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Fast-food
'Les enfants, je vous laisse faire la fermeture. Pensez à tout éteindre en partant.'
'No problem, chef.'
Tom, balai à la main, s'applique à passer la serpillière sur le sol carrelé du petit snack désert. Le chef disparaît dans sa petite office, chercher ses dernières affaires. Debout derrière la caisse, Maud adresse à Tom un clin d'oeil, qu'il feint d'ignorer tout en continuant d'effacer les traces de pas sur le sol, un sourire sur les lèvres. Le chef ressort, traverse la pièce bien rangée en direction de la sortie.
'Passez une bonne soirée. Et soyez là demain matin à 7 heures, je vous rappelle que nous avons la réunion avec la direction générale.'
Il sort enfin, referme derrière lui la porte principale du restaurant. Il pleut des cordes. Abrité de son cartable en cuir noir, il s'enfuit sous la pluie qui redouble de violence. Maud chantonne doucement en rangeant dans le classeur les fiches de compte qu'elle vient de mettre à jour.
'Bientôt terminé ?', demande la sublime blonde.
'Encore cinq minutes.'
Tom s'affaire encore quelques instants, puis s'arrête, regarde la pièce.
'Allez, ça ira comme ça.'

La journée a été épuisante, et il leur faut se lever tôt demain. Il range la balai dans le réduit consacré, et revient dans les cuisines. Un dernier coup d'oeil pour vérifier que tout est en ordre. Il passe la main dans ses cheveux, lâche un long soupir de fatigue.
'Quelle journée !'
'Tu l'as dit. Tu rentres chez toi tout de suite ?'
La question surprend le jeune homme, qui adresse à sa collègue un regard étonné.
'Euh, oui... Pourquoi ?'
'Pour rien, pour rien', le renseigne Maud avec une feinte innocence. 'Je pensais qu'on aurait pu rester un peu. Attendre que la pluie se calme...'
Tom fronce les sourcils. Effectivement, il pleut, mais il ne saisit pas bien le rapport que cela peut avoir avec... Maud le dévisage avec les yeux d'une adolescente qui découvre le pouvoir qu'ont ses jeunes formes sur ses camarades du sexe opposé. Il commence à comprendre.
'Hum, tu as peut-être raison, après tout. Il pleut vraiment fort.'
Un sourire se dessine sur ses lèvres tandis qu'il s'approche de la jolie blonde. Assise sur le comptoir, elle joue distraitement avec une mèche de cheveux. Ses yeux ne le quittent pas.
'Tommy chéri, je crois que j'ai un peu froid...', souffle-t-elle d'un air désolé.
Tom fait un pas de plus vers la fille, qui laisse doucement tomber sa veste d'uniforme sur la caisse enregistreuse. Elle a des bras longilignes que terminent des mains sublimes, une peau mate, douce rien qu'à la regarder, qui donne à Tom l'envie terrible de mordre. Sa courte jupe rouge dévoile deux longues jambes bronzées finement dessinées qu'elle décroise brusquement sans pudeur, et allonge avec une grâce féline. Ses chaussures font un bruit mat en tombant sur le sol. Sa jupe a remonté de quelques centimètres, laisse apercevoir quelques centimètres carrés de tissu blanc. Tom a un parpaing dans la gorge.
Maud s'appuie sur ses coudes, cambre le dos. A demi allongée sur le comptoir, elle fixe son collègue d'un regard brûlant. Tom fait un pas de plus. Il est maintenant tout près d'elle, sent son parfum délicat et enivrant monter jusqu'à lui. Elle se redresse, noue ses bras autour du cou de Tom, ses jambes autour de sa taille. Il sent son propre coeur battre tout contre celui de la fille, referme ses bras autour de sa taille, et la presse fortement contre lui. Elle lâche un petit cri, se mord la lèvre inférieure, ferme les yeux.
'Tu es sûr qu'il pleut toujours ?', murmure-t-elle au creux de son oreille.
'Sûr et certain, répond Tom d'une voix rauque. Sa gorge est aussi sèche que le Sahara en plein mois d'Août.'
'Dans ce cas...'
Une main toujours accrochée au cou de Tom, elle détache de l'autre ses longs cheveux couleur miel, bascule la tête en arrière, la secoue doucement. L'Oréal, parce que je le vaux bien. De larges boucles blondes tombent délicatement sur ses épaules nues. Dehors, la pluie bat les carreaux avec toujours autant de force.
Tom glisse une main sous son petit chemisier blanc. Il la sent se raidir entre ses bras, se cambrer un peu plus tandis que sa respiration se fait plus forte, haletante. Elle a la peau d'une douceur exquise. Il pose les lèvres sur la douce fraîcheur de son cou, sent ses petites mains s'accrocher à ses cheveux...

Le téléphone retentit soudain, déchirant l'atmosphère silencieuse de la pièce vide à peine éclairée.
'TIDI-TIDI-TIDI...'
'Merde...', grogne Tom en relâchant sensiblement son étreinte.
'Chut, ne réponds pas...'
Elle le regarde de ses yeux bleus à demi fermés, lascive.
'TIDI-TIDI-TIDI...'
Le bruit est insupportable, de plus en plus précis, de plus en plus puissant. Tom a l'impression douloureuse que ce bruit provient... de l'intérieur de sa propre tête. De plus en plus puissant. Il faut mettre un terme à ce cri qui lui cause un malaise tel qu'il en est presque douloureux. Immédiatement.
Il tend le bras, décroche.
'TIDI-TIDI-TIDI...'

Il reste interdit, regarde l'appareil qui continue de lancer à travers sa tête son cri insupportable. Il... Le brouillard envahit ses yeux, il sent la pièce se dissiper, s'effilocher devant lui. Il jette le combiné, empoigne la fille, la serre de toutes ses forces...
'NOOOOOOON !!!', hurle-t-il tandis que ses bras se referment sur le vide.
'TIDI-TIDI-TIDI...'

Tom se retrouve dans un puits vertical qu'il traverse en chute libre à une vitesse vertigineuse, avant de s'écraser avec fracas contre le fond. Il se sent exploser en milliers de petits morceaux, comme le reflet dans un miroir projeté avec violence sur le sol. Sept ans de malheur.
'TIDI-TIDI-T.'

Il cligne des yeux. La lumière violente lui fait mal. Il enfonce sa tête dans l'oreiller tel une autruche dans le sable, essayant vainement d'éloigner le danger. Il ferme les yeux, grimace, pousse de toute la force de son cerveau pour retourner dans l'autre univers. Il a encore sur les lèvres la douceur grisante de son parfum...
'Debout gros feignant ! Allez, debout !'
Sabrina est en pleine forme, comme chaque matin. Elle s'assoit sur son dos, le secoue avec une douceur qui lui donne l'impression d'être jeté de manière répétée contre le matelas par un champion de catch. Il ne sera pas étonné de s'apercevoir qu'elle lui a brisé la moitié des os.
'Debout, gros dormeur !'
'Hmm...', proteste-t-il, accompagnant sa revendication du droit de dormir d'un coup d'épaule pour chasser l'assaillante, qui rit de bon coeur.
'Allez, Tommy, lève-toi, tu vas être à la bourre pour ta réunion. Je prépare le café, ne traîne pas trop'.
Bon, c'est foutu pour se rendormir. Il se retourne, parvient à garder les yeux ouverts, bâille à s'en décrocher la mâchoire. Ses paupières pèsent chacune dix kilos, ses yeux lui semblent avoir doublé de volume, comprimés dans leurs orbites. Il se lève, gagne maladroitement la cuisine, du brouillard plein la vue. Sabrina s'affaire. Comment fait-elle pour avoir tant d'énergie le matin ? Il ne comprendra jamais.
'Oh ooooh !' siffle-t-elle. 'Je vois que tu étais en plein... rêve !'
Tom la regarde d'un air hébété, fronce les sourcils, baisse brusquement les yeux et sourit. La bosse dans son pantalon de pyjama lui montre qu'une partie de lui n'est pas aussi endormie que le reste. Il se laisse tomber sur une chaise. Sab passe une main dans ses cheveux, presse la tête du jeune homme endormi contre son ventre tiède.
'C'était moi ?'
Il sourit à nouveau, ne répond pas. Il ferme les yeux, passe ses bras autour de la taille de sa femme, aimerait rester là des heures, mollement appuyé sur son ventre chaud, se rendormir.
'Allez, bois ton café. Fais attention, il est brûlant. C'est ta punition pour me faire des infidélités, vilain garçon'.
Elle ébouriffe ses cheveux avec tendresse, pendant qu'il s'étire. Pénible impression d'être une vieille machine rouillée.
'Je file à la salle de bain. Dépêche-toi, tu vas finir par être à la bourre !'
Il avale son café, se brûle, peste contre cette journée qui commence bien. Son rêve persiste encore un peu, comme la brume sur les champs au petit matin. Il va lui falloir une bonne douche pour sortir de sa torpeur.

L'eau chaude coule abondamment, lave son corps de la fatigue. Il constate avec un certain étonnement qu'il est toujours au garde à vous, y met un terme. L'odeur sucrée du shampooing le remet de bonne humeur, et il sort tout frais de la douche. Serviette, slip propre, chaussettes, chemise blanche, pantalon. Coup de peigne, brosse à dents. Un dernier coup d'oeil dans la glace. Ca ira.
Sab l'embrasse sur le seuil de la porte, rituel dans lequel il puise chaque jour la force nécessaire pour tenir jusqu'au soir. Il file à travers l'air glacé du petit matin, apprécie l'odeur de feuilles brûlées de cette journée d'hiver qui débute. La réunion se passe bien, il aura sans doute une promotion d'ici quelques mois. S'ensuit l'habituelle journée de travail, relax jusqu'à onze heures, frénétique jusqu'à quinze heures, calme plat jusqu'à dix-huit, deuxième rush jusqu'à vingt-et-une heure, puis paisible jusqu'à vingt-deux, heure à laquelle le snack ferme.

Balai en mains, il nettoie tranquillement le sol carrelé du restaurant désert. Vendredi. C'est à lui de faire la fermeture. Maud termine les comptes dans le silence de la pièce vide. Elle fredonne une chanson de sa voix douce. Il pleut des cordes.
'Bientôt terminé ?', s'enquiert la blonde.
'Je passe un dernier coup, et ça devrait aller.'
'Tu aurais cinq minutes, après ?', demande-t-elle d'un air distrait, tapotant son crayon contre son menton.
Le coeur de Tom fait un bond dans sa poitrine.
'Je... Oui, pourquoi ?'
Il la regarde fixement, assailli par une étrange sensation de déjà-vu. Elle lui adresse un regard étonné, la tête appuyée sur son bras. Il sourit. Elle lui renvoie son sourire, rassurée.
'J'aurais voulu que tu vérifies un truc. J'ai dû me tromper, j'ai une erreur dans les comptes que je ne comprends pas.'
Soulagement.
'Tu as pensé à déduire le petit déj de la réunion de ce matin ?'
Elle fronce les sourcils, mordillant maintenant son crayon.
'Tu as raison, ça doit être ça. Je vérifie... Ouais, c'est bon, okay.'
Elle range son classeur, jette le crayon au fond d'un tiroir, disparaît dans le vestiaire, reparaît quelques minutes plus tard en habits civils.
'Bon, je file. A demain, Tom !'
'A demain. Bonne soirée.'

Il termine le nettoyage, souriant. Eteint les lumières, vérifie que tout est bien fermé, sort, abaisse le rideau métallique. Et disparaît en courant sous la pluie battante.

Ecrit par Barjac, le Vendredi 7 Novembre 2003, 21:06.
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Commentaires
nimantic - une seule fois ...
Le 17/12/03 à 12:45
Pourquoi les bonnes choses ne se font-elles qu'une seule fois, comme le dit trop souvent ma cousine? La fin de la semaine, la pluie dehors et puis ce monde fantastique dans lequel tu me fais admirablement entrer, est-ce l'amour qui est grisant, ou la pluie qui a inspiré ...inspiré ... tes deux récentes nouvelles?
Mais à l'intérieur, nous sommes toujours avec nos douceurs, nos plaisirs tout humains et que seul un petit retard peut laisser entrevoir, le soir, de retour chez soi. Retour à le réalité. Il faut partir, ou s'éveiller à sept heures du matin, mais au fond de soi, on tente de cacher un tourbillon de couleurs, qui parfois secoue la surface calme de la mer du réel... Sous les reflets mats de cet océan terni, se cachent en silence les plus doux des secrets...
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Le 17/12/03 à 13:09
Les bonnes choses ne se font pas qu'une seule fois, allons ! On risquerait d'en manquer, alors, quelle terrible chose ! Aimer, aimer est une bonne chose, et une bonne chose que l'on multiplie autant qu'on le peut. Mes deux dernières nouvelles ont été écrites il y a bien longtemps, sous l'effet de l'amour, mais d'un amour tel qu'en ont les gens qui écrivent : tout entier dans le rêve et la mémoire. Rien de vraiment personnel pour ces écrits là, sinon ce qui ne peut pas ne pas l'être.

La pluie m'a inspiré bien des choses, mais je ne les ai que rarement écrites. Elle est un de mes grands amours, c'est vrai, calme, reposante, fuie des gens ce qui me la laisse pour moi seul, et j'aime passer de longs moments sous un porche à la regarder tomber, et quand il pleut, jamais je ne cours. Je me moque d'être trempé jusqu'à l'os ; je prendrai un bain chaud une fois chez moi. La pluie est une amie qui n'est chère.

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