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"Save me from myself"
15/08/03 - Thèse toujours, et coeur achevé par de nouveaux événements. En vrac, je n'ai ni le courage, ni l'envie de faire une analyse détaillée des choses. Ce sera pour plus tard, après la tempête...
Le lecteur qui aura suivi mes aventures jusque-là se souviendra que j'étais fort triste, ayant reçu de Chiara un mail me disant que je ne lui manquais qu' "un tout petit peu". Blessé, j'avais répondu d'un mail hostile que se donner lorsque les sentiments ne sont pas sûrs est une idiotie. Puis m'étais excusé dans le mail suivant de mes mots trop engagés, écrits sous l'effet de la douleur. Jusque-là, pas de réponse de Chiara. Je me levai donc ce matin du 15 août, m'apprétant à faire de cette journée qui est celle de mon anniversaire une bonne journée. J'avais longuement préparé des crêpes la veille pour les copains, et je prévoyais des moments agréables, d'autant que j'avais fini par accepter que Chiara et moi, ça n'avait pas collé ; ce sont des choses qui arrivent, on ne peut pas être "l'homme de ma vie" de toutes les filles qu'on croise. Douleur à peu près calmée, j'arrivai donc plutôt serein au lab ce matin-là, pour sursauter devant mes mails. Un mail de Chiara. Hum, je lus les autres, gardant le meilleur, enfin le plus important, pour la fin. J'étais heureux qu'elle ait accordé au moins un peu d'attention à ma missive. Je m'attendais à un mail du type "nous n'étions pas faits l'un pour l'autre, c'est ainsi". Hélas. Il restait une possibilité que je n'avais que vaguement envisagée et qui eût pu poser encore un peu de poids sur mes épaules déjà lourdement chargée par les émotions des jours précédents. Voilà ce que disait son mail: Il faut croire que tu es devenu fou pendant ces quelques jours. Tu n'as rien compris du tout, peut-être qu'au fond il est vrai que tu es trop jeune pour moi... Lorsque j'ai reçu ton premier mail, j'étais heureuse d'y lire ce que j'espérais, et répondis avec une simple blague. J'attendis ensuite une demi-heure que tu me répondes, mais rien, aussi j'allai me coucher, un peu déçue, pensant que tu avais quelque chose de plus intéressant à faire que parler et jouer avec moi. Ma déception ne fut qu'accrue lorsque je reçus ta réponse. Savais-tu que pendant mon vol pour l'Italie, j'avais perdu conscience ? Je n'allais pas bien ce matin-là, je te l'avais d'ailleurs dit : j'avais horriblement mal au crâne... Sans doute tu n'etais pas assez intéressé pour m'envoyer un mail et prendre des nouvelles de mon voyage ou de ma santé... Encore une déception. Je voulais juste te dire : tu m'as manqué chaque jour depuis que j'ai quitté Birmingham en rêvant à ce que seraient nos retrouvailles. Mais je crois que ça n'a plus trop d'importance. Tu n'es pas celui que je croyais connaître ; j'ai eu de la chance de m'en rendre compte avant qu'il ne soit trop tard. Ne te méprends pas, je ne suis pas en colère après toi. Mais il est vrai que tu m'avais semblé tellement différent... Joyeux anniversaire. Donne mes clés à Vagelis, je lui enverrai un SMS pour le prévenir de mon heure de retour. Merci. Une blague. Juste une blague. Devais-je en rire ? Il y a des tragédies qui sont si pitoyables, si ridicules, qu'il vaut mieux en rire, ouais. Moi, sur le coup, je cherchais plutôt à construire d'urgence une digue avant l'inondation qui menaçait. J'écrivis deux mails. Le premier, à Chiara, pour lui dire que c'était idiot de tout foutre en l'air sur un quiproquo. Le second à ma mère, pour lui dire combien je maudissais ce jour qu'était celui de ma naissance. Puis je partis, plus ou moins décidé à en découdre avec la vie. Je traversai Birmingham à pieds dans un état étrange. Les gens qui passaient autour de moi, le soleil dans le ciel, les gamins dans les poussettes, tout cela me semblait totalement irréel. J'avais décroché. J'étais ailleurs, au centre d'un ouragan qu'ils ne pouvaient pas même apercevoir. Je ne regardai pas en traversant les rues, ne ralentissant pas mon pas, espérant tout au fond qu'un bus arriverait lancé à pleine vitesse pour mettre fin à la plus pitoyable des histoires humaines. En vain. Je rejoignis bientôt le Canal, et entrepris de le longer, on verrait bien quelle inspiration je pourrais trouver à suivre ce long serpent d'eau noire. J'étais l'homme qui avait brisé le coeur de celle que j'aimais, l'homme qui avait brisé mon propre coeur. Je ne pouvais que hair un tel homme. J'étais décidé à lui faire payer, d'une manière ou d'une autre. Je longeai le Canal, marchant sur les quais de halage d'un pas rapide que la rage maintenait constant, les poings serrés, les yeux humides. Je traversai d'abord des quartiers résidentiels, puis des usines, puis des locaux désaffectés aux fenêtres brisées, yeux noirs qui observaient patiemment la fin peut-être d'une vie, puis il n'y eut plus que la voie ferrée, le Canal et rien autour. Le ciel bleu se reflétait dans l'eau noire, et je songeai que peut-être lorsqu'on plonge dans cette eau et que l'on nage vers le fond... on touche ce ciel. Icare. Elle m'aimait, je l'aimais. J'avais brisé la confiance si fragile des débuts avec un simple mail, réponse aveugle à une blague stupide. Nous aurions pu être heureux ensemble, nos sentiments s'accordaient, et j'avais tout anéanti, comme un gamin qui construit longuement un chateau de sable et soudain le piétine, comme un homme qui met le feu à sa propre maison. Je me haissais comme je n'ai jamais osé hair personne. Je me haissais au point d'avoir envie de tuer cette personne qui me faisait tant de mal. J'étais au delà même des larmes, là où tout n'est plus que rage blange et écumante. Mais j'avais besoin d'un endroit seul, et bien que désormais loin de la ville, il continuait à passer de temps à autres un cycliste ou un coureur. J'avais besoin d'être complètement seul pour pleurer. Aussi je continuai à marcher. Le goudron avait laissé place à la terre et à l'herbe, le bruit des machines des usines au silence. J'avais maintenant marché pas loin d'une heure, et je commençais â sentir la fatigue pointer dans les muscles de mes jambes, et avec elle, la rage s'apaisait doucement. Je finis par décider de m'asseoir. les derniers mètres avaient été déserts. Au loin, devant moi, deux corbeaux immobiles m'observaient, noirs sur le chemin de terre sèche. Je décidai de m'asseoir parmi eux. Ils s'envolèrent bien évidemment à mon approche, mais je découvrai dans l'herbe une large pierre, qui sans doute avait déboulé de la carrière au pied de laquelle le Canal coulait imperceptiblement. Je m'y assis et allumai une blonde. Je ne sais pas combien de temps je restai là. Je regardai le vent faire des dessins d'une rare pureté sur la surface sombre de l'eau, seul source de mouvement dans tout le paysage qui s'offrait à moi. Je trouvais cela fort beau, au point que je finis par me dire qu'aller y balancer mon pauvre coeur ne ferait que briser l'harmonie fine de ce spectacle. Je soupirai, et renonçai à mes sombres projets. Puis allumai une deuxième cigarette en haussant les épaules. J'avais encore le coeur lourd, mais ma rage avait passé. Je n'avais plus envie d'aller décrocher les nuages au fond d'un Canal. Je restai sur mon caillou, au soleil, et réfléchis. Cette histoire était ridicule. Pitoyable. Honteuse. Il fallait croire que je me débrouillais toujours pour foutre en l'air mes histoires d'amour (des histoires similaires, mais moins fortes, toutefois me sont déjà arrivées). J'ai peut-être après tout un problème affectif. Je crois qu'en fait je manque terriblement de confiance. Tellement qu'au bout du compte je finis non pas par imaginer les pires scénarios, mais par accepter qu'ils vont arriver, pour y être un peu préparé. Et quand on me tend un piège avec une blague idiote, je fonce dedans tant je suis certain d'y voir ce qui hante mon esprit depuis des jours et des nuits. Je détruis ce que j'aime. Il y a une chanson de BuSH, là dessus... BuSH a toujours des mots qui me conviennent parfaitement. Enfin, porté par le caractère bucolique de mon environnement, je quittai ma chemise - après tout, il n'y avait personne ici - et pris un peu le soleil. Cela me réchauffa un peu. Je fini par rentrer, d'un pas plus tranquille, et je ne vis pas le temps passer qui me ramena à la ville, tant j'étais absorbé dans la contemplation du paysage. Etrange, la façon dont on voit la vie lorsqu'on a presque failli lui tourner le dos. Merveilleux. Sublime. Tout me subjuguait, j'étais comme un petit enfant qui enfile sa première paire de lunettes, et voit, enfin, le monde tel qu'il est, dans toute sa gloire et sa beauté. Pourtant, cette partie peu fréquentée du Canal n'est qu'eau noire et triste entre vieilles usines, murs brisés, mais avec le soleil, c'était suffisant pour me plaire. Je regagnai mon lab. Nous mangeâmes les crêpes, et j'essayais de ne pas penser à elle. Au caractère tellement désespérant de cette histoire. On s'aimait, mais tout était mort à cause d'une blague idiote et d'une réaction inadaptée. Ne pas y penser. Penser que la terre tournait avant Chiara, et qu'elle tournerait encore longtemps après elle. Et moi avec. Penser que y aura toujours une Marlboro dans ma poche, une allumette, un bout de Canal où on peut marcher des heures en silence. Penser que même si je prétends que non, il y aura sans doute encore des belles qui me tourneront la tête, et que je ne les aimerai pas avec moins de force et d'imprudence. Je suis ainsi fait. Koko, mon amie japonaise, m'offrit une petite bouteille d'eau de vie parfumée à la prune (fabrication artisanale...), qui me fut d'une aide précieuse quand vint le soir et que les fantômes d'un bonheur assassiné de la manière la plus stupide qui soit se mirent à nouveau à danser devant mes yeux. Elle et moi au bord du Canal allongés dans l'herbe, elle et moi dans son lit, elle et moi dansant la salsa, elle et moi, elle, un héron qui me regarde de son oeil gris, parfaitement immobile, moi, le ciel dans l'eau dans le ciel, elle, des fleurs qui se penchent au bord du Canal caressées par le vent, caressées, caresser, caresser, moi, deux corbeaux noirs et fixes sur une route de terre blanche qui semble ne jamais s'arrêter unie à jamais à un Canal où coule un sang noir et épais... Je m'endormis allongé sur mon lit, tandis que le plafond tournait, tournait, tournait. Ecrit par Barjac, le Samedi 16 Août 2003, 23:43.
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