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Sept heures
La pluie s'abat sur le pare-brise avec une violence inouie. Les essuie-glaces sont désormais inutiles ; quelque barrage a rompu là-haut, et ce sont des dizaines de mètres cubes d'eau qui s'écrasent sur la vitre, rendant toute circulation impossible. Mat arrête la voiture sur le bas côté, coupe le contact, soupire. Il jette un oeil au rétroviseur. Celui-ci lui retourne sans pudeur le visage d'un homme rongé par la fatigue. On aimerait parfois que les miroirs fassent preuve d'un peu plus de politesse dans leur façon de nous renvoyer notre image, maquillent un peu la vérité. Ses yeux disparaissent au fond de leurs orbites, son regard ne parvient pas à se focaliser sur un point précis. Impossible de se concentrer sur quoi que ce soit, ses yeux refusent de s'accrocher, regardent au delà des objets et des formes. Il n'a pas beaucoup dormi cette nuit. Il se couchera en arrivant ; il ne doit pas être très tard, sa montre n'a pas encore sonné. Il passe la main sur sa joue mal rasée, sourit. A peine perceptible, au creux de sa paume, un parfum de femme. Il ferme les yeux, inspire...

Inspire...

Inspire. Ce parfum lui plait, il l'embrasse à nouveau. Elle sourit, bascule la tête en arrière, il l'enlace plus étroitement encore, voudrait l'étouffer. Des silhouettes entrent et sortent des toilettes, où, tel un coeur immense grondant dans les profondeurs de Paris, le battement sourd et régulier des baffles vient rythmer leurs baisers passionnés. Des images tournent dans sa tête, il lui semble que les murs dansent, Vulcain cogne de toutes ses forces à l'intérieur de son crâne. Il ferme les yeux, se raccroche à elle pour ne pas perdre un équilibre que l'alcool a rendu instable, s'accroche à elle pour ne pas qu'à l'intérieur de lui-même quelque chose d'autre ne tombe sur le sol. Trop bu, trop dansé. Sa chemise lui colle au torse, son jean est humide. Ses cheveux à elle sont plaqués sur son visage, ses joues empourprées ; il sent sa respiration rapide contre sa joue tandis qu'elle l'embrasse. Il essaie de se concentrer, s'accroche encore à ce monde qui tourne de plus en plus vite, tiré au loin par l'alcool et la musique, son foie à deux doigts de l'overdose et ses oreilles douloureuses. Il l'embrasse encore, encore, encore, avec un engouement qui frise la panique : il a la sensation atroce de se noyer, de s'asphyxier. L'embrasser, encore, encore. Il la voit se détacher de lui, ses lèvres forment des mots qu'il ne parvient pas à entendre. Tout est trop lent, trop flou, se perd dans le vide. Ses tympans lui font mal, sa tête semble prête à exploser. Elle l'interroge du regard, il joint son pouce et son index en un O pour lui faire signe que tout va bien, tel un plongeur dans un océan saturé de sons et d'images indistincts. Elle se penche à son oreille, hurle des phrases qui lui parviennent en bribes après un voyage de plusieurs années lumières à travers les méandres de son cerveau : '... chez moi... pas d'ici... voiture... alcool.. marcher...frais...'. Sans doute veut-elle qu'il la raccompagne. Cette idée lui semble aussi acceptable que n'importe quelle autre, pourvu qu'ils sortent de là, qu'ils quittent le bruit, la fumée, qu'ils cessent d'étouffer. Il fait signe qu'il la rejoint, hésite, se précipite brusquement dans un box et vomit à genoux devant la cuvette. Il reste un instant les yeux fermés, la tête ballante, appuyé sur les rebords poisseux. Un laps de temps indéfini s'écoule, quelque chose a décroché là-haut, quelqu'un a éteint la lumière. Il reprend conscience dans un sursaut. Sa respiration refuse de se stabiliser, ses poumons se soulèvent rapidement, insufflant de brèves bouffées d'air brûlant, saturé, amer. Sortir de cet endroit...

Sortir...

'...sortir d'ici.', murmure-t-il. Elle lui sourit et le prend par la main. Elle l'entraîne dans les escalier sombres du bâtiment, évitant maladroitement couples enlacés, junkies, et toutes les ombres de ces oiseaux de nuit qui n'ont nulle part où se poser et finissent un jour par échouer ici. Enfin, ils franchissent la porte, s'arrêtent pour reprendre leur souffle, saisis par la fraicheur de l'air et de la pluie qui s'abat sur le boulevard endormi. Il la serre contre lui, et les voilà qui filent à travers les petites rues de Paris, bras dessus bras dessous. Ils avancent d'un pas maladroit, grelottant, trempés. Il a mal tellement elle le serre fort, mais s'en moque.

Il ignore combien de temps ils ont marché, n'a aucune idée du quartier où il se trouve. Qu'importe, les draps sentent la lavande ; il se sent partir vers un sommeil d'une douceur infinie, se retient, observe le plafond qui va et vient lentement, lentement, lentement. Ses yeux se perdent sur sa surface blanche, la transpercent, traversent successivement les appartements supérieurs pour enfin crever le toit et s'élancer vers les étoiles...

Les étoiles...

Des milliers d'étoiles, un vrai feu d'artifice, gerbes colorées qui s'élèvent en sifflant dans sa tête, déchirant le voile noir du ciel en deux pans qui bientôt glissent sur ses épaules, dévoilant la peau claire de ses hanches, de ses seins, de son ventre, et retombent doucement sur ses cuisses. Elle sourit. C'est fini. Il laisse sa tête retomber sur le lit, vaincu, comblé, heureux. Elle s'allonge à côté de lui, se blottit dans ses bras, murmure quelque chose qu'il n'entend pas. Elle n'est plus qu'un point infime sur la terre au-dessus de laquelle il s'envole désormais, léger, léger, vers le soleil...

Le soleil...

Le soleil illumine la chambre de ses rayons matinaux. Il cligne des yeux. Il reconnait la pièce, le souvenir lui en parvient comme à travers un verre dépoli, souvenir d'un autre univers, d'un autre lui. Il se détache d'elle doucement pour ne pas la réveiller. Elle se débat un moment dans son sommeil, puis s'immobilise à nouveau. Il se glisse sans un bruit hors du lit, enfile ses vêtements, ses tennis, pose la main sur la la poignée de la porte, s'interrompt, pris d'un doute. Il porte les mains à ses poches, fouille sa veste, fait marche arrière. Ses clefs de voiture, là-bas, sur la commode. Il s'arrête en repassant devant le lit, la regarde une dernière fois. Tout est si violemment réel dans la lumière du jour, le lit, les draps, la chambre, elle. Il déteste cette sensation ; le monde réel a repris ses droits. Il se penche sur le lit, dépose un baiser sur son front. Elle resserre les draps contre elle, sourit dans son sommeil. Il file, dévale les escaliers, les étages, débarque sur le boulevard Voltaire qui s'éveille paisiblement. Les toits bleutés des maisons se suivent sur le ciel baigné de rose, il y a dans l'air frais du petit matin un parfum de croissant et de savon à barbe. Cela lui rappelle les dimanches de son enfance. Il allume une blonde, traverse le boulevard en direction du parc Monceau, où il retrouve sa voiture. Il s'assoit et met le contact...

Contact...

Contact, ceinture, première. Il s'engage à nouveau sur la route. L'averse est passée. Il allume la radio, sourit en reconnaissant une vieille rengaine d'Elvis Presley. Déjà, les nuages se dispersent et le soleil inonde de lumière la route detrempée. Grand temps d'aller se coucher. Il sera chez lui dans moins d'une heure... Il porte son regard à sa montre, et découvre avec stupeur qu'elle n'est pas à son bras. Tout en maintenant le volant d'une main, il fouille successivement dans chacune de ses poches. Pas de montre.

Quelque part dans Paris, une sonnerie retentit sur le lavabo d'une petite salle de bain. Il est sept heures.

Ecrit par Barjac, le Vendredi 7 Novembre 2003, 21:11.
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Commentaires
Le 29/03/04 à 12:31
Quelle aisance pour faire partager ce voyage au milieu des sensations ou la réalité, le temps d'une nuit, laisse la place au monde délicieux, indécis et imprécis, de la nuit que le matin achève un peu trop vite quand le quotidien abrupte dévoile le décor aigu. J'apprécie beaucoup les passages entre les différents mondes qu'il traverse tour à tour, sans vraiment décider, et où des images vagues comme des souvenirs lointains reviennent en taches de lumiere sous la surface de l'eau. De toute cette légende parcourue à une vitesse à la fois nonchalante et vertigineuse, ne reste qu'une montre, qui, une derniere fois, laisse retentir une heure trop prévisible. Paris s'éveille quand les derniers oiseaux de nuit vont conquérir la terre de leur sommeil, fusion tardive du jour et de la nuit.
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