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Magical Hystery Tour...
Silence depuis quelques temps, auquel je prends ce soir le temps de palier ; je ne voudrais pas que ce journal devienne aussi poussiéreux et attractif que le grenier d’une bibliothèque.
Il y a eu depuis mon dernier post quelques événements qui méritent d’être couchés ici. Le premier concerne mon occupation du moment, à savoir l’apprentissage du permis voiture. J’ai commencé la semaine dernière, le laps de temps écoulé m’ayant permis de mesurer qu’il y avait du boulot. J’ai conduit un peu. C’est formidable, à 20 km/h, cette sensation d’effleurer la vitesse de la lumière (tamisée, toutefois). Formidable aussi, ces questions du code, qui alternent la plus absolue simplicité (une jeune maman traverse après le stop, A : je m’arrête et hoche la tête en souriant tandis que les oiseaux gazouillent, réponse B : je grille le stop en klaxonnant de rage et rappelle à l’intéressée qui regagne in extremis le trottoir que je ne vais pas me laisser emmerder sur MA route par une nana et ses trois moucherons grâce au geste de la main qui veut dire tout ça à la fois) à la plus subtile complexité (je roule de nuit à bord d’un véhicule de location étranger mis en circulation il y a moins de quatre ans, avec une caravane de PTAC inférieur à 250 kg sur une autoroute traversée par un chemin de fer en plein brouillard où un feu hors d’état s’accompagne d’un panneau « verglas fréquent » accompagné lui-même d’un panonceau « cycliste » et ayant bu deux verres de Chateauneuf du Pape 1951 qui titre à trois points et une amende forfaitaire de 70 km/h à stationnement semi-mensuel alterné, réponse A : je m’arrête sur le bas côté sans allumer mes feux pour relire la question, réponse B : non). Mais c’est intéressant, et je m’en sors honorablement. J’ai bon espoir de parvenir à quelque chose du côté théorique. Par contre, la pratique n’est pas encore au point (normal vu que je commence, cela dit) : je découvre que si on tourne le volant comme dans les films des années 30 (droite-gauche-droite, borsalino, gomina et jazz à la radio, darling), on fait des écarts considérables, même à la vitesse de la demi-lumière. Je manque encore de précision dans les vitesses, ce qui me fait passer de la seconde à là quatrième (voiture molle, par Salvator Dali) ou inversement de la quatrième à la première (voiture sauvage mugissante, avec Clint Eastwood, dont l’effet rodéo est accentué par mon jeu de claquettes à faire pâlir Fred Astaire sur la pédale de frein). Enfin, c’est un régal pour le néophyte que je suis, ainsi que pour mon moniteur, qui pour une fois, ne s’ennuie pas pendant la leçon : « monte bien la main droite sur le volant, non la droite, voilà, ralentis, tourne, mais tourne qu’est-ce que t’attends, tourne ! Mais non, à droite... (silence d’une durée pesante) Bon, c’est pas grave, tu prendras la prochaine, monte bien ta main droite, la droite, nom de dieu... ». Voilà donc à quoi j’occupe mes journées, code les lundis, mercredis et vendredis, conduite le mardi et le jeudi. Et puisque tout ceci se passe sans trop d’encombres, il fallait bien qu’une tuile me tombe sur le coin du paletot. Et bien, c’est chose faite : on arrive à l’échéance pour payer la taxe d’habitation, et bien que j’habite chez mes parents, j’ai reçu en novembre la taxe pour l’appart que j’ai quitté il y a un an et demi. J’ai donc écrit à mon propriétaire, dont je suppose je n’aurai pas de réponse, vu que ça fait trois semaines que j’attends. J’ai donc aujourd’hui écrit au Trésor Public pour lui dire de voir ça avec mon proprio. Chose absurde, j’ai réalisé brusquement que prouver qu’on n’habitait plus un endroit n’était pas chose aisée. N’ayant pas retrouvé la fiche d’était des lieues du départ, je crois que j’ai aucun moyen de prouver que mon bail a bien cessé. C’est idiot, mais ça risque de me coller dans un sacré pétrin, vu qu’il me reste cinq jours pour payer cette taxe que je n’ai aucune raison de payer. J’ai retrouvé le numéro de téléphone du proprio, il va donc falloir que je l’appelle, et cela ne me dit rien du tout (« allô, c’est ton ancien locataire qui aimerait bien que tu paies la taxe d’habitation, mais qui peut pas prouver qu’il habite plus l’appart... »). Enfin, je crois que je vais le faire demain, le temps devient précieux. Demain, demain... Demain est le jour d’action pour les timides. Tiens, j’ai été faire un tour sur les stats de ce journal, savoir qui visite, et d’où viennent-ils, les égarés qui se retrouvent là. Et bien, j’ai beaucoup ri (jaune). C’est à croire que dés qu’un type tape dans Google les mots « suicide », « chagrin d’amour » ou encore « solitude », il arrive direct sur mon journal. Mal dans votre peau ? Consultez le journal de Barjac. Peut-être que bientôt je pourrai faire payer l’accès. Juste le temps de rembourser ma taxe de non-habitation, bien sûr. Enfin, cela me fait plaisir tout de même, de voir qu’il y a des gens qui viennent lire mes états d’âme. J’espère qu’ils y trouvent quelque chose, ne serait-ce que la maigre consolation de savoir qu’il y en a d’autres des comme eux. Ca les rendra pas moins seuls en pratique, mais c’est toujours mieux que d’être un cas particulier. Enfin, quand même, c’est un sacré portrait de moi que je fais ici, quand on voit combien les mots qui y mènent sont malheureux. Si un jour je prends mon besoin d’amour au sérieux, il faudra que je fasse attention. Quelle fille irait s’attacher à un dépressif qui marche sur la corde raide parce qu’elle est trop raide pour y faire un noeud coulant ? N’oublions jamais que les gens préfèrent qu’on leur apporte du bonheur plutôt qu’on ajoute notre fardeau au leur (« tiens, tu peux tenir mes malheurs dix secondes, j’ai un lacet défait »). Mais pour l’instant, j’ai une personnalité à soigner, alors excusez mes complaintes, elle me font autant de bien qu’elles vous ennuient sans doute. Et puisqu’on aborde la métaphysique, et bien, oui, allons y. Je devais coucher ça par écrit depuis un moment. Ca, c’est la dernière crise de maman. Je crois qu’on appelle ça de l’hystérie, dans le jargon des médecins de la tête. Moi, avec le jargon des enfants terrorisés, j’appelle ça de la folie. Quelle que soit l’espèce et la branche du classement au bout de laquelle poussent les fruits horribles de cette sorte de maladie, moi je ne vois que de la folie. Mais, place au pathos (enfin, j’ai l’air de le prendre à la rigolade, mais vu les effets sur ma personne, c’est avec un cynisme certain doublé d’une bonne dose d’amertume). Il était tard lorsque je m’éveillais, il y a dix jours. J’ai horreur d’ouvrir les yeux et de réaliser qu’il est déjà presque midi, parce que je sais que maman n’aime pas ça. Ca fait « vie de patachon », comme on dit dans ma famille à propos de tout ce qui n’est pas se coucher à 22 heures et se lever à 7. Le bruit de l’aspirateur, allègrement cogné contre les murs et la porte de ma chambre suffit à trahir la mauvaise humeur de maman. Je m’enfouis sous ma couette, préférant attendre qu’elle soit redescendue pour me lever, parce que je sais que de temps à autres, il y a les crises. Il suffit d’en avoir vécu une pour que chaque matin devienne un « jour de crise » potentiel, ce qui fait que dans ma famille (du moins, mon frère et moi, et sans doute un peu mon père et ma soeur aussi, bien qu’ils aient l’air l’un blasé, l’autre indifférente), on se réveille avec la peur au ventre, et que la première pensée qui nous vient lorsqu’on s’aperçoit qu’on n’a pas entendu le réveil et que midi arrive tranquillement, c’est « je suis mort », pensé pratiquement au premier degré. C’est triste à dire, mais pour moi, chaque matin le soleil se lève sur un jour de crise potentiel. Ce n’est qu’en entendant maman chanter en bas, ou discuter avec bonne humeur avec la voisine, que je souffle en me disant « c’est bon, aujourd’hui sera une journée normale ». Telle est la première conséquence, mais pas la pire, du mal que je vais tâcher de décrire à travers l’exemple d’il y a un peu moins de deux semaines. Ce matin-là, donc, je sus qu’on allait en avoir une. L’animal qui vit continuellement sur ses gardes finit ne plus voir ou entendre les choses, mais par les sentir, comme le gibier fuit la forêt quelques minutes avant que l’homme ne commence à sentir l’odeur de brûlé. En milieu hostile, l’instinct de survie se développe de façon surprenante. En deux secondes j’avais sauté du lit, ouvert mes volets, m’étais habillé, non que j’eus pensé faire croire que j’étais levé depuis longtemps, mais j’avais pressenti que le passage à la salle de bain serait à remettre à plus tard. Et je ne m’étais pas trompé. A peine sorti de ma chambre, je fus pris d’assaut par la première ligne. Une crise, c’est quelque chose d’impressionnant. J’ai eu souvent peur dans ma vie, mais les crises restent au sommet de la pyramide. Ca commence comme de la mauvaise humeur, mais ça évolue très rapidement vers quelque chose de totalement incontrôlé, telle une petite boule de neige qu’on lâcherait sur le versant d’une montagne et qui grossirait au fur et à mesure qu’elle prend de la vitesse. Ainsi, maman commença par râler, et découvrant que je n’offrais pas de résistance, la voix monta d’un cran, me criant au visage que « j’en ai ras le bol de votre conduite, à ton frère et toi, RAS LE BOL, TU ENTENDS, ET SI VOUS VOULEZ MANGER A MIDI, DERMERDEZ-VOUS !!! ». Je ne me le fis pas répéter, et filai à la cuisine improviser en tremblant un riz cantonais pour accompagner quelques nems. Mon frère fit surface quelques secondes plus tard, ayant lui aussi été réveillé de façon similaire. Je l’entendis monter les escaliers ou maman passait encore l’aspirateur. Il fut accueilli par des cris similaires aux miens, mais tenta de faire face, tentant d’aborder la chose sous l’angle du dialogue. Mais quand maman est dans cet état, on ne discute pas. Devant cet affront, la boule de neige prit un petit coup de pousse supplémentaire, peu malvenu dans sa descente déjà mal maîtrisée. Elle perdit le contrôle. Ce ne furent plus des cris, qui emplirent la maison, ce furent des hurlements. Je n’ai jamais entendu quelqu’un hurler ainsi, de toute ma vie, et puisse le ciel faire que je n’entende jamais plus une chose pareille. J’étais en bas, et mon sang se glaça. Je vis mon frère débarquer dans la cuisine à son tour, l’air totalement effaré, les yeux ouverts en grand, incapable de s’asseoir ni de rester debout, pris au piège. Tout y était passé, dans les cris. Le fait que notre attitude était inadmissible avait été le point de départ. Bientôt, nous nous entendîmes hurler que nous étions responsable de l’insolence de notre soeur, qui ne travaillait plus à l’école (ma soeur est en pleine adolescence, ce qui la rend parfois un peu pénible, certes, mais ne l’empêche pas d’être une excellente élève, et même la plus brillante de sa classe, il me semble), que nous avions fait de cette maison un enfer, qu’elle ne savait pas pourquoi elle restait ici avec les monstres que nous étions, qu’elle n’avait qu’une envie, s’en aller de cette famille qu’elle haïssait. Il y en eut bien un peu pour mon père aussi, mais l’intéressé n’étant pas là pour avoir sa part du gâteau, il était préférable de la partager entre les invités présents. Mon frère essaya de se défendre à nouveau, l’orage tonna encore, un orage rendu sourd par ses propres cris. Au final, il y eut le silence dans la cuisine. Ma mère pleurait à chaudes larmes au milieu de sa souffrance (voyez comme vous me faites mal), mon frère restait immobile comme un animal sur une route pris dans les phares d’une automobile, reprenant doucement le contrôle de ses émotions, ma soeur observait sans rien dire avec ses yeux de gamine qui comprennent déjà trop, et moi, moi, je me concentrai sur mon riz pour retenir mes larmes. J’ai l’air de prendre ça avec beaucoup de calme, et sans doute avec un certain dédain. A l’heure où j’écris, la haine et la colère (maîtrisée, celle-là) ont remplacé la peur. Mais croyez-moi, sur le coup, je n’étais pas fier, et les larmes contre lesquelles je luttais étaient des larmes de trouille. Ca paraît sans doute idiot, mais il faut avoir été premier enfant dans une famille comme la mienne pour comprendre à quel point on peut craindre ses parents. Le repas se termina tant bien que mal, et j’essayai de faire comme si je prenais les choses plutôt bien, faisant rire ma soeur en critiquant mon riz, mes le coeur n’était ni dans mes blagues, ni dans son rire. Il me faut maintenant en dire plus long sur ma famille. On pourrait penser qu’après tout, il n’y a là qu’une mère qui entre dans une colère noire parce que ses deux fils se la coulent un peu trop douce à la maison. Mes deux parents étaient une combinaison particulièrement malheureuse. Une femme hystérique et un homme sévère, mais doux, ne font pas bon ménage. Les crises ont commencé il y a une dizaine d’années. Ce fut l’époque où maman avait un amant, où papa pleurait tout le temps, où elle voulait s’en aller, loin de cette famille qui ne la méritait plus, où du haut de mes treize ans, je feignis de ne rien voir. Mais je vis. Je vis mon père pleurer, et Dieu que ça fait mal. Mon père, ce héros, mon seul modèle malgré tous ces défauts (que je ne voyais pas à l’époque), soudain s’écroulait, pleurant seul à la table du salon tous les soirs, perdu comme peut l’être un homme qui a consacré sa vie à fonder une famille, n’étant certes pas le meilleur des pères, mais essayant de faire de son mieux, et dont brusquement toute la vie tombe en miettes, parce que sa femme le trompe, veut s’en aller, que sa grande histoire d’amour se brise, et que le couple se donne en spectacle aux yeux graves des enfants. Mais moi, moi je n’avais qu’une chose en tête, pendant cette époque où l’on vit défiler chez nous les amis, les proches, adultes réunis pour faire face à des situations qui les bouleversaient (et un enfant ne s’attend pas à voir des adultes perdus, ne sachant quoi faire face à la situation, les adultes sont censé savoir être sereins en toute situations, croit-on à cet âge), je ne pensais qu’à S., dont j’étais amoureux, suffisamment amoureux pour être aveugle, et je crois que cela m’aida beaucoup sans que je le sache. Le drame qui se déroulait à la maison ne m’atteignit pas autant qu’il aurait dû le faire, car j’étais amoureux, et je vivais plus dans mes rêves d’adolescent, rêves d’amour pur. L’amant de ma mère était le tuteur de S., on imagine sans peine ce que j’étais loin de voir à l’époque, que je servis plus d’une fois de couverture aux deux amants (on lira dans cette expression tout le dégoût rétrospectif que la chose put m’inspirer et m’inspire encore). Je passais bien des week-ends avec S., adolescents laissés à nous-mêmes, et, parce que quand une tuile me tombe sur la gueule, le reste du toit ne tarde pas à arriver, j’avais encore eu le chic pour m’éprendre d’une fille comme il me fallait. Dépourvue de parents, ayant grandi un peu de travers comme souvent dans ces cas-là, S. était une fille fort jolie qui s’affichait avec les blousons cuirs de l’époque, tous ces gamins laissés à eux-mêmes qui tuent l’ennui dans les abribus des villages de campagne, buvant et fumant déjà autant que leur père. J’ai le souvenir d’une nuit passée avec S., et deux autres ados de notre connaissance, et S. nous conta sa « première fois », quelque part sur la route des treize ans (elle était d’un an mon aînée), avec quelque blouson cuir plus âgé pour lequel elle gardait au fond d’elle un immense respect et sans doute un peu d’amour (cet étrange et formidable attachement des filles pour leur premier amant). Tout était parti d’un de ces jeux cruels de l’adolescence où l’on se pose les questions les plus indiscrètes, où l’on est tantôt le voyeur et tantôt l’exhibitionniste, auquel je refusai de participer, prétextant que j’étais crevé. Aussi, dans le noir, j’appris, de même que toute notre petite assemblée, tous les détails croustillants du corps et de la vie sexuelle de S. A une époque où l’on ignore encore tout des femmes, et où l’on en a cette image sublime (théorie encore vierge que l’expérience n’a pas encore ternie), ces aveux soudains, dépourvus de toute pudeur, furent suffisant pour démolir mon coeur idiot, amoureux d’une fille fort sympathique au demeurant, mais d’un autre monde. Enfin bref, je passais souvent mes week-ends avec S. ; cela permettait aux adultes de cacher leur sombres histoires. Cette période se termina (en apparence) avec une tentative de suicide de ma mère, sans doute dans un des moments de lucidité douloureuse qui suit les crises, et dans lesquels sa culpabilité est sans doute grande. On enterra l’affaire, et on reprit comme si rien n’avait changé. A ceci près que tout avait changé et que rien ne serait jamais plus comme avant. Dans la famille de ma mère, il est intéressant de constater que les femmes, de la grand-mère à la soeur en passant par ma mère, sont toutes sujettes « aux » crises. En face, les hommes se taisent, font profil bas, du grand-père qui ne parle plus au frère qui enchaîne les dépressions. Tel est le vrai visage du protestantisme stéphanois, dans lequel mon père mit les pieds sans savoir ce quelles surprises cela lui réserverait, pensant trouver dans ces gens une droiture quasi ascétique qui ferait écho à son amour de la droiture, et dans lequel mon frère et moi avons grandi. Il n’est pas de milieu que je hais plus que celui-ci, aujourd’hui. C’est un milieu qui sent l’antimite et les petits berlingots à la menthe dans une boîte en métal noir, c’est le culte du dimanche, où les enfants doivent rester silencieux pour des raisons qu’ils ne comprennent pas, et où les parents vont prier leur Dieu et parler d’un amour qu’ils laissent au vestiaire avec leur livre de cantiques, en sortant. Le jour de la crise (il y a dix jours), j’ai écrit à ma mère une longue lettre de six pages. Je voulais lui dire que je comprenais sa douleur, et que j’étais conscient que ça n’était pas facile pour elle, avec papa qui, derrière une apparence sévère, cache un coeur incapable d’affirmer une réelle autorité de père, et avec mon frère et moi qui sommes à la maison en période de transition, et menons la vie des chats de salon. Mais que bien que comprenant ses motifs, je n’en acceptais pas pour autant la façon dont elle essayait de les résoudre (de ne rien résoudre du tout, en fait). Ce fut la dernière fois où j’adressai la parole à ma mère. Je n’eus pas le courage de lui remettre cette lettre. J’hésitai un instant devant sa porte, et puis le courage me faisant défaut (j’avais encore les oreilles qui sifflaient des hurlements du début de journée), je remis mon geste à plus tard, et filai en ville prendre pour marcher un peu, et acheter des clopes dont j’éprouvais le soudain besoin. Je marchai ensuite longtemps dans la ville, au hasard, écoutant les voix des femmes, de femmes qui ne criaient pas, qui parlaient à leurs enfants avec douceur, à leur amant avec bonne humeur, à leurs amies en riant, et j’imaginais que ces paroles douces m’étaient adressées. C’est un exercice idiot, mais quand je me sens seul, je vais puiser dans la foule un amour qui ne m’est pas destiné, illusion du pauvre, mais meilleure que rien. Je passai ainsi une bonne heure dans la nuit froide, puis rentrai. Je jetai alors ma lettre à la poubelle. Ce soir-là, je me couchai plus tôt que jamais, et dans mon lit, je sentis se sectionner le maigre fil qui me reliait encore à ma mère, et que toutes les crises précédentes n’avaient pas réussi à couper entièrement, maigre cordon ombilical, amour difficile d’un fils pour une mère folle. Cette dernière crise tua ce qu’il me restait d’amour pour ma mère. Qu’on me juge indigne, qu’on me juge ingrat, peu m’importe. Il faut avoir vécu la folie pour savoir à quoi elle ressemble. Et le trait principal de la folie, c’est justement de ne ressembler à rien, à plus rien que l’on puisse saisir ou rapprocher de quelque terrain familier. Rien. Il faut avoir vu le visage de cette femme tordu par la haine et la rage, ses yeux bouillants, étrangers, fous, pour comprendre qu’on peut cesser d’aimer sa propre mère lorsque cela devient votre seul gage de santé mentale. Cette crise eut cependant du bon : elle me permit de comprendre bien des choses. J’ai beaucoup appris de moi, ce jour-là. Ma lettre à ma mère commençait par cette phrase, qui résume assez bien les choses : « Un enfant qui grandit entre un père muet et une mère qui crie devient un homme qui a peur des hommes parce qu’il ne les connaît pas, et a peur des femmes à cause de ce qu’il en connaît. » Et je crois que toute la clé de ma personnalité est là. J’en ai discuté longuement avec mon frère, et nous sommes d’accord sur bien des points. Papa n’a jamais été ce qu’on appellerait un chef de famille. Mon père est pour moi un parfait inconnu, avec lequel je n’ai jamais rien partagé. Je ne connais pratiquement rien de lui, il a toujours été distant, se posant en éducateur sévère, mais cachant (malgré lui, si je fais l’hypothèse que j’ai hérité de ses mécanismes) sa tendresse parce que maladroit dans ce domaine, tout comme son père, monument de sévérité, n’ouvrant la bouche que pour râler, et pourtant bon et grand homme derrière sa carapace de droiture froide. Seulement, la tendresse cachée est une absence, et c’est un reproche que je ne peux que lui adresser, parce que j’aurais aimé partager quelque chose avec cet homme qui a toujours été mon modèle, jusqu’à ce qu’il soit démoli par sa femme, jour où je cessai de l’admirer pour le plaindre. Oui, je plains mon père parce que c’est un homme doux, mais doublé de cette tendance à l’abstraction qui en fit un homme de principe plus que de contact. Mais je lui en veux aussi un peu, pour avoir toujours été dur en tant que père, et j’aurais aimé que ce soit avec lui que je savoure ma première bière, plutôt que de la prendre par ennui dans quelque soirée étudiante, avec déjà pour objectif de tuer l’esprit l’espace d’un soir (d’en avoir fait trop peu jusque là, il me fallait dés lors en faire trop). Enfin, à mon père, je dois beaucoup de ma crainte des hommes, comme je le dis parce que je ne connais rien d’eux. Si j’avais eu un père proche de moi, je pense que j’aurais eu d’une part une idée rassurante de ce qu’est l’homme, plus le sentiment d’avoir derrière moi cet adulte plus fort que moi, mon meilleur allié face à la vie. Je ne l’eus pas, mais je suppose que tout le monde pourrait reprocher bien des choses à son père. De même, je compris que ma peur des femmes était née, comme je tend à le penser pour tout ce qui est relationnel, dans la vie de famille. En face d’une mère hystérique, l’enfant de peu d’assurance que j’étais est devenu le jeune homme malade, continuant à fuire dans le rêve les hurlements maternels. La force que mon père ne me donna pas, ma mère acheva de me l’ôter. Désormais, j’ai constamment peur des filles. Je le dois beaucoup à cette femme aux nerfs instables, qui grâce à son cirque a fait de moi un romantique (attendant trop de la femme pour ne pas avoir reçu assez de la mère) et un angoissé (craignant inconsciemment que les femmes de sa vie adoptent des comportements similaires au modèle qu’il a eu dans son enfance). Mais je le dois aussi à mon père. Il eut fallu que dés la première crise, cette homme soit capable de tenir tête, parce que je crois que la colère des femmes vient souvent pour tester la solidité de l’homme en face, dont elles attendent qu’ils soit le plus fort. Mon père ne fut pas le plus fort, car il n’était pas habitué à la colère. Il en usa trop peu, et se fit manger. Eusse-je eu comme modèle un père qui fait face, je saurais aujourd’hui je pense faire face de la même façon. Comme le pense mon frère, je crois que dans les situations de couple, on applique les schémas que l’on a emmagasinés dans son enfance, en observant ses parents. Les hommes qui ont eu une mère douce et un père assumant son rôle de chef ont un inconscient qui pense que les femmes sont douces et qu’ils sont un homme fort. Moi j’ai un inconscient qui pense que les femmes sont capables de devenir cinglées et que les hommes doivent s’écraser dans ces cas-là. Parce que j’en suis conscient, toutefois, j’ai bon espoir de parvenir un jour à inverser ces schémas, à m’en construire de nouveaux, plus sains, où les hommes sont forts et les femmes gentilles. Mais il reste sans doute beaucoup de travail, surtout dans le domaine pratique. En attendant, on frère attend plus que jamais de repartir en Chine (à la fin du mois), et je sais qu’on ne le reverra plus de sitôt. Moi aussi, j’ai hâte de terminer mon permis pour fuire cette maison, cette famille qui est devenue un enfer, où mon père même ne se sent pas vraiment chez lui, partant au boulot avant que tout le monde se réveille, et rentrant suffisamment tard pour manger seul dans la cuisine, devenu un peu un étranger, ici. Il est une seule personne pour qui j’ai de la peine, dans cette histoire, c’est ma soeur. Je la sais drôlement brillante dans sa tête, en dépit de son âge (je la soupçonne d’être de loin la plus brillante de la famille, elle me surprend). J’espère qu’elle aura la force qu’il lui faudra pour s’en tirer sans trop de problèmes. Il me tarde d’aller me trouver un job à Paris, et d’y construire ma vie. Je sais que ce ne sera pas quelque chose de facile, en particulier au niveau amoureux, parce qu’il est un schéma supplémentaire que j’ai dans la tête, c’est celui du couple qui ne marche pas. Et c’est dur d’avoir envie de vivre sa vie avec une fille quand on a eu sous les yeux le spectacle désastreux de mes parents. Mon frangin a renoncé, il ne voit sa vie qu’en solitaire, sans refuser les aventures, même sérieuses, mais évitant toute relation longue. Moi, et bien moi, malgré tout, je crois encore un peu, quelque part au fond, qu’il y a des filles qui ne deviendront pas comme ma mère, qu’il est des femmes stables, gentilles, et que de mon côté, je parviendrai à éviter les écueils dans lesquels mon père est tombé. Je tomberai sans doute dans d’autres, et peut-être dans les même si je ne parviens pas à les éviter, et que le conditionnement est trop difficile à briser, mais je veux me donner la chance d’essayer, d’essayer d’aimer, d’essayer de construire une famille, même si j’ai la trouille qu’un jour ma femme pète les plombs, ou bien moi (ce qui est encore pire), et ne fasse de ma vie une ruine. C’est parfois suffisant pour faire en sorte que les relations ne durent pas (je me souviens avec Chiara, cette pensée qui me venait de temps à autre : « ne reste pas avec cette fille, elle te pourrirait la vie », comme un rempart contre l’amour sincère que j’éprouvais pourtant pour elle). J’espère que tout n’est pas foutu, que je parviendrai à trouver un jour une fille qui aura la patience de comprendre, et que j’aurai le courage de faire des efforts pour elle. Mais croyez-moi, personne ne mesurera jamais à quel point brûlante est la rage que j’éprouve envers cette femme qui a fait de ma famille un endroit où les hommes marchent la tête basse, au point d’avoir honte quand entre eux ils osent encore éprouver quelque bonheur. Et pourtant, je sais au fond de moi que ce n’est pas sa faute, du moins pas consciemment. Je la condamne, parce que sa souffrance, elle l’a imposée aux autres, au point qu’une famille qui aurait pu être heureuse (il suffit de voir comme la maison est un endroit agréable lorsque maman retourne chez ses parents faire le plein pour la prochaine crise, écouter la grand-mère la conforter dans sa folie — rien de tel qu’un fou pour laisser croire à un autre fou qu’il a raison) a cessé de l’être. Papa avait ses défauts, comme son père avant lui, et papa n’a pas su faire face à la déferlante maternelle, ce que je peux comprendre. Je pense que beaucoup d’hommes auraient été aussi décontenancés dans la même situation. Mais maman, maman qui parce qu’instable, fait peser sur la maison un climat d’angoisse, fait qu’on n’ose plus rire, ici, de peur d’avoir l’air heureux devant cette femme qui souffre tant, et putain que c’est triste d’en être arrivé là, maman, je ne peux pas lui pardonner. Ni les difficultés en amour que je lui dois en partie (mais aussi à mon père, ne l’oublions pas, et puis à ma nature, certainement aussi), ni de s’être conduite comme elle l’a fait avec les gens que j’aimais le plus : mon père, ma soeur, mon frère, et... ma mère. Voilà, dix jours se sont écoulés. Je n’adresse plus la parole à maman, je ne la regarde plus dans les yeux, jamais, même quand elle me parle. « Ma mère » est devenue « cette femme », et quand bien même elle redouble de gentillesse après chaque crise, ce genre de gentillesse est pire que tout. Si un jour je deviens cinglé, fasse le ciel que j’aie la lucidité de me faire soigner, au moins d’essayer. Pas de vivre ma vie dans un monde parallèle, en pourrissant celle de ma famille. Je m’arrête là, je crois que j’ai dit l’essentiel ; je tombe de sommeil. Un jour, j’aimerais écrire un roman sur les bienfaits du protestantisme sur les esprits, l’histoire d’une famille, la mienne, et mettre à nu les rouages de ce type de folie, la façon dont chacun est affecté, les fous comme ceux qui luttent pour ne pas le devenir à leur tour. On verra bien. Juste une dernière chose : je rêve de Ch. presque chaque nuit. Il m’arrive de rêver qu’elle se marie, et je me réveille complètement angoissé à cette idée. C’est amusant la façon dont je reste attaché à cette fille que je n’ai pas vue depuis trois ans, que surtout j’ai quittée. Mais j’arrête là, mes yeux se ferment. Je sens qu’elle sera encore dans mes rêves cette nuit, et ça me fout les boules. Un jour Ch. va se marier avec son bonhomme, et ils auront des gamins, des petits garçons et des petites filles, et rien que l’idée me fout les larmes aux yeux. Seigneur, rendez-moi fou, d’une folie toute de douceur et de silence, où je regarderai les feuilles des arbres dans mon fauteuil, penser à des choses pareilles m’est si douloureux... Allez, bonne nuit, bonne nuit Ch., vis, vis ta vie, vis la vie que je n’ai pas su te donner, vis la pleinement, moi j’aurai toujours un peu de tabac pour mettre un mur de brouillard entre la réalité et moi, et si tes petits garçons n’ont pas mes yeux bleus, et si tes fillettes n’ont pas mes cheveux blonds, eh, n’y pense pas, sois heureuse ; j’y penserai pour deux. Ecrit par Barjac, le Mardi 9 Décembre 2003, 10:36.
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