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Chiaraventures (3)
Le jour suivant (samedi 23 août), nous ouvrîmes les yeux vers 11 heures, mais curieusement, arrivâmes dans la cuisine aux alentours de 16 heures (oui, l'escalier de la chambre à la cuisine compte un sacré nombre de marches). Nous avions passé la matinée à partager ce qui reste souvent le meilleur dans une relation à deux (selon moi), à savoir les câlins du matin, quand le lit est bien chaud, qu'on a tout notre temps, avec comme prochaine étape la perspective ravissante d'un petit déjeuner complet. Nous mangeâmes donc un brin, puis allâmes faire trois courses, et nous reposâmes sur un banc au bord de la mare du campus, au cours duquel je m'étonnai de la perception modifiée, ou plutôt accrue, que j'avais alors du monde alentour. Tout semblait élargi, je trouvais les nuages magnifiques, le vent dans les feuilles des arbres absolument charmant, et observais tout un tas de détails que d'habitude je ne percevais pas. A croire que lorsque le coeur est au travail, il se met à enluminer non seulement l'être aimé, mais tout le reste, et il n'est rien qui ne soit éclaboussé par le charme de la situation.

Le soir vint enfin, et nous retrouvâmes Cowboy et Mendy pour aller prendre, comme il était convenu, une leçon de salsa. A notre grand dam, la leçon en question n'avait pas lieu au bar Ipanema comme nous le croyions, mais à l'Irish Club, dans un autre quartier (le quartier irlandais, en l'occurrence). Nous errâmes un bon moment, demandant notre chemin à droite et à gauche, et finîmes par trouver ledit club avec une bonne heure de retard. Cela nous permit cependant de prendre une première leçon (car il y en avait plusieurs dans la soirée), et je dois avouer que je trempai la chemise. Je ne comprends pas pourquoi la salsa présente un tel succès, car enfin, c'est d'un compliqué, ce truc, et je trouve ça complètement moins romantique qu'un slow et moins rythmé qu'un bon vieux rock n' roll. Déjà, ça démarre sur une base à sept temps, donc rien de symétrique, de divisible, rien. Ensuite, faut faire des tours, des pas sur le côté, en avant, en arrière, croisés, chassés, épaulés jetés, bref, si tu veux traverser la rue en pas de salsa, faut que tu poses une semaine de congés, tant c'est efficace pour avancer. Les bons moments de la soirée furent réduits à un cidre savouré dans un cadre irlandais (j'ai un faible pour l'Irlande) et un peu d'exercice plutôt marrant. Les mauvais moments furent : Chiara qui m'annonce qu'elle préfère qu'on ne passe pas la nuit ensemble, et le fait qu'il faille changer de partenaire toutes les cinq minutes, en allant de l'adolescente aussi jolie que niaise à la femme sur sa quarantaine fatale (et deux cents kilos de femme fatale qui se déhanchent dans mes bras de lézard, ça me fait toujours l'effet de nager au milieu d'un tsunami : et que je vole par-ci, et que je vole par-là, et on fait tourner sa partenaire, coup d'abdos/fessiers, descente du coude, et me voilà vaincu par KO).

Finalement, nous prîmes la bagnole pour rentrer, et pendant le trajet, me souvenant dans un élan de lucidité que mon temps avec Chiara était limité à quelques semaines seulement et que j'allais devoir passer la nuit seul, je sortis de ma poche le tract qu'on m'avait filé à la sortie, et le déchirant, j'en fis un bateau et un avion, que je lui donnai en lui disant qu'elle en aurait besoin pour venir me voir. Et puis je pleurais sur ma vitre, dans le noir et sans un bruit. Elle ne remarqua rien, mais prit cependant ma main dans la sienne, transgressant sa sacro-sainte règle de ne jamais avoir un comportement amoureux en dehors de l'intimité.

Enfin nous rentrâmes, et je la raccompagnai chez elle. Elle me dit à demain, et soupirant, je lui souhaitai une bonne nuit, et sortis quelque grande phrase pour montrer tant mon désarroi de ne dormir seul que celui de la perdre dans un temps que je sentais s'amenuiser à chaque seconde, puis partis, noble et fier. Ma noblesse et ma fierté en prirent un coup quand je dus me mettre à lutter avec la porte qui refusa obstinément de s'ouvrir. Chiara sourit, et me dit que c'était fermé à clé, et que du coup j'allais devoir passer la nuit avec elle. J'aurais sans doute dû trouver cela mignon, et ça l'était, d'une certaine manière, mais ça m'avait miné le moral toute la soirée, cette histoire de passer la nuit séparé d'elle, et du coup je ne pus m'empêcher de penser que Chiara avait le même genre d'humour que mon chat quand il jour avec une souris. "On ne badine pas avec l'amour", a dit un amant de Georges Sand (et il était pas mal tombé non plus sur ce coup-là, l'Alfred, je pense).

Fatigué par la salsa, je pris une douche froide (car plus d'eau chaude pour quelques jours because travaux de plomberie sur le campus) et j'attendis qu'elle dorme pour pleurer encore sur la malchance qui ne me donnait d'aimer que pour un temps compté. Puis je me serrai près d'elle et m'endormis.

Le soleil se leva sur un nouveau jour (dimanche 24 août), et j'ouvris le premier oeil sur ma douce Chiara, le referma, puis rouvris les deux sur un petit déjeuner grand seigneurial, au lit, préparé par ma charmante compagne. Je fus touché par cette attention (mon premier petit déj au lit en amoureux !), dont je garde un souvenir définitivement empreint d'une immense tendresse. J'ai toujours aimé l'odeur du café le matin, elle me rappelle le samedi, qui veut dire grasse mat', temps libre, loisir. Et quand le café est italien, préparé de main de maîtresse, c'est tout bonnement un régal. L'après petit déjeuner fut consacré à remercier ma douce pour son idée, et nous jouâmes à ce jeu qui consiste à essayer de rendre l'autre encore plus heureux qu'on ne l'est, chacun redoublant de gestes et de mots tendres. Le temps passa, et c'est toujours impressionnant la manière dont le temps passe lorsqu'on est occupé à aimer. C'est à croire que le sablier n'est plus resserré au milieu, juste un cylindre dans lequel les grains de temps s'écoulent à pleine allure, les heures bousculant les minutes, les minutes les secondes, et voilà déjà qu'il est cinq heures de l'après-midi. A cinq heures, donc, nous quittâmes la litière, nous habillâmes, et descendîmes à la cuisine. J'avais ouvert en grand les fenêtres, pour faire sortir le fauve, mais n'eus pas le réflexe de bloquer la porte, qui ne manqua pas de claquer, nous interdisant l'entrée à la chambre, où se trouvaient évidemment les clés. Je n'ai jamais compris à quoi servaient ces serrures qui se ferment automatiquement lorsqu'on sort. Si je sors, je ferme la porte à clé. Si je suis dedans, je peux aussi fermer si j'en éprouve le besoin. Mais à quoi bon avoir une porte qui se referme d'elle-même ? A croire que ça a été inventé uniquement pour qu'on se retrouve bloqué en dehors de chez soi. J'avais un peu craint que Chiara prenne mal la situation -- je commençais à cerner pourquoi on dit que les filles du sud ont le sang chaud -- mais curieusement (et elle en fut la première surprise), elle prit la chose avec bonne humeur. Je téléphonai donc à la sécurité du campus, expliquant mon problème et le fait que je n'avais pas de chaussure, aussi on m'envoya un portier qui n'avait pas la clé et me prit pour un âne, appelai d'autres numéros de personnes susceptibles d'avoir un double, en vain. Alors, armé d'un couteau et d'une barrette à cheveux, j'entrepris de crocheter cette satanée serrure. Il me fallut une bonne heure d'essais infructueux avant de parvenir enfin à faire jouer le loquet et ouvrir la porte. Ce fut un soulagement, et nous jurâmes de ne plus jamais nous séparer... des clés.

Chiara proposa de cuisiner des pizzas pour le soir, et nous ferions un repas romantique. Je filai chez moi, mettre une chemise propre, me doucher-raser-peigner-parfumer, puis m'en revins et nous fîmes notre dîner. Il n'eut rien de romantique, à vrai dire, mais on y rit beaucoup. La table était trop large, il nous fallait nous lever et la contourner pour nous embrasser, nous n'avions pas de chandelles aussi nous mangeâmes dans le noir des pizzas qui avaient refroidi. Mais nous étions heureux d'être ensemble, et c'était suffisant, suffisant pour que ce repas ait laissé dans ma mémoire un souvenir agréable, plus agréable au fond que ne l'eut probablement été même le plus romantique des restos. Nous nous couchâmes tôt ce soir-là, discutâmes un peu, et nous endormîmes en amoureux.

(A suivre...)


Ecrit par Barjac, le Jeudi 2 Octobre 2003, 15:51.
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Commentaires
Anonyme -
Le 05/12/03 à 10:53
bande de psychopathes
Répondre à ce commentaire
Le 05/12/03 à 14:41
J'aurais plutôt dit "psycho-pâtes", étant donné le contexte ;)
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