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Toussaint, tempête & réflexion nocturnes.
01/11/03 - Jour de tempête. Le vent a soufflé toute la nuit, que je passai en partie avec le chat, lisant quelques uns de ces bons vieux Sherlock Holmes. Puis, sommeil difficile, rêves fous faisant fi de toute logique, et découverte d'un temps magnifique en ouvrant les volets vers midi : vent soufflant toujours en violentes rafales, pluie fouettant le carreau à grosses gouttes. Horizon rapproché, monde rétréci, paysage limité au premier plan, pluie et brouillard ayant digéré le reste de la vue. J'aime.
Jour de la Toussaint, si souvent confondu avec la Fête des Morts qui en réalité est demain. Ce soir, Michelle et Jean-Claude, amis de Bretagne, dorment chez nous. Ils ont enterré aujourd'hui le frère de Michelle, décédé il y a quelques jours. Etrange, les morts qui s'enchaînent, cette semaine. D'abord, la mère d'une amie de mon frangin, puis le frère de Michelle, puis ce matin un collègue de mon père. Aucun d'eux n'aura atteint la cinquantaine. J'ai bien failli en ajouter une, hier, de mort. Celle de notre chat. Cet idiot s'était faufilé derrière moi alors que je rentrai, je lui ai fermé la porte sur le cou. Impossible ensuite de faire entrer le pauvre félin terrifié pendant plusieurs heures, et lorsqu'enfin Maman parvint à l'attraper, il vint se blottir sur mes genoux, et passa la soirée, ainsi qu'une partie de la nuit comme je l'ai dit, sur mon lit. Curieux, ce chat. Je manque de peu de l'assassiner, et lui vient alors me faire la fête, chose qu'il ne fait que rarement. Les gens se prendraient-ils d'affection pour leurs bourreaux ? Etrange pensée, au croisement de ma réflexion née de la lecture de Belle du Seigneur et de ma relation tumultueuse avec Chiara. J'aime la tempête. Hélas, ce soir le vent est tombé, et la pluie semble avoir migré vers d'autres contrées. Dommage. Je compte parmi les choses les plus agréables le fait d'écrire bien au chaud lorsque dehors les éléments se déchaînent. Amusant, le fait que l'inspiration arrive généralement au tout début du nouveau jour, juste après minuit. Serait-ce que le printemps d'un jour fait germer les idées ? Sans doute est-ce surtout dû au fait que c'est là une période de la nuit ou tout le monde dort excepté moi, qui dormant mal ait des horaires tout décalés, et où je suis par conséquent contraint au silence et à la solitude, conditions idéales pour l'écriture dont j'aime à profiter jusqu'à ce que le sommeil, qui se conduit avec moi comme une petite amie qui ne m'aimerait plus, fasse enfin l'effort de venir me trouver. C'est ennuyeux, de n'avoir plus accès libre et illimité à internet, tandis justement que je n'ai plus rien à faire ces jours-ci (car ayant fini mes études, je végète tranquillement chez mes vieux le temps de trouver un boulot). Si je pouvais, je passerais des heures sur ce site à consulter les pages des membres, et laisser de nombreux commentaires comme j'aimais le faire au temps d'Aston et de la connexion universitaire. Regret aussi de constater qu'à l'exception de quelques irréductibles que je salue bien bas (ils se reconnaîtront), mon impossibilité de lire et commenter suffit à me faire perdre les grâces de ceux qui autrefois venaient régulièrement s'enquérir de mes états d'âmes et critiquer, à mon grand plaisir, mes écrits divers. Non que je leur en veuille, il est normal qu'ils accordent en premier lieu leur attention à ceux qui ont encore les moyens de leur donner la leur. Et cela ne m'est pas réellement amer, car des nombreux amis d'autrefois, aussi facilement acquis que perdus, quelques-uns, malgré mon silence d'un mois, sont encore présents pour me saluer et même reprendre les conversations d'antan comme si une heure seulement s'était écoulée depuis notre dernière entrevue. Voilà ce que j'appelle de l'amitié vraie : celle sur laquelle le temps n'a pas d'effet. Bien souvent par le passé, lorsque séparé de ma Bretagne pendant de longs mois parfois sans un mot échangé, je retrouvais mon meilleur ami d'alors, tout se passait comme si nous nous étions quitté la veille. Point de rancune de ne point nous être alimentés l'un l'autre en nouvelles régulières, point de gêne de nous retrouver après tout ce silence, non, tout était comme nous l'avions laissé. Une fois les détails concernant notre occupation respective du temps écoulé, les mêmes conversations reprenaient, identiques. Et tout comme un homme qui a passé trop longtemps loin de sa famille retrouve avec joie la chaleur du foyer, de la femme, et des enfants, j'éprouvais moi aussi cette sérénité de retrouver un endroit, une personne, bref, un monde où rien n'avait changé et où j'étais non pas le visiteur bienvenu, mais le frère dont le couvert à table était mis comme à l'habitude. De cet ami, je n'ai plus de nouvelles depuis plusieurs années. J'ai bien essayé d'appeler, envoyé des lettres, mais son silence demeure. Si demain je le recroise, je sais pourtant que nos pas s'accorderont pour nous mener en quelque café de Rennes où nous aimions à discuter autour d'un verre. Nous évoquerons le passé, rirons de nouveau des mêmes blagues, parlerons des mêmes gens, nous assoiront à la même place. Merveilleux miracle de l'amitié, qui unit les hommes et les fait frères, et sur laquelle le temps même n'a pas d'emprise ! Quel amour saurait ainsi durer sans s'altérer ? Aucun, j'en ai peur. L'amour est une discipline de l'instant, il se consomme au jour le jour, et demain déjà n'est plus. Loin des yeux, loin du coeur. Sourire au souvenir d'un emballage de préservatif retrouvé sous le lit de Ch., du temps où mille kilomètres nous séparaient. Une femme a besoin d'attention, de présence. Idiot celui qui s'imagine que l'encre sur le papier suffira à remplacer les caresses, imbécile celui qui pense que l'invocation des baisers passés suffira à en faire renaître sur les lèvres de l'aimée, là-bas, le goût exquis. Une femme a besoin de son amant non pas demain mais aujourd'hui ; une femme a besoin de regards plus que de mots. Amants, sachez prendre le train aussi souvent que possible, et tant pis pour le reste. Le coeur amoureux se nourrit de l'instant, et les promesses ne lui sont douces que parce qu'elles prolongent le présent. Sans le présent partagé, elles sont dépourvues de saveur et n'ont d'intérêt pour personne (sinon évidemment l'écrivain qui voit en la lettre un exercice qui pourrait se suffire à lui seul). Mais loin des yeux d'un ami, toujours chaudement remémoré en son coeur. Et l'allumette portée aux deux cigarette brille avec le même éclat qu'elle brillait il y a une, deux, dix années. L'amour est éphémère, c'est là peut-être son plus grand attrait. L'amitié, à l'inverse, est inaltérable, et traverse le temps sans s'éroder. Qu'on ne désespère pas, de voir l'amour ainsi fragile. Cette fragilité compte parmi ses plus grandes qualités, mais il est heureusement des amours qui tournent à l'amitié, qui abandonnent l'éphémère au profit de l'éternel. C'est alors que l'amante d'un jour, d'un mois peut-être, quitte sa chrysalide pour devenir, sublime métamorphose, le papillon léger au ailes colorées qu'est l'épouse d'une vie. Tiens, demander à maman si elle a vraiment l'impression d'être un papillon coloré. Me répondra sûrement que c'est bien mignon, mes histoires, mais petit Hun je m'amusais plus quand j'étais chenille sans ton père, si tu veux vraiment savoir, et petit d'oeufs marche pas là, enfin, tu vois bien que c'est pas sec, tu vas tout salir. Mouais, plutôt ne rien dire à maman. Et à papa ? Il me répondra, je suppose, que pauvre idiot, les femmes c'est tout l'inverse : papillons fiers et multicolores lorsqu'on les épouse, chenilles molles et dévorantes vingt ans après. Non, vraiment, ne pas raconter tout ça à mes vieux. Garder mes rêves pour moi. Et pour vous, bien sûr. Bonne nuit à vous, et merci à ceux qui auront lu. Label du Seigneur m'attend. Ecrit par Barjac, le Mardi 4 Novembre 2003, 17:46.
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