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Lettre à Ch.
Lettre écrite à Ch. il y a trois jours, mais que je n'ai pas envoyée à cause de l'orage et de la mort du modem. Maintenant, cette lettre n'a plus lieu, alors je la range ici. Elle témoignera de douleurs passées.

Ma chère Ch.,

Je ne sais trop pourquoi, en cette période douloureuse que je traverse, c'est vers toi que je me tourne. Je n'ai pas de raison, c'est mon coeur qui me souffle d'écrire, pour me libérer, et d'écrire à une fille, qui je l'espère, peut-être à tort mais qu'importe, me comprendra.

Mon coeur saigne en ce jour, du sang triste et poisseux d'un amour déchiré. J'aimais une femme, et je pensais hélas que cette femme m'aimait, mais je découvre avec horreur que cette femme n'eut pour moi que peu de sentiments. J'aimais une femme, belle comme la vie, et avec elle qui part, c'est la vie qui s'en va. Elle s'appelait Chiara, elle était italienne. Elle avait la peau bronzée, douce comme le sable des plages de Sardaigne, et deux yeux noirs où parfois je croyais trouver ceux d'une enfant. Ses boucles noires sentaient de la rose le parfum, et quand je m'endormais, serrant dans mes bras maigres la douceur ferme de son corps de femme, je touchais le bonheur et je rêvais d'ailleurs, un ailleurs blond comme le blé de mes cheveux où se mêlaient les siens en rivières d'or et de jade. Mais tu le sais mieux que personne, je n'ai jamais su trouver ni les mots ni le courage d'aller parler aux femmes et de leur ouvrir les portes de mes sentiments. Alors elle s'est lassée, elle s'est lassée d'attendre et plutôt que de faire l'effort de s'attacher, plutôt que de m'aider à me donner à elle, elle a préféré laisser tomber. Je la comprends un peu, mais il est dur, si dur, de savoir qu'au fond, si elle ne m'aime pas, c'est beaucoup par ma faute.

Et pourtant, je l'aimais, et ma première pensée chaque jour au réveil, était pour elle. Je découvre avec des yeux où les larmes ont remplacé un amour aveugle qu'elle s'est jouée de moi, que je ne fus pour elle qu'un moyen comme un autre de tromper l'ennui, de fuire la solitude. Mais de couple il n'y eut point, car de sentiments nous ne partageâmes pas. Je l'aimais comme j'aime, avec déraison, folie peut-être. Elle ne m'aimait pas, peut-être simplement parce que je n'arrivais à lui montrer ce que mon coeur cachait, et qui pourtant était tout à elle dévoué. Que le monde est trop grand, et que le ciel est vide, lorsqu'on perd une femme. Me voilà seul, encore, et cigarette après cigarette, crise de larmes après crise de larmes, je regarde se succéder les heures noires de mon existence absurde. Que suis-je sans elle, quel sens à ma vie, maintenant que je suis là, mon amour débordant, et elle qui n'en veut plus ? Elle m'ignore, elle me ment, elle ne répond pas à mes appels lancés du fond du désespoir. Elle m'adresse ses reproches au lieu du réconfort, elle me fuit, heureuse parmi ses amis, et sans doute ne se souvient déjà plus de moi, de nous. Je ne la reverrai jamais, et c'est dur de l'accepter. Je me sens comme un homme qui sur le bord d'un trou regarderait descendre le corps de celle qu'il aime. Il n'y aura plus jamais de mots doux, ni de rires au matin fatigués, ni de baisers silencieux, ni de regards complices. Il n'y aura plus d'étreintes, tièdes et réconfortantes, comme celle qu'elle me donna, par pitié, lorsqu'avant hier je quittai l'Angleterre pour de bon. Il n'y a plus que le vide, le néant absorbeur, dans lequel je sombre, petit, faible, seul et inutile. Je suis un radeau dérivant sur un océan de larmes, sur lequel un naufragé espère de voir à l'horizon désert, surgir de son navire les blanches voiles, mais rien, rien que les vagues et leur écume claire que chaque fois je prends pour les voiles tant espérées. Me voilà seul, si seul, et devant moi, de l'eau, de toutes parts, à perte de vue.

Il y avait 12 ans que je ne m'étais fait larguer par une fille. Je redécouvre à quel point ça fait mal, et je pense un peu à toi, qui est passée par là, par ma faute égoïste. J'avais juré pourtant, qu'après toi plus jamais, je ne chercherais l'amour, car vivre avec une fille est tellement difficile... Il me fallut pourtant deux mois seulement avant que mon coeur ne s'éprenne à nouveau, et je n'ai depuis lors cessé d'aller de femme en femme, courant après des amours que jamais je n'atteignais. Jusqu'à elle. Elle fut la seconde, la seconde avec qui je partageai mon lit, et je croyais alors avoir trouvé enfin le refuge, le rocher, sur lequel on bâtit la maison de sa vie. Hélas, mon rocher n'était qu'argile, et il s'est dissout à la première pluie. J'ai été trop aveugle, trop naïf et trop fou, de croire trouver en elle l'amour. Ma raison bien des fois m'en avait mis en garde, me disant de laisser mes sentiments chez moi, car elle voyait bien que cette fille était trop différente, trop vivante et trop sociable pour jamais me comprendre ni avoir besoin de moi. Et pourtant, je me laissai séduire, et dans ses bras je crus, longtemps, avoir bien fait. Mais j'étais de ses caprices le jouet, car elle n'avait pour moi pas même de respect. J'étais fier de marcher dans la rue avec à mon bras cette belle fille, tellement femme, et pourtant si peu poète que jamais elle et moi ne pourrions nous comprendre. Tant de reproches, tu sais, elle m'a adressés, se fâchant devant mon silence, m'accusant sans cesse de ne pas la rendre heureuse. Mais avec des reproches, on ne fait pas pousser la confiance, on fait grandir la crainte. Jamais je n'ai réussi à lui montrer combien je l'aimais. Elle me disait sans cesse qu'elle avait l'impression que je m'en foutais, qu'elle n'était rien pour moi, alors que je l'aimais comme rarement j'ai aimé. Il y a tant de distance entre ce que je ressens et ce que j'exprime. On me croit de marbre, indifférent, alors que j'aime et que je souffre sans mesure. De ce qui se passe en moi, je n'arrive jamais à donner une idée. Je suis à l'extérieur aussi froid qu'à l'intérieur je brûle.

Elle est partie, la belle, elle m'a laissé pleurer, assis sur un escalier de ciment, entendant sans écouter mes pleurs et mes suppliques, indifférente, froide, comme sans doute elle a cru que j'étais. Je crois pourtant deviner que jamais elle n'a vraiment été éprise de moi. Lorsque l'on est épris, on n'est pas si confiant en soi, on mesure ses paroles et on se remet en question plutôt que celui que l'on aime. Elle avait le reproche et la colère trop facile, elle voyait tout le temps ce que je ne faisais pas, sans voir ce que je faisais. Elle ne voulait pas m'aider à me joindre à elle, elle ne voulait que son propre bonheur ; elle était ma reine, mais j'étais son valet, et non son roi. Elle n'a jamais vraiment reconnu qu'elle était ma petite amie, elle le niait sans cesse, et j'aurais du comprendre que pour elle, notre histoire, ce n'était pas sérieux. Maintenant je le sais, je le vois, je l'entends, et trop d'amis m'ont dit de ne pas m'attacher, mais ce que ma raison me demandait de fuire, mon coeur tout entier me demandait d'aimer. J'ai souffert comme jamais, dans cette relation, de n'être à ses yeux pas plus qu'un chien qu'on méprise, et pourtant, chaque fois qu'elle me foutait dehors je revenais vers elle, pardonnant à la bonne part ce que la mauvaise m'infligeait. J'étais amoureux d'une fille, belle comme jamais, à la peau qui sentait bon mais au coeur plein d'épines, une rose orgueilleuse qui se voulait désirée, admirée, mais jamais ne donna rien de plus que son éclat naturel.

Me voilà à présent démoli, je ne suis que les ruines de celui que j'étais. Du jeune homme fort et aimant, il ne reste aujourd'hui qu'une silhouette brisée que le vent fait craquer et que la pluie lessive. Elle était mon soleil, brillant sur des jours chauds où assis sur les bancs nous nous aimions plein de certitude, me voilà dans la nuit froide et silencieuse où assis sur le sol je regarde ma peine m'y enfoncer petit à petit.

Tu vas te demander ce que j'attends de toi. A vrai dire, rien de particulier. Je n'étais pas là pour te consoler lorsque je te laissai tomber, pourquoi serais-tu là pour m'aider lorsqu'à mon tour je tombe ? Mais j'espère que peut-être, toi qui fut si patiente autrefois, toi qui parvins peut-être à lire plus loin que ce que mon silence cache, tu comprendras ma peine. C'est à elle que je voudrais la dire, et je l'ai bien fait, mais elle s'en fout, et c'est si dur d'être en face d'un mur et de ne recevoir de ses cris que l'écho, si lourd de solitude. Alors je me tourne vers toi, vers celle qui en ce jour m'apparaît la plus proche de celle que je perds, du fait de ce que tu représentas pour moi par le passé. Ne te méprends pas, mon coeur tout entier pense à elle. Mais j'espère trouver peut-être dans tes mots quelque chose qui, si cela ne remplacera pas son silence, me le rendra quand même un peu plus supportable.

Qu'il est douloureux d'aimer sans être aimer, qu'il est dur d'être seul à nouveau quand tout en moi semble fait pour l'aimer, qu'il est dur d'accepter que celle qui me quitte, c'est celle que je connais, et que celle que j'aimais, je l'aimais parce que je ne la connaissais pas. Pourquoi diable faut-il que j'aime avant de connaître ? Pourquoi mes sentiments sont-ils si indomptables, et pourquoi mon coeur se donne-t-il au premier mot, à la première étreinte ? Et puis pourquoi ces reines, dont la beauté semble gage de perfection, s'avèrent au bout du compte de parfaites égoïstes, trop sures d'elles et trop fières, pour se soucier d'un troubadour en quête de rêve ?



Te voilà bien vengée du mal que je te fis. A mon tour de connaître, de l'amour la douleur. Et que le monde est vide, que la vie est semblable à un désert, où nul chemin ne passe, où toute direction ne porte que sécheresse et souffle silencieux du vent sur le sable. Je suis fatigué d'aimer, désabusé, si déçu. J'essaie bien de me dire qu'il en viendra d'autres (et depuis elle, d'autres sont bien venues, mais mon coeur était encore trop triste pour être libre), mais au fond de moi, je me fous des autres, et de l'avenir, tout ce qui compte, c'est celle que je perds, celle qui ne m'a pourtant jamais aimé. Que les choses sont mal faites en ce monde...

Ma chère Ch., accepte d'un fantôme du passé auquel la douleur redonne quelque réalité les remerciements de m'avoir lu,

R.

Ecrit par Barjac, le Dimanche 26 Octobre 2003, 12:17.
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Commentaires
Le 26/10/03 à 12:52

Tu sembles en avoir vraiment gros sur le corps.
Courage mon gars.

C'est malheureux, mais en ce qui me concerne, plus je prends de distance avec les femmes de mon entourage, mieux je semble me porter sur le long therme...

Si tu as des doutes, n'hésite pas à prendre la tangente et à préféré une vie plus solo.

 

Enfin bon... si tout était si simple, généralisable... :o)

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Le 29/10/03 à 19:47
Merci à toi. Il y a dans tes mots beaucoup de vérité. Une part de moi aussi est convaincue que la vie sans femme est, bien que plus solitaire et moins tendre, un havre de paix. L'autre part pense évidemment le contraire. C'est l'éternerl paradoxe : loin des femmes on se déssèche, avec elles on étouffe. Bien compliqué tout ça !
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Alezia -
Le 28/10/03 à 12:47
Ce sont des mots vains je le sais, quand on souffre en amour, on est omnubilé par ça, mais sache qu'on est là, et qu'on te soutient. C'est dur, dur... Mais on s'en sort à chaque fois. Eh oui l'amour est cruel et c'est pour ça qu'on l'aime...
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Le 29/10/03 à 19:44
Merci Alezia :) C'est toujours réconfortant de savoir que tu es là pour offrir ton soutien. C'est une des raisons majeures pour lesquelles ce journal m'est devenu cher. Bien à toi.
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