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Timidité, mal incurable ?
Pourquoi suis-je mal en société ? Question que je me pose à quelques jours de la pleine lune, goûtant dans la fraîcheur diaphane le silence de la nuit... Tant de questions à propos de ce mal dont je ne m’explique pas plus l’origine que je n’y vois d’issue. Le temps passe et je croyais, plus jeune, qu’en vieillissant cela me passerait. Je découvre qu’hélas il n’en est rien. Quittant l’insouciante enfance où de n’être timide je n’avais pas conscience, je gagne l’âge adulte, et mon regard tant sur moi que sur ceux qui m’entourent se fait plus critique, plus précis, et je vois bien des choses qui, plutôt que de me guérir, ne font qu’aggraver mon état.
Timidité. On en parle parfois comme d’un simple trait de caractère, appelant tel réservé et tel discret, en n’y voyant rien qui soit plus anormal que le fait d’être brun ou blond. Hélas, de ma timidité, je ne parlerais pas comme d’une partie de ma personnalité, une chose avec laquelle on vit sans plus de problème qu’on n’en a à être grand ou petit. Car à mes yeux il s’agit bien d’un mal, d’une chose anormale, d’un état qui ne devrait pas être. L’homme est un animal social, son fonctionnement de vie tout entier est basé sur la société. On se regroupe pour vivre dans des villes une existence où tout est relationnel, où chaque besoin suppose l’implication d’un tiers, qu’il soit commerçant, médecin ou curé. On se regroupe pour prier dans les églises, on se regroupe pour acheter dans les supermarchés, on se regroupe pour penser dans les conférences, supporter son équipe de football favorite, dîner autour d’une même table, on échange tout ce qu’on peut échanger, et cet échange de biens, ce commerce d’idées, ce partage d’affection, fait de la sociabilité un élément clé du bon déroulement de la vie d’un homme. Les gens se rassemblent en groupes poursuivant un même objectif, et interagissant avec d’autres groupes, échangeant leur savoir-faire : médecins, avocats, marchands, banquiers... Tout est groupement, et suppose des relations, au sein de notre groupe d’abord, puis avec les autres groupes. La timidité attaque donc sa victime en quelque chose qui lui est capital : sa sociabilité, organe de la capacité à vivre avec ses semblables. Le timide est un handicapé social, victime de difficultés à interagir avec ceux qui l’entourent, et dont pourtant il ne saurait se passer. Si je devais définir la timidité, je parlerais d’une trop grande acuité de la conscience de soi. Etre timide, c’est vivre avec une conscience de soi surdéveloppée, qui fonctionne en surrégime, qui fonctionne trop bien, trop fort, et vous pourrit la vie parce qu’elle vous empêche d’être vous-même. Les gens que je qualifierai de « normaux » ont eux une conscience d’eux-mêmes qui fonctionne sans faire du zèle, suffisante pour leur garantir de saisir leur différence, et par là situer leur identité parmi celles des autres hommes ; le timide, lui, non seulement perçoit ses différences, mais avec une conscience tellement accrue qu’il ne voit plus qu’elles. Où qu’il soit, le timide ne voit que lui, s’analyse, s’observe. La timidité, c’est le terrible fait d’appartenir à son propre champ de vision. L’homme normal, en situation au milieu de ses pairs, ne voit qu’eux. Il agit par son langage, sa gestuelle, mais de telle sorte que ceux-ci échappe à sa conscience. Celui qui vous parle avec naturel n’a pas conscience d’expliciter ses mots avec ses mains, pas plus qu’il ne voit l’expression de son visage. Le timide, lui, les voit. Autre fait, l’homme « normal » vit au présent. Il agit sur son environnement sans se poser mille questions quant aux conséquences de ses actes. Il ne cherche pas à leur donner une signification particulière, et pour lui, il ne s’agit que d’être lui-même, chose qui lui est tellement élémentaire qu’il n’est même pas conscient de l’être. Autour de moi les gens sont ainsi faits, ils parlent sans s’écouter et oublient leur conversation aussitôt terminée. Le timide, lui, dissèque chaque mot qu’il pourrait dire ou a dit, avant et après la conversation qui, du coup s’en trouve souvent maladroite. Il ressasse sa vie, la prépare à l’avance, la décortique après coup, pour y voir ce qui n’allait pas, ce qu’il n’aurait pas du faire, etc. Le timide évolue dans un monde où il est en constante représentation, et ce simplement parce qu’il appartient, à l’inverse des gens qui vivent en société sans se poser trop de questions, à son propre public. Les non timides, à qui ce mal semblera sans doute étrange, n’ont qu’à imaginer ce qu’éprouverait un comédien jouant une pièce de théâtre avec au premier rang les critiques de la presse, de l’appréciation desquels dépend tout le succès futur de la pièce ainsi que sa carrière. On trouve dans cet exemple les éléments principaux de la timidité : le fait d’être en représentation, c’est-à-dire de n’être pas soi-même, et de l’être sous l’oeil implacable des critiques. En ajoutant le fait que parmi les critiques se trouve le comédien lui-même, conscient qu’il n’est pas de critique plus sévère que lui-même. Les autres, eux, nous ménagent un peu, parce que tout est relationnel, et qu’un jour pourrait venir où les rôles se trouveraient inversés. Mais nous-mêmes, n’avons pas cette contrainte, aussi notre jugement, de tous, est le plus dur (les gens normaux, eux, appartiennent sans doute aussi à leur propre public, mais ayant eux-mêmes une appréciation soit positive - les orgueilleux ? - soit simplement neutre). Il est difficile de critiquer quelqu’un ouvertement, on est conscient de la peine qu’on lui infligerait, cela pose des limites à notre sévérité. Mais se juger soi-même est tout autre : on est la seule personne à laquelle on puisse vraiment faire du mal sans en éprouver aucun remord. Je suppose toutefois que ce n’est pas le cas pour tout le monde. Il en est (les critiques neutres et positifs) qui ont peu ou pas de gêne à dire tout haut ce qu’ils pensent, sans se soucier de l’impact sur ceux auxquels ils s’adressent. Mais il en est qui ne se le permettent pas ; ils n’en sont que plus durs avec eux-mêmes (ayant probablement la même quantité d’agressivité à évacuer), la seule victime qu’ils s’autorisent. Le timide devient ainsi à la fois victime et bourreau. Pour en revenir à l’exemple du comédien en représentation devant son jury, on imaginera sans peine son trac. Le trac, c’est la peur de ne pas réussir (peur qui évolue parfois en une peur de ne pas atteindre la perfection, le perfectionnisme n’étant pas rare chez les timides que je connais, à commencer par moi-même). Ce n’est pas une peur entièrement négative. Elle est inhibitrice, comme toute peur, mais elle est aussi motivante, car elle pousse à donner le meilleur de soi-même. Ce qu’il faut, c’est que l’inhibition n’atteigne pas des proportions où elle bloque totalement le comédien, qui terrifié est alors incapable de déclamer son texte, et fait de la pièce la catastrophe qu’il craignait plus que tout. Ma timidité est hélas de celles chez lesquelles la composante inhibitrice est tellement forte qu’elle annihile tout le reste, et de comédien qui donne le meilleur, j’en deviens comédien qui ne donne plus rien et paniqué, ne peut plus qu’attendre immobile, le coeur battant, que la scène terrible dont il n’est alors plus acteur se termine enfin. C’est ainsi que je suis en société. Muet parce que terrifié, j’attends en silence d’être à nouveau seul, loin des hommes dont le regard est toujours perçu comme jugeant, expert, prêt à déceler le moindre détail, la moindre imperfection pour en prendre note et la sanctionner. Voilà ce que vivre en société est pour moi. Cette maladie est terrible, comme je l’ai dit plus haut, parce qu’elle agit partout là où les autres interviennent, et dans notre monde, les autres interviennent partout, de la boulangère aux passants dans la rue. Toute démarche en société est pour moi non pas une corvée, mais un calvaire. Acheter des vêtements, aller me renseigner pour le permis de conduire (que sans cette maladie, j’aurais passé à dix-huit ans comme tout le monde), passer un coup de téléphone pour demander un renseignement, tout cela me demande un effort incroyable. A peine entré dans un magasin, c’est le sentiment atroce que les regards de tous les vendeurs sont sur moi, alors je sors en vitesse sans oser rien acheter en dépit de mon envie ; à l’auto-école avant-hier, chez le boulanger régulièrement, au téléphone, ou que ce soit, quand que ce soit, c’est moi, le coeur battant, maladroit, me forçant à faire des phrases dont les mots m’échappent, se tordent en serpents qui se moquent de moi, me font dire le contraire de ce que je voulais, alors toujours j’attends que tout cela finisse, transpirant, répondant oui sans plus rien écouter, attendant désespérément d’être seul à nouveau, loin d’eux. Les phobies sont communes. Il y en a qui se mettent à hurler parce qu’une araignées descend accrochée à son fil, parce qu’un rat traverse la rue, parce qu’un blessé perd son sang, parce qu’un ascenseur s’arrête entre deux étages ou parce que les plombs sautent, les plongeant dans l’obscurité. Ceux qui ont de telles phobies comprendront ce qu’est la timidité, car c’en est une à sa façon : la phobie des hommes. Comme vous imaginez les araignées, et leur simple évocation vous fait faire la grimace et se hérisser les poils dans votre cou, de même j’ai les jambes qui flanchent lorsqu’il me faut me plonger tout entier dans la société des hommes. On peut vivre avec une phobie des insectes à huit pattes, on n’en croise pas souvent, et lorsqu’on en croise, on se contente de les supprimer. Cela tue la peur sur le moment, mais à vrai dire, cela ne résout rien. Car l’origine de la peur n’est pas dans l’insecte, elle est en nous, et à la prochaine araignée, tout recommencera. Les hommes, ont ne peut pas décemment les écraser à l’aide d’un journal roulé. Et quand bien même, comme je viens de le dire, cela ne résoudrait rien. La peur est en nous, c’est donc là qu’il faut l’attaquer. Mais comment, je n’en sais rien, et paierais cher pour le savoir, oh oui, vous pouvez me croire. Je parviens toutefois à rester naturel en présence d’une personne seule. Seul à seul, je suis d’égal à égal, et alors parler m’est plus facile. Je n’irais pas pour autant engager la conversation, mais je ne la refuse jamais. Le groupe, par contre, m’effraie. Car le groupe partage, le groupe discute, et lorsque le groupe juge, il échange ses jugements. Ainsi, même au milieu de mes propres amis (au sens large), il m’arrive de me sentir mal à l’aise. Car si seuls ils me jugent, que m’importe, puisque je les juge aussi. Mais à plusieurs, ils font évoluer leurs jugements en les mettant en commun, et cela est bien pire qu’un jugement solitaire, arrêté, figé. Je n’ignore pas que cela est faux. Mes amis ne me jugent pas, et même s’ils me jugent, alors je doute qu’ils échangent entre eux leurs avis s’ils sont défavorables. Car au sein du cercle, tout se dit, tout se sait ; je pourrais avoir vent de mauvaises pensées, on s’en gardera donc sans doute. (On voit là un autre trait du timide, c’est sa méfiance, méfiance qui pousse à voir le mal partout, le plus souvent à tort.) L’amitié, dans mon cas, se restreint à une personne seule à la fois. Puisque mal à l’aise au sein d’un groupe, il me faut des relations exclusives pour pouvoir être moi-même. Et alors, j’apprécie ces amitiés comme nul autre. Car elles sont rares, et l’unique moyen pour moi de me dévoiler. Des gens qui me connaissent, au moins partiellement, je n’en connais que trois. Fred, Jangs et mon frère. Mes trois amis. Et quand je dis ami, c’est frère qu’il faut comprendre. Des gens avec lesquels on parle, on parle vraiment, auxquels on peut tout confier sans rougir. Avec ceux-là seuls, je suis moi, alors si différent, calme, fier, et mes mots ne me jouent plus de mauvais tour. Dans ces moments-là, je suis heureux, c’est pourquoi je les trouve toujours trop courts. Je pourrais rester des heures sur un banc à parler avec Fred de nos rêves, de nos amours brisées ; je pourrais rester des heures avec mon frère assis devant sa piaule, à regarder la ville endormie, écoutant Brel et évoquant notre enfance perdue ; je pourrais passer des heures avec Jangs à rire jusqu’au petit matin, jusqu’à ce que le sommeil nous prenne, la mâchoire douloureuse, les joues humides, les abdos fatigués. Ces moments-là, mes seuls moments de vrai partage avec les hommes, comptent parmi les plus chers, tant ils sont forts. Je ne connais pas de remède à la timidité. Je ne sais pas même s’il en existe un. Mais même s’il n’en existe pas, je continuerai à croire qu’il y en a un. Pour ne pas baisser les bras, pour ne pas devenir autiste, pour continuer à me forcer à parler, même si c’est maladroit, et rarement concluant, je me dis qu’un jour peut-être, avec l’habitude, tout ça passera. Je veux y croire. S’il n’y a pas de médicament qui soigne, il existe toutefois des anti-douleurs. L’alcool en est le plus connu. L’alcool est au timide ce que la morphine est au souffrant. Il endort la conscience, il désinhibe, et grâce à lui, l’espace d’un soir, on peut être soi-même, rire pour de vrai, se faire des copains. Mais l’alcool, comme la morphine, ne soigne pas. Il donne l’illusion qu’on va mieux simplement parce qu’il éteint la conscience du mal. Seulement le lendemain, le carrosse est redevenu citrouille, les amis des inconnus qu’on salue de loin, et de nouveau, le mal, plus présent que jamais. Je me méfie beaucoup de l’alcool. Je connais les effets de la morphine. On s’y accoutume, et c’est humain : elle fait oublier la douleur, comment ne pas en vouloir toujours plus ? Mais elle détruit l’esprit, elle détruit le corps, et ajoute sa destruction à celle du mal qu’on croit tuer avec. Il m’est arrivé de suivre chaque soir en boîte ma bande d’amis en Angleterre, avec l’unique motivation d’y trouver la drogue liquide qui l’espace d’un soir me permettra d’être moi-même, de rire avec eux comme si j’étais sain moi aussi, de ne plus craindre les filles. Mais plus on se drogue, et plus la vie réelle devient grise par comparaison. J’ai donc mis un terme à tout ça. Il me faut quand même préciser que la présence d’un ami remplace avantageusement l’alcool. Avec Fred, j’étais aussi moi-même, confiant de savoir que j’avais ce précieux atout parmi mes cartes, et que quoi que je dise ou fasse, il serait avec moi. Mais alors, après des soirées que j’apprécie trop parce que pour une fois je me sens bien, c’est le vide, sensation de manque, réveil triste le matin d’un 26 décembre. C’est fini, encore un an à attendre avant le prochain Noël. Au vu de tout ceci, on imagine ce que c’est avec les filles. Et pourtant, de ce côté-là, je serais malhonnête de me plaindre, car j’ai la chance de plaire, malgré moi. Je le dis sans prétention (on aura compris que l’orgueil n’est pas mon fort, en tous cas sûrement pas direct), c’est une chose que je constate. Il y avait au collège trois filles ravissantes. L’une fit une anorexie et perdit beaucoup de son prestige, la seconde était idiote (je le compris bien après en avoir été amoureux), la troisième était Ch., dont le coeur m’appartenait déjà trois ans avant que j’ouvre les yeux et lui donne à mon tour le mien, et j’avais un peu honte, au milieu de mon bonheur, de croiser les regards tristes des copains. Et cette année, combien d’avis positifs de la gent féminine ? L’australienne d’un soir ivre mort (mais cela ne compte pas), puis une de ses amies (et bordel, dans l’état où j’étais...), puis une amie française, et puis Chiara, puis l’amie de Jane (bien mordue, j’en avais sincèrement de la peine pour elle, d’autant plus que je vivais la même chose avec Chiara), puis cette jolie brune qui vint me demander à l’oreille si j’étais célibataire, au milieu des potes... Non, je ne peux pas me plaindre. Si ce n’est que c’est là la richesse d’un milliardaire paumé sur une île déserte avec sa valise pleine de billets inutiles. Ce n’est pas par fierté que j’ai renvoyé la petite brune, mais bien par peur. J’étais paniqué, juste ce qu’il fallait pour transformer ma veine en déveine. Il n’y eut qu’avec Chiara que je parvins à faire quelque chose, et encore parce que mon coeur me donna du courage. Mais ensuite, de nouveau la peur, incapable de lui parler, ou alors maladroitement, tout en faiblesse, les mains dans les poches pour en cacher le tremblement, le coeur battant plein les oreilles. Si seulement j’étais fier, confiant, je ne dormirais jamais seul, et je serais peut-être heureux. Si j’étais fier et confiant, j’aurais répondu à la petite brune, que oui, je suis célibataire ce soir, mais c’est le dernier (elle m’aurait ri au nez, mais qu’importe, j’en aurais ri aussi), ou je lui aurai proposé de lui payer à boire en lui empruntant de l’argent parce que j’étais à sec ce soir-là et qu’il n’était plus le moment d’aller tirer du fric avec ma nouvelle carte dont je n’ai de toutes façons pas reçu le code. Je n’aurais pas feint de ne pas comprendre, puis bafouillé un « non » idiot qui me donne ce soir encore envie de me coller des baignes. Oui, je suis célibataire, et j’ai le coeur brisé parce qu’une italienne aussi poétique qu’un plat de spaghetti n’en veut pas, mais si tu veux de moi, alors je te le donne. Célibataire ? Je l’étais. Et de passer un bras autour de ses épaules. N’importe quoi, mais quelque chose, même quelque chose de con, mais au moins courageux, pour récompenser cette pauvrette d’être venue jusque-là planter ses beaux yeux dans les miens, et du courage, elle en avait, elle. Lâche, faible, voilà ce que je suis. Et de me voir ainsi, comment voulez-vous que j’ai de moi une estime suffisante pour trouver la confiance qui résoudrait tout ? C’est un cercle vicieux, de me voir lâche, je me méprise, et de me mépriser, j’en perds tout courage. Ecrire. Evidemment. C’est le remède à tout. Ecrire, parce qu’à ne jamais parler, on rêve, et on rêve tellement que ça déborde. Il suffirait de placer une feuille blanche là où ça coule pour en ramasser des romans. Mais écrire parce qu’on ne peut pas parler, ça devient vite écrire la vie qu’on n’arrive pas à vivre. Et alors, même écrire me devient méprisable, n’étant que l’aveu d’une immense faiblesse. Oh, que j’aimerais être comme eux, sûr de moi, être comme ceux qui n’hésitent pas, qui ne réfléchissent pas, qui foncent et qui rient de leurs échecs. N’étant ni idiot, ni laid, je n’aurais qu’à me pencher pour cueillir le meilleur de la vie. J’ai sans doute tout un tas d’autres défauts, dont celui d’être passé maître dans l’art de faire des noeuds dans ma tête, mais qu’importe, je vivrais des histoires qui, même de courte durée, seraient quand même des histoires. Alors que là, je ne vis rien. Je fuis les filles quand tous les autres garçons leur courent après, je fuis les gens alors qu’ils m’apporteraient tant si seulement je les laissais faire. J’étais celui dont on voulait être le meilleur ami à l’école primaire, Régis, Ronan et Tibed s’arrachant ce drôle d’honneur ; je fus celui que Ch. avait choisi parmi cent garçons qui l’admiraient ; je fus celui qui décrocha les faveurs de Chiara (enfin sur ce coup-là, j’en fus pour mes frais) ; je fus celui que la petite brune vint voir ; je fus celui qu’on félicita pour son boulot en maintes occasion ; je suis celui qui fait tellement rire les copains avec un coup dans le nez... Garçon doué, il me manque juste ce qu’il faut de confiance pour pouvoir en profiter. Je travaille bien parce que perfectionniste et angoissé de n’en pas faire assez ; je merde côté coeur parce que j’ai aussi peur des femmes que je les aime et que quand je leur plais aussi, je perds tout mes moyens ; passerai-je ma vie loin des gens, inutile quand je pourrais peut-être servir à quelque chose, faire rire des hommes et rêver des femmes ; passerai-je ma vie à écrire la vie d’un héros qui sera ce que je n’arrive pas à être parce que j’ai bâti ma personnalité avec du papier plutôt que des briques solides ? Le futur m’apparaît bien terne. Parfois même, j’aimerais être laid et stupide, j’aurais moins l’impression de gâcher mon existence pour des conneries d’angoisses qui viennent de j’ignore où (mais même laid et stupide, je parviendrais encore à me trouver quelque valeur cachée que j’aurais encore le sentiment de gâcher). Enfin, je suis presque certain que ma relation à mes parents y est pour beaucoup. Avec d’un côté mon père qui ne parle pratiquement pas et que j’ai toujours craint au lieu d’aimer, modèle vénéré mais jamais ami, et dont j’ai hérité le silence et l’aigreur de ces pseudo-intellectuels qui cachent dans leur mépris des gens l’envie inavouable d’être simple comme eux, et cherchent dans les livres d’autres intellectuels de quoi rêver, se rassurer, se dire qu’ils sont au-dessus du commun, qu’ils sont tout dans la tête, et qui se placent en observateurs du monde en prétendant que c’est parce qu’ils s’ennuient d’être si intelligents, alors que c’est simplement parce qu’ils en sont de pitoyables acteurs ; et de l’autre côté, ma mère, dont les colères ont eu raison de la douceur, et dont je n’ai pour tous souvenirs que rugissements, sermons sans queue ni tête du tyran qui se voit victime, mots agressifs sans fondement, qui menaçait aujourd’hui encore d’aller voir ailleurs « parce qu’ici je suis l’esclave », tout ça parce que j’avais laissé ce matin quelques miettes de croissant dans le micro-ondes, et c’est tout le temps comme ça, des petits rien qui réveillent le dragon, alors on se cache, et comme quand on était gamins, on met la tête sous l’oreiller, on retourne dans son monde, où les gens sont gentils, où les mères sont douces et les pères des copains, où on est tantôt prince, tantôt brigand, mais toujours poursuivant une justice et un amour dont on se sent lésé. Voilà ce que je suis. Peu de choses au dehors, et bien trop au dedans, faible devant les femmes d’avoir eu une mère colérique, seul au milieu des hommes d’avoir eu un père atteint de la maladie de l’huître, dont j’ai hérité, animal qui se ferme dés qu’on l’approche, et comme moi peut-être se ment en se disant que l’huître fait ainsi pour protéger une perle... Assez. Je vous laisse amis, je m’en vais sous la lune savourer quelques minutes de silence apaisant, puis me coucher, et rêver comme chaque nuit que je suis ce que je pourrais être. Ecrit par Barjac, le Vendredi 7 Novembre 2003, 11:22.
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