillant qui m'avait "collé", de peur qu'il ne vérifie que mes parents avaient bien visé l'avertissement et n'aperçoive la duperie, et j'étais constamment sur mes gardes, prêt à me glisser dans le premier recoin se présentant, jamais loin d'un escalier où je puis fuire rapidement. C'était la peur au collège, puis c'était la peur à la maison, puis c'était la nuit troublée, où ma conscience malade me torturait sans relâche. Quand je repense à ceci, je me dis que tout surveillant qui eût pu lire en l'enfant que j'étais, mesuré l'étendue de ma terreur, en aurait immédiatement annulé son avertissement, tant c'était peu de choses en vérité (un bavardage intempestif malgré rappel à l'ordre, qu'est-ce en effet aux yeux d'un adulte ?) et tant les conséquences sur moi étaient grandes. Mon comportement ne s'améliorant pas pour autant (il faut bien croire que j'avais décidé d'en découdre avec l'autorité), un troisième avertissement rejoignit le second, que je falsifiai cette fois avec une expérience qui me dégoûta. Je n'avais pas le choix. Celui qui s'engage dans la voie du mensonge ne voit au début que l'illusoire solution de facilité que celui-ci apporte au problème. Il découvre ensuite qu'on ne soustrait pas à un mensonge. On y ajoute obligatoirement. Ainsi j'étais, un petit mensonge en amenant un plus gros pour le couvrir, et ainsi de suite. Je mentais parce que j'etais engagé dans une direction de laquelle je ne pouvais plus m'échapper, et chaque nouveau mensonge augmentait ma vitesse vers une chute qui, j'étais suffisamment lucide pour le comprendre, ne pouvait être que désastreuse. J'avais le choix entre être découvert, et cette effroyable perspective me poursuivait chaque nuit dans mes cauchemars, et ne pas l'être, alors condamné à vivre avec une conscience de traître qui ne cesserait de me tourmenter. Le dénouement de cette histoire arriva un soir où ma mère voulut s'enquérir de mon emploi du temps, et, blême, je lui tendis le carnet dans lequel mon méfait brûlait de sa flamme mauvaise. Je crus m'en sortir lorsqu'ayant trouvé l'information, elle reposa le carnet. Mais soudain, presque avec désintérêt, elle se mit à le feuilleter, et je sus que ç'en était fait de moi. Elle tomba sur les avertissements, découvrant avec surprise les deux nouveaux, et avec stupeur qu'ils étaient tous deux signés de sa propre signature. Il y eut des cris, il y eut des larmes, je courus me cacher derrière un canapé, recroquevillé dans cet abri que j'aurais voulu me couvrir, m'engloutir, comme il est dit dans l'Apocalypse : "Et ils disaient aux montagnes et aux rochers: Tombez sur nous, et cachez-nous devant la face de celui qui est assis sur le trône, et devant la colère de l'Agneau; car le grand jour de sa colère est venu, et qui peut subsister ?". Ainsi j'étais, misérable, couvert de honte, anéanti, provoquant de ma propre mère les larmes, je ne méritais pas même d'avoir vu le jour, et révélant par mon crime l'étendue du gouffre qui me séparait de parents qui avaient cultivé en moi la crainte bien plus que l'amour. Mon père rentra tard, et j'avais filé dans ma chambre sitôt le repas terminé, pour échapper à un courroux que j'imaginais des plus terribles. J'avais trahi, j'allais être au moins fusillé. Je ne le vis que le lendemain, et il ne me parla pas même de cette histoire. Bien des années après, je sais qu'il eût été bien mieux pour moi que je subisse sa colère, car elle est dans l'ordre normal des choses. Mais il n'y eut rien. Et ce rien, dans mon souvenir, m'est aujourd'hui bien plus triste qu'une correction dont j'eus pu aujourd'hui rire avec ce père autour d'une bière, car il était tout ce qu'il y avait alors entre mon père et moi, ce qu'il y a toujours eu, ce qu'il y aura sans doute toujours entre lui et moi : rien. J'irai un jour enterrer un étranger, peut-etre même un homme formidable. Enfin, il n'est pas mon objet de dresser la liste de mes regrets d'enfant, quand bien même s'y trouve probablement la clé de ce que je suis aujourd'hui, de mes peines les plus profondes à mes joies les plus vives, des mes complexes les plus refoulés à mon comportement parfois encore étrange. Si j'ai aussi longuement relaté cette aventure malheureuse, c'est pour faire saisir à mon lecteur avec quelle force les racines de la honte et de la crainte enserrent, compriment, emprisonnent mon être. J'ai dit au début de ce texte que cette journée avait été à la fois heureuse et malheureuse, et ce dans des proportions généreuses. Ayant ouvert mes souvenirs à mon lecteur pour lui permettre d'appréhender au mieux cette personnalité parfois (souvent ?) malade qu'est la mienne, je puis à présent lui livrer le récit de ma journée en espérant qu'il m'accordera son indulgence. Je me levai tard, suite à la soirée salsa de la veille, heureux de voir le soleil déjà haut dans le ciel d'Août, pressé d'être au soir, car Chiara devait partager notre repas. Fred avait envie d'aller chez le coiffeur, et je dois avouer que je commençais à avoir des mèches dans les yeux ; il était temps pour mon cheveu aussi d'aller goûter du ciseau. Nous trouvâmes de la place chez un coiffeur désert des Palassades, centre commercial du centre ville, et fûmes bientôt tous deux sur une chaise, occupant toute la main d'oeuvre du petit local. Je me voyais déjà ressortir avec une coupe parfaite, style film des années 30, il ne me manquerait plus que le Borsalino et le complet en tweed pour que plus aucune italienne ne me résiste. Hélas, je dus rapidement me rendre à l'évidence, ma coiffeuse était à peu près aussi coiffeuse que je suis violoniste. Elle maniait les ciseaux avec maladresse, n'égalisait pas, et semblait passablement peu intéressée par ce qu'elle faisait. Je sortis donc une demi heure à peine plus tard, aussi bien coiffé que si un parkinsonien s'était servi de ma masse capillaire pour essayer sa nouvelle tondeuse, et profondément déçu, car mon film en noir et blanc ne pouvait plus être qu'un Chaplin, et les Chaplin ne séduisent que les mendiantes aveugles, pas les belles italiennes. Je rentrai chez moi, et fit la grimace devant le miroir. J'avais l'air d'un poussin qui vient de naître, moins jaune mais tout aussi ébouriffé. Il fallait que le jour où j'avais besoin de me faire beau, on m'enlaidisse. Aussi je pris la décision d'arranger les choses moi-même. Avec pour tout instrument de travail mon Gilette, j'attaquai le gros-oeuvre par la face "visage". Je parvins rapidement a circonscrire le désastre, et j'étais assez fier du résultat. C'était au moins présentable. Ensuite, j'attaquais la face "dos", et ce fut plus ardu, n'ayant pour second miroir qu'un CD, qui me renvoyait une image irisée de la réalité qu'en toute autre circonstance j'eus trouvée agréable, mais qui là, précisément, était insupportable. Je fis tant bien que mal pour raccourcir les nombreux cheveux que ma pseudo-coiffeuse avait négligé de couper. Hélas, ce qui devait arriver arriva. Trompé par le reflet arquenciellisé et peu net, j'eus deux coups de rasoir malheureux, qui firent deux trous non moins malheureux dans ma blondeur. Catastrophe irréparable. J'avais craint d'avoir l'air peu soigné, j'avais maintenant l'air ridicule. Pestant contre cette mauvaise fortune qui fait que c'est le jour où vous voulez plaire que les coiffeurs sont impotents, je m'en fus rejoindre mes camarades. L'étendue des dégâts était apparemment pire que mon CD-miroir ne me l'avait montrée. On fut sidéré, on me plaignit tout d'abord, on trouva ça désastreux. Et l'on me demanda comment cela était arrivé. Alors, encerclé par la honte et la panique, je mentis. Je mis sur le compte de la coiffeuse le résultat de mes mésaventures. On s'offusqua, on me dit que je n'aurais jamais du payer, qu'il fallait y retourner, demander des compensations. Je dis que ce qui était fait était fait, que je n'avais pas vu, sans quoi j'aurais fait un scandale, bref, je m'enfonçai davantage dans un mensonge boueux et opaque. Enfin, on s'étonna, car enfin, il fallait être aveugle pour donner pareils coups de rasoir ! Avec autant de dégoût que l'apôtre Pierre trahit son maître, je mentis à nouveau, faisant porter à cette pauvre coiffeuse, certes incompétentes, mais point maladroite à ce point, et surtout innocente, la responsabilité d'un malheur dont j'étais l'unique artisan. Je pris alors congé de mes amis, et, amer, m'en allait fumer sur un banc, retenant des larmes où à la honte d'être défiguré s'ajoutait celle, bien pire, d'être un menteur. Une analyse plus précises des motivations qui me poussent à mentir, chose heureusement assez rare, montrerait que c'est toujours le gouffre qui me sépare des autres qui me pousse à des fins aussi basses. C'était ainsi lorsque je mentis à mes parents, c'est encore ainsi lorsque je mens à mes collègues. Autrefois je craignais la colère, c'est aujourd'hui la moquerie que je fuis par d'aussi vils expédients. Mais si il y a moquerie potentielle, n'est-ce pas parce que je suis loin de ces gens, tout comme j'étais loin de mon père ? A mon frère ou à Guillaume, ces deux personnes qui me sont si proches, c'est avec légéreté même que j'aurais avoué en riant m'être à demi scalpé, tant je sais que ces deux personnes seront toujours avec moi, de mon côté (cf Malraux : "L'amitié, ce n'est pas être avec ses amis quand ils ont raison, c'est être avec eux même quand ils ont tort"). J'etais terrifié à l'idée de revoir Chiara. A vrai dire, je laissais un moment dans la balance osciller la possibilité de ne pas assister au repas, trouvant une excuse quelconque. Mais au diable, ç'en était assez d'être menteur, je n'allais pas de surcroît être pleutre ! Tant pis, je passerais pour un âne à ses yeux, et ce serait fini de la salsa, des films en noir et blanc et de l'Italie. Rien de ce que je craignais ne se passa. Nous allâmes chercher Chiara pour manger, et elle me demanda simplement ce qui m'était arrivé, puis n'y fis plus même attention. Au contraire, elle me parla avec enthousiasme toute la soirée, me parla de notre salsa qui l'avait tant fait rire, et je promis de venir prendre une lecon avec elle, puisque le bar/discothèque en offrait une dans une semaine. Elle était charmante, attentionnée, j'en fus d'autant plus touché que je venais de traverser des heures mauvaises ; c'était réconfortant. Cowboy, qui n'en rate pas une pour me mettre en boîte, mitrailla mon massacre capillaire avec l'appareil de Fred (pas moins de sept photos). Il y a d'ailleurs une chose que je ne m'explique pas, au sujet des photos de cette soirée. Vagelis prit trois photos de Chiara et moi ; je fis l'idiot sur la premiere, puis me ravisai, réalisant qu'une belle photo me laisserait un souvenir agréable de cette fille que je commençais à beaucoup apprécier. Les deux autres étaient bien, pour autant qu'on puisse juger sur l'écran d'un appareil photo. J'avais passé le bras autour de ses épaules, et sur une des photos, Chiara avait posé sa main sur la mienne. D'après Cowboy (Docteur es Séduction), c'est un détail qui ne trompe pas. Pour ma part, je refuse de voir quoi que ce soit ailleurs que dans des mots ou des gestes clairs et explicites. On rend facilement un coeur fou en faisant dire tout et n'importe quoi à des détails. Plus tard dans la soirée, nous avons regardé les photos sur PC, et Cowboy a pu rire tout son soûl sur mon massacre, de ce rire que je lui connais si bien et apprécie si peu ; mais il sait que je ne dirai rien, il en profite. Fort curieusement, il ne restait qu'une photo de Chiara et moi. Celle où je fais le zouave. Je ne veux pas savoir qui a effacé les autres, même si j'en ai une vague idée. Il me serait trop aisé de faire encore un scénario dont je serais la victime. Sans doute Cowboy est-il un peu jaloux à cause de Chiara. Irait-il jusqu'à supprimer les photos de ce qu'il pourrait prendre pour un affront à son ego de mâle ? Je n'ai pas besoin de savoir. Deux belles photos on disparu, restons en aux faits. Et Chiara m'aime bien, ou tout au moins suffisamment pour ne pas rire sur mon dos lorsque cela pourrait m'être douloureux, je n'ai besoin de rien d'autre. J'ai fini la soirée avec Fred au bord du lac. Pour lui c'est dans la poche. Moi, je me garde de toute élucubration. Oui, elle avait collé sa chaise contre la mienne quand on avait tout un pan de table pour deux. Oui, elle s'est vraiment collée contre moi pour les photos. Oui, elle me parle beaucoup. Ca me rend heureux. Ne désirer que ce que l'on nous donne est une clé du bonheur, et j'essaie de m'y tenir. Oui, je regretterai sans doute. Elle ne sera pas la première, ni la dernière à passer comme un courant d'air dans ma vie. Et après ? Si la vie est un voyage, ne suis-je pas un promeneur solitaire comme en fait état Rousseau ? Nous verrons bien. Si elle veut plus, je suis prêt à donner. Mais je ne demanderai pas plus que ce qu'elle voudra me donner. On est plus heureux avec de doux regrets qu'avec un coeur en miettes. Ecrit par Barjac, le Vendredi 8 Août 2003, 11:11.
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