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13 fenêtres sur mon mur.
Ce soir, je m'assieds devant mon bureau, et j'attends. Enfin je n'attends pas, parce que rien n'arrivera. Il n'y a rien, rien, juste moi, une chaise, une lampe, et la maison endormie tout autour. Moi, et, telle une libellule prisonnière d'une pièce sans fenêtre, ma pensée, virevoltant en tous sens dans mon crâne, se heurtant aux parois, toc, vrombissant avec panique, vrrr, battant de ses ailes l'air de l'endroit pour se donner l'illusion qu'il y a du vent, car le vent évoque l'idée douce d'une fenêtre ou porte ouverte.

Mais il n'y a rien. Une chaise, et moi. Je rêve un moment, je rêve de femmes, ou plutôt je rêve de femme, car ce n'est pas la collection qui m'intéresse. Le collectionneur est un homme seul. Seul cesse de l'être celui qui ne se contente pas de prendre, mais donne en retour. Alors je rêve, bêtement, d'une demoiselle (pas comme celle qui vole, folle, dans ma tête). Elle n'a pas de visage, sinon celui de l'amour, elle n'est pas définie par ce qu'elle est, mais par ce qu'elle n'est pas. Et ce qu'elle n'est pas, c'est tout ce qui est, autour de moi en cet instant. C'est cette pièce, cette chaise, ces murs, cette solitude, surtout cette solitude. Ma demoiselle, c'est tout le contraire, c'est la liberté, c'est la complicité, c'est la lumière du soleil et l'espace des champs, c'est le vert de l'herbe, le bleu du ciel et l'or des blés. Ma demoiselle, c'est le plein, ici c'est le vide.

Sur le mur, en face, un tableau de liège, et sur ce tableau des photos. 13. Pur hasard, je ne les avais jamais comptées auparavant. Trois rangées horizontales. Sur la première, cinq photos, sur la seconde et la troisième, quatre photos.

La photo au centre droit est en réalité une carte postale. Un tableau de Salvador Dali, Impressions d'Afrique. Le peintre s'y est représenté assis en train d'exercer son art au milieu d'un désert au fond duquel on aperçoit des silhouettes avec des faux. Différents plans se fondent les uns dans les autres dans le style caractéristique de Dali, et juste au-dessus de sa tête, on peut apercevoir un portrait de sa muse, Gala. Les autres photos sont réparties en deux époques, non ordonnées sur le liège. Les unes parlent d'Avant, les autres parlent d'Après. C'est curieux, les photos. Ce sont des fenêtres ouvertes sur le passé, des fenêtres par lesquelles soudain, ma liberlule s'évade, trop joyeuse de quitter l'espace d'un moment sa crâge (sic).

Les fenêtres de l'Après sont au nombre de sept. J'ai écrit sept, et puis j'ai compté. Je suis tombé sur sept. Je ne m'en étonne même pas. Hasard, coup de bol, ou travail inconscient du cerveau. Elles sont sept, voilà tout. Ces photos ne me sont que d'un intérêt limité, elles s'inscrivent dans un temps trop proche du présent. Elles datent de l'an dernier, ou de l’année d’avant.

A la gauche de Dali, une vue du paysage que l'on pouvait apercevoir depuis ma fenêtre à Juvisy. Maisons sales, voie ferrée, mais dans le soleil, et parce que j'ai passé deux ans à observer ce paysage, je ne le trouve pas hideux. Il m'est familier. Sans doute avec le temps, j'ai fini par ne plus voir les défauts d'une telle compagne. Les choses que l'on voit tous les jours, on finit par ne plus les voir. On ne remarque que ce qui y change, et ce qu'on y aime. A la droite de Dali, une photo, qui avec trois autres, fut prise à Amsterdam. On y voir de droite à gauche, Jangs, mon pote creusois, Christopher, mon pote franco-anglais, et Shalima, la copine de Chris, une amie Mauricienne parmi les personnes les plus tranquilles que j'aie pu rencontrer. On y voit aussi au second plan Baptiste, qui s'avérerait plus tard être le fils de la directrice de l'école (qui l'eût cru, Lustucru), et Régis, un type intéressant, mais avec qui je n'ai jamais eût des relations très poussées. La photo fut prise vers 4h du matin, au cours d'un voyage étudiant que l'école avait organisé, au pied du bus. Il pleuviotait, il faisait froid, et j'étais heureux de sentir l'air frais après deux cent mille heures de bus à chercher en vain le sommeil.

A la gauche de la fenêtre de Juvisy (la fenêtre au sens propre ce qui est une illustration involontaire de mon interprétation des photos comme fenêtres sur le passé), une vue de l'étage supérieur d'un lit superposé où dort Chris. Amsterdam, encore. faisait deux mètres sur trois, nous le partagions, Chris, Jangs, Shalima et moi. Il était au fond du couloir, et juste avant, une chambre où dormaient des filles, à en juger par les voix que nous perçumes. Je me souviens, c'était 'en rentrant le soir (le seul que nous passâmes là-bas, car la nuit de l'arrivée fut tout simplement zappée). Nous avions bu une bière et essayé la les épices locales, une dose pour quatre, histoire de dire que nous l'avions fait, et peu habitués, la tête nous en tournait quand nous regagnâmes la piaule. Dans le couloir, l'un de nous voulut parler, et un autre lui répondit "chhht", repris par les autres, et nous traversâmes ainsi le couloir en faisant les "chhhht" les plus bruyants qui soient, trouvant cela follement idiot et follement amusant. Je pense que nous réveillâmes nos voisines, ce soir-là, et les entendant protester, mais avec bonne humeur, Chris et moi leur chantâmes quelques chants anglais. Nous étions nous aussi de bonne humeur. Mais nous ne nous aventurâmes hélas pas jusqu'à aller vérifier que leur chambre avait les mêmes dimensions que la nôtre, Chris étant déjà maqué, Jangs fatigué, et moi, bien qu'un coup dans le nez m'ait sans doute procuré l'audace qui me ferait défaut autrement, je n'allais pas non plus partir seul à l'abordage, passez-moi l'expression. Un regret, oui, mais bien vite oublié ce soir-là. On dort vite et bien la nuit qui suit une nuit blanche.

La photos au centre gauche de la rangée inférieure représent Jangs, Chris et Shalima sous la devanture d'un magasin. Il pleuvait à verse ce soir-là, nous étions paumés, trempés jusqu'à l'os, et moi, moi qui aime la pluie et qui aime errer au hasard dans une ville inconnue (le meilleur moyen de la découvrir, à mon sens), j'étais ravi. Ce fut une belle nuit, si l'on omet le passage dans le quartier rouge, que je ne voulais pas aller voir, et qui ne manqua pas de me filer un cafard atroce. La prostitution, que, sans doute un brin féministe, je qualifierai bien plus volontiers d'esclavage sexuel, est de tous les maux de cette terre celui qui m'affecte le plus lorsque je le rencontre, car il touche à ce que mon coeur porte de plus cher, la Femme. Je n'ignore pas que tel que je l'écris, avec la majuscule, il s'agit d'un concept, d'une chose idéalisée, et que la réalité n'est pas aussi belle non plus (d'un autre côté, lorsqu'on se bat, c'est souvent pour des idées, des idéaux, et non pour la réalité). Qu'importe, il n'en reste pas moins que la prostitution atteint directement cet idéal féminin que tout en moi demande d'aimer et de protéger, et me fout la systématiquement la nausée. Je développerai une autre fois mon point de vue sur ce genre de dérives, qui n'est nullement moral, mais humain, c'est à dire non indifférent. Qu'on sache seulement que la vue de filles dans des vitrines illuminées de rouge, d'une demoiselle à laquelle je ne donnais pas 20 ans reconduisant aimablement à a porte un homme à qui je n'en donnais pas moins du triple, qui sans nul doute venaient de faire leur affaire, et celle enfin d'une petite ruelle déserte et sombre où, dans une entrée de cour intérieur quatre jeunes femmes attendaient, la jupe trop courte et l'oeil hagard derrière le maquillage trop épais, fumant méchaniquement dans la lumière blafarde d'une lampe au néon, qu'on sache seulement que la vue de ces choses me rendit plus amer que nul autre mal de notre siècle ne me rendit jamais. Mais passons plutôt à la photo suivante.

La photo au centre droite montre Jangs, seul, assis sur le carrelage du hall du musée Van Gogh. J'aime bien cette photo. Elle n'a rien de particulier, on n'y voit qu'un mu blanc, un peu de carrelage, et mon pote, simplement égal à lui-même. Une photo qui n'a de sens pour personne sinon moi, comme c'est souvent le cas des souvenirs affectifs.

La troisième photo de la rangée supérieure en partant de la gauche est la plus récente. Elle est de moi et date de l'été dernier. On m'y voit avec la boule à zéro à l'exception d'une drôle de crête, excentricité de mon frère qui, me passant ce jour-là la tondeuse, interrompit sa tâche pour faire un clin d'oeil à l'époque punk auquel je me prêtai volontiers. Il va sans dire qu'il termina son boulot ensuite.

La photo à la droite de la précédente est une photo de fille. P'tit Lu, ma copine parisienne, mon premier amour (F. est maire) de l'après (le deuxième s'appelait Chiara et était italienne, mais c'est une autre histoire). Elle fut prise dans ma petite chambre, chambre dans laquelle la pauvre P'tit Lu avait l'interdiction parentale formelle de se rendre (interdiction tellement évidente qu'elle n'avais pas même eut besoin d'être prononcée). Mais l'amour, bien fou est celui qui prétend pouvoir s'opposer à l'amour. Cette photo en témoigne. P'tit Lu m'y sourit, assise sur mon lit pliant plié, et c'est un sourire vers lequel je ne me tourne jamais. Ce fut un amour bref, une chose étrange que je n'ai pas tellement comprise. Nous nous écrivîmes tout l'été (2001), sans jamais nous être rencontrés auparavant (internet facilite bien des choses, peut-être un peu trop), et quand fut venue la fin du mois d'août et de mon stage d'été, je filai à Paris pour rencontrer cette fille pour qui j'en pinçais déjà. Je me souviens d'un jus d'orange au Tuileries, d'un premier baiser sous le pont des Arts, d'un câlin devant Saint-Eustache le lendemain matin, et comme elle était menue dans sa petite robe bleue. Notre amour dura du dimanche au jeudi, date à laquelle j'allais passer la journée chez elle (car elle ne pouvait sortir, et j'étais bien déterminé à la voir coûte que coûte). Je rencontrai alors ses parents. Je les avais eu au téléphone auparavant, et leur avait même écrit une lettre pour les rassurer, car ils étaient de ces gens qui craignent tellement le bon Dieu hors de chez eux qu'ils en deviennent dictateurs à la maison, petites gens, qu'une lettre (sincère au demeurant) avait suffi à mettre de mon côté. Le lendemain de cette journée chez les parents de P'tit Lu, je prenais le train pour rentrer chez moi (elle devant partir le lendemain), et c'est sans émotion aucune que je montai dans le train. Mon coeur avait cessé de battre pour elle.
Cela resta longtemps un mystère pour moi. J'émis diverses hypothèses à ce propos. J'avais été fichtrement amoureux d'elle, au point que j'en pleurai chaque soir de cette douce semaine en la quittant sur le quai du RER, et passai chaque soirée à l'appeler et lui parler d'amour. J'étais accro. La rupture fut si brusque que j'avais du mal à savoir d'où elle venait. Je crus au début que c'était simplement qu'il était encore trop tôt, que quelque chose me raccrochait encore à l'avant, qui m'empêchait d'aimer à nouveau. C'est l'argument que je donnai alors à P'tit Lu, le seul qui m'apparaissait plausible, en lui rendant son pauvre coeur brisé (car si je m'étais bigrement accroché dans l'affaire, je n'étais pas le seul), ainsi que son âge, car elle était malgré tout de quatre ans ma cadette. P'tit Lu resta une amie un moment, le temps pour elle de décrocher. Je consentis à être à nouveau son petit ami, et je la voyais souvent le week-end, mais sans autre bonheur que celui de passer du temps avec une personne que j'appréciais encore (et que j'appréciais d'autant plus que sans elle, c'eût été la solitude totale - oui, j'ai un peu honte de cette conduite, mais au final, elle rendait deux personnes souffrant l'une d'amour, l'autre de solitud, un peu moins malheureuses, non?). Après un rude hiver, elle finit par admettre qu'il n'y aurait pas de printemps pour notre relation, et nous rompîmes. Je n'ai qu'un regret dans cette relation. C'est d'avoir refusé de coucher avec P'tit Lu. Je le refusai parce qu'elle était encore vierge, et que je trouvais malhonnête de le faire avec elle étant donné que mes sentiments pour elles étaient déjà redevenus uniquement amicaux à cette époque. Je lui exxpliquai qu'il valait mieux qu'elle attende, des fois qu'elle rencontre un type qui cette fois l'aimerait vraiment. J'eus tort. J'eus tort, parce que ce qui rend une première fois formidable, ce n'est pas de la donner à quelqu'un qui nous aime, mais de la donner à quelqu'un que l'on aime, chose que j'ignorais encore à l'époque. Evidemment, si on peut avoir les deux, c'est alors le sommum (je parle d'expérience). P'tit Lu donna sa première fois à un inconnu dans un hotel, un mois à peine après notre rupture. C'est cela dont je me sens un peu responsable. Il m'eut suffi de me forcer un peu pour lui donner une première fois qui lui eut laissé, faute de mieux, un bon souvenir. D'un autre côté, qui me dit que j'eus pu ? Ces choses-là dépendent tellement de la tête, chez moi, que, culpabilisant, j'eus probablement connu la panne ou je ne sais quoi d'autre. D'où un désastre, ce qui n'est pas nécessairement mieux qu'un jules jetable dans une chambre d'hôtel. Et puis, cela l'eut sans doute encore plus attachée à moi, et vendre du bonheur sans vendre l'espoir qu'il durera, n'est-ce pas là une belle escroquerie ? Du moins ai-je, malgré mon regret d'avoir peut-être privé quelqu'un d'un grand bonheur (et du malheur qui s'ensuivrait, mais si c'eut été moi, je n'en aurai eu cure), la satisfaction d'avoir agi en accord avec ce qui alors m'apparaissait comme juste. Je n'ai plus de nouvelles à ce jours de P'tit Lu. J'en ai reçu jusqu'à récemment, mais toujours je pouvais y déceler entre les lignes le poids du reproche, aussi rarement j'y donnai cours. Peut-être essayerai-je de la revoir, c'était une fille sympa, après tout. Enfin, je n'y ai pas pensé pendant deux ans, je ne serais pas étonné que demain matin je l'ai à nouveau oubliée...

Les photos qui restent datent de l'avant.

Dans le coin supérieur gauche, en noir et blanc, bras dessus bras dessous, Tibed et moi. Tibed, c'était mon pote d'avant. Y avait aussi Mike, qui parlait jamais, qu'était comme moi, qu'avait le blues. Mais qui savait bien que lui, c'était différent. Un gars d'un village du fin fond de la Bretagne, qui y était né, et qui y mourrait, comme tous ses potes (moi excepté, vu que j'étais pas né là, et que j'avais un ange gardien pour me consoler et me donner la force de me battre). Enfin, j'ai pas photo de Mike, parce que quand j'étais avec Mike, j'étais avec Mike et personne d'autre pour prendre une photo de nous deux. C'était ce genre d'amitié, exclusive, créatrice, partagée à cent pour cent, jour apèrs jour, enfin jusqu'à ce que mon ange gardien ne vienne mettre ses ailes entre lui et moi. L'idée ne m'est jamais venue de le portrayer moi-même, parce que l'amitié, c'est pas une chose dont on puisse penser qu'elle ait une fin. Jusqu'à ce que ça arrive, et alors on a plus l'occasion de prendre des photos.
Enfin, sur cette photo, Tibed et moi, bras dessus bras dessous. En noir et banc, devant une plage de Saint Malo couverte de nuages. Il pleuvait ce jour-là, et par défi, et parce qu'on était breton, que diable, nous nous baignâmes sous la pluie, dans l'eau froide. J'en sortis avec un mal aux oreilles carabiné, à demi glacé, mais heureux et fier d'être un peu con et de l'être avec un ami (l'être seul m'amuse beaucoup moins). C'est elle qui a pris la photo. Elle était restée sur le sable, à discuter avec le type, un pote de Tibed, un grand mou que je qui me laissait indifférent, voire peut-être un peu jaloux de mon ami, mais rien qui m'ait laissé un souvenir significatif.

La photo du coin supérieur droit a été prise dans cette maison (comme celle de ma courte période punk), dans l'entrée. On y voit de gauche à droite, Tibed, mon frangin, elle, et moi. Tous trempés d'être allés faire les marioles sous la pluie une fois de plus. Nous avons tous des gueules à mourir de rire, sauf elle, qui est égale à elle. Les autres, on nous croirait sortis de Dick Tracy. Surtout Tibed, d'ailleurs.

Les deux photos qui font les coins de la rangée inférieure vont ensemble. Elles avaient été prises au départ dans l'intention de faire un panoramique, mais il aurait fallu que je redécoupe, aussi j'ai préfére les considérer comme deux photos séparées. Il s'agit d'un paysage. Et plus précisément de la vue qu'on avait de derrière chez elle. On y voir des champs, assemblés en un patchwork de rectangles de taille et de couleur différentes, vert pout l'orge et le chou, doré pour le blé, au bord desquels des arbres se dressent, misérables, vers le ciel bas et triste où flottent immobiles de lourds nuages gris. C'était comme ça derrière chez elle. C'était la Bretagne. C'était mon enfance. C'était dix ans de liberté, dix ans pendant lesquelles j'ai eu l'impression d'avoir un chez moi, un rôle sur terre, et un objectif dans ma vie. Dix ans de ciel gris, dix ans pour passer de l'enfance à l'age adulte, dix ans pour apprendre à aimer comme on dirait "une vie pour apprendre à mourir". Dix ans et puis un déménagement, et depuis, pas moins de six autres, avec toujours ce sentiment de n'y être que pour un temps. Je ne fais que passer. Je trace une route au hasard, qui ne part de nulle part, et ne va nulle part non plus. L'après. J'ai perdu tous ces amis, Mike, Tibed, j'ai perdu avec eux les témoins de mon enfance, des gens avec lesquels j'aurais aimé, les soirs de ma vieillesse, me remémorer le bon vieux temps, et partager encore avec eux les rires d'antan. Il n'y aura pas de rire d'antan pour mes vieux jours, car de cet antan là, aucun ami ne m'est resté, sinon mon frère, et Dieu sait si déjà nous en parlons, de ce temps-là, et Dieu sait si on le regrette.

Il reste une photo, sur mon tableau. A la droite de la précédente. C'est un polaroïd. Les couleurs y sont brunes et jaunes, comme le bois, chaleureuses. Ce sont les mêmes ton que ceux utilisés dans le tableau de Dali. C'est un hasard. Cette fenêtre-là montre une jeune fille, une fille qui se prit en photo elle-même, dans sa salle de bain, devant son miroir, si bien que cette fenêtre, on a l'impression que c'est elle qui la tient à bout de bras. C'est le genre de fenêtre par laquelle je pourrais me jeter, je crois, tant la fille y est belle et tant elle représente de souvenirs pour moi. Je l'ai montrée à quelques amis très proches, cette photo. Chaque fois, on m'a félicité avec admiration. J'ai cessé de la montrer. Pour deux raisons. D'une part, parce que je ne suis pour rien dans le fait que cette fille ait choisi de devenir mon ange gardien. Mais surtout, parce que de félicitations, je ne mérite en réalité que celle qu'on adresse à un fou, car qui d'autre qu'un fou choisirait un beau matin de fuire son ange gardien ? Cette fille était ravissante, oui, mais elle était bien plus que cela. Elle est à ce jour la seule fille que j'aie rencontrée dont la grande beauté n'ait pas été gage de stupidité. Mais elle est aussi à ce jour la seule fille dont je me sois jamais senti proche à ce point. Elle aussi écrivait. Elle aussi voyait des chevaux dans les nuages. Elle était, dans le domaine de la sensibilité, rendue encore plus loin que moi. Sans pour autant être aussi malmenée par elle que je le suis. Car elle était, derrière son apparente fragilité, d'une force unique. Elle était un ange, un ange gardien. Et je suis un fou, un fou qui erre de place en place depuis le jour où je l'ai quittée. Un fou qui voulait voir le monde, un fou qui avait de l'ambition, qui ne voulait pas vivre et mourir dans le même village. Un fou qui croyait pouvoir apprivoiser la solitude. Maintenant, le fou a vu du pays, et le fou a réalisé que les anges, pas même gardiens, les anges n'existent pas. C'est pourquoi lorsqu'on en rencontre un, il faut le garder. Mais vous savez comme moi que ce n'est pas possible. On peut réaliser ce que l'on a perdu, mais on sait très bien que l'on n'aurait pu atteindre le bonheur en le gardant, car c'est de l'expérience, et ensuite la comparaison que nait la valeur. Fus-je resté avec elle, j'aurai passé ma vie à croire que j'aurais pu trouver mieux, et je n'aurais pas été heureux. Maintenant, je sais que je ne trouverai pas mieux, et même que je ne retrouverai pas d'équivalent (les anges n'existent pas), et j'ai peut-être un seul avantage sur le malheur que j'ai fui, c'est que mon malheur est un malheur d'homme qui sait, et non d'homme qui ignore. Et donc, ce serait là ma seule consolation, peut-être un pas vers la sagesse.

Un ange. Presque six ans de ma vie dont il ne reste qu'une fenêtre ouverte sur mille souvenirs dont j'ai souvent doutés tant ils étaient irréels, trop parfaits, trop beaux, trop... fous. Tiens, ma libellule est rentrée. Il vaut mieux que je ferme cette fenêtre-là, alors. Des fois qu'un jour ma libellule en sorte et aille trop loin, y redécouvre le goût oublié de la liberté, et ne revienne plus, passant sa vie dans ce passé qui lui manque tant. Je préfère la garder ici. Mais j'espère qu'elle ne deviendra pas folle, à cogner contre ses quatre murs. Je l'espère. Otez-moi d'un doute, tout de même : les anges, ça n'existe pas, n'est-ce pas ?

Ecrit par Barjac, le Vendredi 10 Octobre 2003, 11:56.
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Commentaires
Le 12/10/03 à 16:01
"Pour te montrer une loi du monde, toute simple : quand nous avons de grands trésors sous nos yeux, nous ne nous en apercevons jamais. Et sais-tu pourquoi? Parce que les hommes ne croient pas aux trésors."

Phérine
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Le 29/10/03 à 19:50
Les hommes peut-etre, moi si :) J'ignore si des trésors que l'on est seul à voir sont vraiment des trésors, et s'il ne faudrait pas plutôt les appeler mirages, mais qu'importe, je crois, je crois aux anges, aux trésors, à l'existence quelque part d'une femme qui un jour comprendra. Qu'importe si c'est à tort, ça fait toujours du bien, ce n'est dont pas inutile. :)
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Le 29/10/03 à 20:00
J'y crois aussi...Aux anges, à l'amour, à l'homme qui saura entrer dans mon monde, aux rêves, aux espoirs, à la lumière... Eternelle quête qui me porte, me réconforte...
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Alezia -
Le 15/10/03 à 12:30
^Juste te dire que j'ai adoré te lire! C'était très interessant. Bisous
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Le 15/10/03 à 16:21
Merci, c'est trop d'honneur ;) C'est avec des commentaires comme le tien que je vois l'interet d'ecrire de telles choses.

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