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Solitude & réflexion sur le suicide.
Coeur lourd, cette nuit. Comme chaque soir, toute la maison dort et me voilà devant mon PC pour écrire cette chronique d’un jour qui ressembla tant aux autres, et dans l’obscurité, le besoin de confier à cet écran, à vous, ma solitude. Tout est silence, que je fais fuir en écoutant un disque de Loreena McKennit, envoûtant, mais pas réconfortant pour deux sous.
Pourquoi ce soudain sentiment de solitude, cette sécheresse affective qui pèse comme un poids invisible sur mes épaules, sac à dos plein de sable dont je n’arrive pas à me défaire. Dehors, la lune est pleine, immobile, diffusant sa lumière blafarde sur ma petitesse, si tranquille qu’elle me fait penser à la mort. Monte-t-on vers la lune pour y vivre une éternité de silence, dans un monde blanc et sans vent pour agiter les feuilles d’arbres qu’il n’y a pas de toutes façons, lorsqu’on quitte la terre des vivants ? Oh, comme ce soir j’aimerais avoir un ami à serrer dans mes bras, une amie à embrasser, quelqu’un à qui murmurer « je suis heureux que tu sois là », en reconnaissance de la solitude qu’il ou elle ferait fuir au loin... Si souvent, j’ignore cette solitude, ou plutôt je la traite en amie, mais ce soir, comme bien des soirs auparavant, et bien d’autres à venir, cette solitude m’étouffe de trop d’oxygène pour moi tout seul, que je voudrais tellement partager avec quelqu’un de cher. Papa et maman se sont pris le bec à table, à cause d’une soupe jugée brûlante par mon père, qui sans tact aucun l’a fait remarquer, essuyant alors comme toujours les arguments idiots de maman : « tu n’avais qu’à la faire toi-même ». Il eut suffi de faire remarquer que la soupe serait meilleure servie à température supportable, mais voilà, papa et maman ne parlent plus, et quand on ne parle pas, on accumule les tensions, on favorise la guerre, et la moindre parole est immédiatement ressentie comme une agression. Il n’empêche que, même s’ils se haïssent en se le montrant bien mieux qu’ils n’osent se le dire, ils ont au moins quelqu’un à serrer contre eux quand la nuit vient avec ses murmures d’abandon. J’aimerais aimer, ce soir, avoir le doux regard d’une femme rien que pour moi, qui me dirait « tu n’es pas seul ; pour moi, tu comptes ». Mais je n’ai que la voix magnifique de Loreena McKennit et la respiration du chat endormi sur mon lit. Et mes mots pour évacuer, convertir un peu de mon malheur en prose, ce qui, si ça ne soigne pas, a au moins le mérite d’alléger mon fardeau. Involontairement, je repense à Chiara, à nos premières nuits, où nous luttions contre le sommeil pour nous embrasser une fois encore, puis encore une, ce qui nous menait jusqu’au lever du soleil, moment auquel notre raison nous ordonnait de dormir un peu, et main dans la main, comme deux enfants qui se comprennent sans se connaître, nous voguions vers le pays des rêves. C’est étrange, j’ai le sentiment qu’en amour plus on découvre l’autre, et moins on le connaît. Qu’ils sont beaux les premiers moments, où l’on se donne tout entier, où l’on consomme ensemble le bonheur d’être quelqu’un pour quelqu’un, où l’on n’a pas besoin des mots, juste un regard, un sourire suffisent pour dire « je te comprends ». Chiara a cessé de m’aimer lorsqu’elle s’est mise à mieux me connaître, et de mon côte aussi, quelque chose a changé. Avec Ch., même des années après notre première nuit ensemble, tout était encore comme au début, bonheur formidable de serrer dans mes bras une belle inconnue dont le coeur battait au rythme du mien. Ce soir, c’est ce second coeur qui me manque avec douleur. Le mien bat, seul, sans écho, et ce battement à peine audible dans cette pièce silencieuse est drapé du sentiment de l’inutile. A quoi sert de vivre pour soi-même ? Oh, la réponse est simple. On ne vit vraiment que pendant les moments où l’on aime ; entre, on ne fait que se maintenir dans l’attente du moment suivant, qui est notre seule raison de continuer. Evidemment, cela n’est pas vrai tous les jours, et heureusement sans quoi ma vie entière n’aurait duré jusqu’ici que quelques jours, quelques nuits. Mais ce qui n’est pas vrai les autres jours est pourtant vrai ce soir, puisque c’est ce que mon coeur ressent. Voilà pourquoi le suicide est une erreur. Une erreur qui force le respect, et que je pense ne jamais faire car elle requiert un courage que je n’ai pas. Mais il est des moments où la vérité change, où ce qui n’était pas vrai hier et ne le sera plus demain le devient dans la douleur. Cette envie folle de m’aller noyer le jour de mon anniversaire quand à la suite d’un malentendu, Chiara me certifia qu’on s’était trompés, et que la nuit que nous avions passée ensemble n’aura pas de petites soeurs. Cette même envie, l’avant veille de mon départ d’Angleterre, où je voulais tant parler à cette fille devenue ex-petite amie, et ne la vit pas. Idiote, vue d’un autre jour, mais au contraire tellement sage dans chacun de ces moments. Le suicide est une belle chose. Pour moi, cela restera un rêve, une chose qu’on abandonne debout en face d’un canal où coule une eau noire et qu’enfin les larmes se décident à venir, salvatrices, reportant la décision à plus tard, suffisamment tard pour qu’alors la vérité de vivre soit redevenue d’actualité. Il y a quelque chose de beau, dans le suicide. Un sentiment de vengeance, une vengeance qui n’est pas vilaine car on en est la première victime, et celle qui en pâtirait le plus. Qu’il m’était bon d’imaginer, dans ces WC de l’université à côté desquels je passais la nuit (impossible de voir Chiara, donc impossible de dormir chez elle, donc dodo à la fac dans le lab avec Ben), les deux rivières brunes provenant de quelque part derrière la porte d’un chiotte, et l’horreur sur le visage de Ben le lendemain matin, qui pousserait la porte et découvrirait son ami exsangue assis là-dedans, le masque tranquille de la mort peint sur le visage. Et qu’il était bon d’imaginer le remords de Chiara, ses larmes peut-être, son incompréhension, surtout. Et pas seulement la sienne, celle de toute la bande. Alors, il l’aimait, il m’aimait donc à ce point... Seulement, j’aurais emporté avec moi tant de secrets, tant de choses que je n’ai jamais dites à personne, et je suis trop fier pour mourir sans coucher par écrit au préalable toute ma vie, tout ce qui s’est noué et dénoué dans cette caboche qu’est la mienne. Evidemment, coucher tout ça par écrit me prendrait des mois, au terme desquels j’aurais probablement oublié la raison initiale pour laquelle j’avais commencé à écrire. La beauté du geste réside en ce qu’elle explique bien mieux que les mots l’importance qu’on accorde à certaines choses. Jamais par les mots je n’aurais pu permettre à Chiara d’entr’apercevoir ne serait-ce qu’un échantillon de la douleur qu’était la mienne ce soir-là, et à quel point je l’aimais. A quel point j’aimais notre amour, plus exactement. Car la fille en elle-même n’était que le support sans lequel l’amour était impossible. Je n’aimais pas ce qu’elle était. Mais j’aimais tellement ce que NOUS étions, ensemble, cet amour, ces moments de bonheur partagé, où elle n’était pas elle, où je n’étais pas moi, mais où nous étions unis sans trop comprendre pourquoi ni comment, mais quelle importance. Ce n’est pas la première fois que je me grimpe en haut d’une falaise pour m’y jeter dans la mer, et qu’arrivé au but, je n’ai plus envie. Imaginer la chose me suffit, je n’ai pas l’envie d’aller plus loin. Je me souviens, ces deux jours où pour Chiara j’avais l’envie de tout arrêter, je me souviens d’avoir pensé que c’était idiot, qu’un jour lointain, mon chemin devrait croiser une autre fille, qui certes à mes yeux n’avait alors aucune importance, mais qui en aurait ce jour, et dont je pourrais faire le bonheur, et elle le mien. Je n’avais de toutes façon pas l’intention d’en finir vraiment. J’éprouvais, non sans un certain fanatisme, le sentiment grisant d’apercevoir la mort de l’autre côté de la route, belle déesse triste et vêtue de noire comme ces femmes d’Espagne, et cela m’était suffisant. Je n’avais pas besoin d’aller l’embrasser, j’en aurais l’occasion bien assez tôt. Ma raison m’aura sauvé la vie à plusieurs reprises. Je suis en effet trop raisonnable pour me jeter d’une fenêtre ou dans un canal. La beauté de l’idée suffit à me faire apprécier mon malheur, la grandeur de ceux qui n’ont plus rien, l’affranchissement de ceux qui n’ont plus nulle part où aller et sont donc libres d’aller où bon leur semble. Des fois j’aimerais juste un suicide raté. Mais je suis trop fier pour ça. J’ai appris il y a longtemps qu’un suicide raté est un ratage volontaire; une façon d’attirer l’attention sur soi. Ma mère en a usé par le passé, une amie de même. J’aurais honte de ce procédé. Si j’avais vraiment voulu me flinguer pour Chiara, j’aurais trouvé trop mesquin de vouloir le beurre et l’argent du beurre, les sanglots des amis sans ma mort, pour me rater. On ne rate pas un suicide lorsqu’on est déterminé. Celui qui ne veut pas se laisser la moindre chance ne s’ouvre pas les veines, n’utilise pas un revolver, ni une corde, ni le gaz. Il saute du haut d’un immeuble, d’une falaise. Ainsi, pas de change de se rater, pas le temps de changer d’avis, et quand bien même, une fois que l’on a sauté, même conscient le temps de la chute, on est mort. Funestes réflexions, je vous l’accorde. A mon âge environ, mon oncle s’est flingué. Pour une fille, disent les gens qui dans un livre ne voient dans le point final que le point de la dernière phrase. Moi j’y vois le point de tout le roman d’une vie. Si j’étais de ceux qui se flinguent, ce serait pour mettre fin à quelque chose qui a commencé le jour de ma naissance, pas simplement pour une fille. Je sais bien que ce coeur que les filles brisent régulièrement se remettra un jour pour aimer encore, être brisé à nouveau, et qu’importe, mieux vaut ça que ne rien vivre du tout. Et je crois que cet éternel jeune homme que restera mon oncle, jouant avec ce bébé qui un jour deviendrait ce que je suis, seule photo que j’aie jamais vue de lui et qui trône sur le buffet de mes grands-parents, le savait aussi. Etrange qu’on ait enfermé une tierce personne dans le cadre en bois de ce jeune oncle de vingt et quelques années. C’est peut-être pour lui tenir un peu compagnie. Etrange qu’on m’ait choisi moi. Enfin ce n’est que le hasard, n’est-ce pas. N’empêche, peut-être que je le comprends un peu, après tout. Ou peut-être pas du tout, je ne peux plus le savoir. C’est amusant, cette façon de s’attacher aux morts, d’admirer avec respect ceux qui sont partis, tandis qu’on n’en accorde pas tant à ceux qui ont fait l’effort de rester. Mais ce n’est peut-être pas une question de force. Ce ne sont peut-être pas les plus faibles, qui partent. Ce sont peut-être simplement ceux dont la force n’est pas suffisante pour rester. Les autres sont parfois plus faibles, mais leur nature fait qu’ils n’ont pas à traverser les mêmes épreuves. Moi, si je partais, ce serait pour mettre fin à ce que je suis, parce que trop de sensibilité fait effectivement des histoires amoureuses difficiles à supporter, mais pas seulement. On se sent réellement incompris, telle une pièce de facture ratée, et par conséquent inadaptée, du système complexe qu’est la vie. Et alors, ce n’est pas une lutte d’un soir à cause d’une fille, ni une lutte d’un soir à cause de la solitude. C’est une lutte de toute une vie. Le point final du roman... Je me rassure en me disant qu’une pièce mal fabriquée trouvera peut-être une fonction toute autre que celle qu’elle devait remplir mais ne peut. Alors je ne jetterai pas une telle pièce, je la garderai pour le jour où je lui trouverai un autre usage. Ce sera peut-être peu de chose, équilibrer un meuble, caler des bouquins, qu’importe. Elle aura un rôle bien à elle, un rôle qu’elle remplira très bien, enfin. Des fois, l’inutile ne l’est que par rapport à son contexte, et s’avère tout à fait utile dans un autre. C’est là une vérité qui sauve. Le chat dort, étendu de tout son long, pattes avant repliées vers son petit minois. Parfois j’aimerais être un chat. Mais parfois seulement. Car en dépit de ses souffrances, la vie d’un homme est indiscutablement plus riche. Difficile, certes, comme tout ce qui a de l’importance. Je suppose que parfois un capitaine, au coeur de la tempête, doit avoir envie de couler son propre navire, pour échapper par la mort aux vagues rugissantes. Seulement, je suis des capitaines que l’idée charme parce qu’elle est noble, mais qui continueront toujours à maintenir leur cap. La raison à cela est simple. Lorsque la vie malmène notre embarcation, dans le mauvais temps, on est incapable de voir au loin s’il y a ou non un rivage salvateur. On est tenté de penser qu’il n’y aura pas d’autre rivage, pas d’autre bonheur, que parce qu’on a perdu l’amour d’une femme, on ne sera plus jamais heureux. A ce sujet tout n’est qu’incertitude. La seule certitude qu’il existe est celle que possède celui qui coule son navire, et qui est qu’il ne marchera plus jamais sur la terre ferme. L’incertitude d’être heureux sera toujours statistiquement plus probable qu’une certitude de ne plus jamais l’être. Un « je serai peut-être encore heureux » est une infinité de fois plus probable qu’un « je ne le serai plus jamais parce que je suis mort ». Alors toujours je garderai le cap, regardant parfois l’étendue marine au fond invisible en me disant que couler le navire maintenant serait une délivrance plutôt que de continuer à me battre contre cette mer déchaînée, mais ne mettant jamais une telle menace à exécution, serrant contre moi au sommet de ma douleur l’espoir qu’un jour le vent tombera, et qu’il y aura encore un port, un quai où une fille n’aura pas attendu pour rien et ouvrira ses bras pour y accueillir son marin. Si vous aussi vous avez parfois l’envie d’attenter à vos jours, réfléchissez à ceci. Un « peut-être un jour » sera toujours plus certain qu’un « jamais plus ». Ecrit par Barjac, le Lundi 10 Novembre 2003, 13:35.
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