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Chronique du jour
Il flotte sur la Provence un ciel maussade, et cette grisaille, telle l’encre qui lentement étale sur le buvard sa tâche aux contours grandissants, envahit doucement mon coeur. C’est un jour triste, où je regarde fuire les dernières heures d’une année qui descend en silence dans le trou qu’a creusé le fossoyeur du temps.
Mon père et moi sommes allés à Plan de Campagne, complexe commercial où coule dans les rues, entre les façades de tôle morte des magasins, un flot continu de visages gris, où avec dégoût nous plongeâmes tout entiers dans la boue populaire, triste de pauvreté, cherchant dans l’acte d’aquérir un bonheur éphémère. A Castorama, mon coeur cessa de battre quand, apercevant au loin la démarche grâcieuse d’une demoiselle, je vis un instant Chiara, cette fille tellement femme, si grande et belle, fière sur ses hauts talons, dévisageant le monde de ses yeux noirs et durs. Mais l’image disparut, et la fille en question n’était pas mon italienne. Je crus un instant que j’allais me mettre à pleurer, là, dans ce magasin, au milieu du vide émotionnel de ce grand bazar de marchandises. Voilà, de ma tristesse, la cause. Nous mangeâmes vite et mal à la cafétéria du Géant Casino, entourés de visages mornes où en vain je cherchais du bout des yeux un sourire qui fut un soleil. Mais à l’intérieur, il pleuvait comme à l’extérieur, visages suintant la tristesse, passant pressés n’allant pourtant nulle part, tuant ici l’ennui en s’imaginant qu’ils repartiraient heureux d’avoir trouvé quelque affaire. Dans chaque rue de cette ville sans maisons, où tout n’est que rond points et magasins immenses, les panneaux indiquant la présence d’un grand magasin pornographique, où une jeune femme dévêtue, sourire plein d’allusions mais regard éteint, invitait à fuire l’ennui dans la froideur crue de plaisirs mensongers. Dégoût de traîner là, au fond de cette misère sans pudeur, mes hallucinations amoureuses. J’écrirai à Chiara, pour lui souhaiter bon vent, la remercier des rêves qu’elle me donna. J’avais rêvé, plus jeune, d’une fille qui soit femme, d’une beauté inquiétante et sévère ; cette belle italienne me donna cette fierté toute masculine de pouvoir dire : « j’ai connu un mannequin ». Féline et décidée, accrochant les regards, et avec eux les coeurs dont elle n’avait que faire, elle était la grande soeur que petit je demandais souvent à mes parents. Oui, je lui écrirai, pour la remercier d’avoir fait le bonheur d’un homme, quelques semaines durant. Un doux rêve au réveil douloureux, mais qu’importe. Je l’aimais parce qu’elle était belle et qu’elle ne m’aimait pas. J’aurais souffert bien plus de la voir amoureuse, et de devoir laisser derrière moi un amour qui n’eut plus été un jeu. Il me faut accepter que le choix que j’ai fait de ne faire que passer, où que j’aille, me condamne à ne jamais aimer durablement. Mais peut-être est-ce ainsi que l’on aime le mieux, sentant sur notre amour plâner l’épée de Damoclès, qui nous pousse à vivre l’instant de tout notre être, plutôt que de laisser notre coeur s’endormir avec la certitude de posséder demain encore celle que l’on chérit. Une plaie qui se rouvre, et demain aura cicatrisé. Jusqu’à ce qu’au détour d’une allée, d’une rue, je crois encore croiser une silhouette familière... Ecrit par Barjac, le Mercredi 31 Décembre 2003, 22:27.
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