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Vomissures cardiaques
[ Ecrit le 1/1/04, quelque part entre 1h et 3h du matin ]
Je l’ai écrit à Songe en pensant aux difficultés qu’il rencontre en cette période : « une année, comme une vie, s’enfante dans la douleur ». Je n’aurais pas cru devoir m’appliquer la chose à moi-même. Et pourtant, assis là dans le noir sur ma colline, regardant la ville sage, le gamin solitaire que je n’ai jamais cessé d’être a le coeur lourd. Je pense aux bons moments de cette année, et aux mauvais, et je réalise que les meilleurs comme les pires sont liés à Chiara. Alors, comme un enfant, je pleure. Je lui ai écrit une dernière lettre, le « dernier chapitre » qu’elle voulait qu’on écrive ensemble, mais auquel, à l’époque, je n’étais pas prêt à m’atteler. Et bien c’est fait, quelques mots jetés avec une amitié qui cachera à ses yeux la douleur que je ne veux pas lui imposer, pour la remercier de tout ce qu’elle m’a donné. Et je replonge dans notre histoire, la première nuit que nous passâmes ensemble, où nous ne dormîmes pas, où je redécouvrais à quel point une fille est une chose délicate et fragile, lorsqu’elle me serrait dans ses bras avec une force telle que je voulais la protéger, la rendre heureuse. Je revois avec une vivacité qui me déchire l’instant magique où, rentrant d’Italie, alors que nous étions fâchés, elle m’ouvrit sa porte et se jeta dans mes bras avec un regard de petite fille, posant sur mon épaule sa tête, si légère, et je m’accrochai alors à elle comme un naufragé s’accroche à sa bouée, sa source de salut, me laissant sombrer dans la tiédeur de son corps, fermant les yeux pour mieux sentir son coeur tout contre le mien. Je nous revois coincés en dehors de sa chambre, essayant d’ouvrir la porte avec une épingle à cheveux, riant comme deux garnements que la situation rendait heureux malgré tout. Je nous revois dîner ensemble, en tête à tête, sur la table trop large, et elle de se lever, de faire le tour, pour venir s’asseoir sur mes genoux et me donner un baiser, de sa pleine volonté. Je revois sa silhouette à côté de moi au réveil, et je sens son corps dont la chaleur se mélait à celle du mien, mes bras autour d’elle, son visage contre le mien, et le souffle calme de sa respiration contre ma peau. Je la vois qui danse, en cet instant, offrant ses beaux yeux noirs à un autre garçon, et mon estomac se soulève, malade. Enfin, ce sont les larmes, des torrents salés qui coulent de mes yeux comme la veille où je la quittai, et qu’une dernière fois, lointaine, elle me laissa prendre ses mains, dans le vent glacé et la pluie de l’hiver anglais. Pourquoi lorsque l’homme pleure, son visage se tord-il en un rictus si affreux qu’on le dirait un monstre ? Danse, Chiara, danse, dans ses bras, belle, riant à pleine gorge, fraîche et inquiétante, tournant comme une étoile, et vois, vois comme il est heureux, dans tes bras, tourne, tourne, et ne le lâche pas ; avec la vitesse, il se blesserait, tu sais... Seigneur, de l’homme tu tiras une côte dont tu fis la femme, et depuis, entre eux, il y a toujours un os. Oui, il y a toujours une arête en travers de la gorge, quelque chose qui nous rend trop heureux ou trop triste pour qu’on en profite. A cette heure, les gens rient, entourés de leurs proches, on célèbre la nouvelle année, et je suis là, seul dans ma chambre, avec pour toute amitié celle de Richard Ashcroft : « can you take me as I am, can you understand... ». J’écris, pardonnez-moi, j’écris pour vider un abcès douloureux qu’aucun médecin ne guérira jamais. Chiara, ton nom était écrit sur une boîte d’ampoules que j’aperçus cette après-midi dans un magasin. Chiara, « claire », sans toi la nuit est si noire que je ne sais plus où je vais, que je me cogne aux murs, que j’erre à l’abandon. Tu ne fus pas Ch., certes, mais le temps n’a pas encore décanté les souvenirs de notre histoire, qui brûlent encore en moi, me dévorent, me consument. Chiara, tu fus ma lumière, et tel un papillon, aveuglé, rendu fou, j’ai, tel Icare, brûlé mes ailes à ta surface. Je voudrais être ivre mort pour ne penser à rien, et surtout pas à elle. Amis si vous m’entendez, soutenez-moi, mes jambes sont si faibles... Comment marcherai-je encore une année entière avec sur mes épaules le poids de ces amours perdues, de ces femmes belles à en pleurer, que j’ai un jour serrées dans mes bras, pour les voir bientôt disparaître, me laissant seul avec l’impossible devoir de réapprendre à vivre seul ? Mon lit me fait peur, ce soir : il n’y aura pas de respiration paisible pour me bercer, pas d’amie tendre pour me prendre dans ses bras sans un mot quand les larmes me jetteront contre les rochers comme un navire abandonné aux caprices de la tempête. Il n’y aura pas de petite fille à la peau douce et tiède autour de laquelle passer mes bras, pour m’accrocher, ne pas tomber. Pas de longs cheveux avec lesquels jouer en attendant le sommeil, personne pour me sourire dans le noir. Seigneur, pourquoi n’as tu pas un corps contre lequel on puisse se blottir quand on n’est plus rien qu’un mouchoir humide jeté au vent féroce ? Amis, pourquoi êtes-vous si loin quand j’ai besoin de vous, de vos paroles, d’un peu de votre espoir... O Seigneur, qu’as-tu fait en donnant à l’homme un coeur comme le sien ? Ne pouvais-tu donc nous laisser tranquilles ? Chiara, Ch., la mère et la grande soeur que je n’ai pas eues, toutes ces femmes qui ne me voient pas quand je pleure sous les étoiles, quand je voudrais déjà être là-haut, loin des affres d’une vie qui est déjà un enfer... Où es-tu, où es-tu, toi ma belle, toi ma femme, toi mon amie, toi sans qui je ne suis rien qu’une enveloppe morte rongée par la maladie d’être seul, où es-tu, où es-tu, où es-tu, ma bonne, ma douce, mon aimée, ma chérie, mon nouveau monde ? Etait-ce toi, l’Absente dont Tiersen parlait, oh, où es-tu, ma raison d’être, le sucre de ma vie, le feu qui réchauffe, le pain qui nourrit, le toit qui abrite ? Où es-tu, mon amour, mon rocher, mon quai, ma destination ? Je marche sous la pluie, je n’ai nulle part où aller sans toi, je regarde dans les maisons les silhouettes s’embrasser aux fenêtres, et je passe sans un mot, je ne suis qu’une ombre qui s’enfuit, je te cherche, toi, ma part de bonheur, le sens à mes mots, où es-tu, petite fille qui n’a pas besoin des mots pour comprendre, toi qui sais lire dans mon coeur comme dans un livre ouvert ? Où es-tu, ma reine, toi qui posa sur ma tête ta couronne, me faisant ton roi ? Où es-tu, ma princesse, toi dont le vent chante le nom, toi dont la pluie lave mes blessures, toi dont le rire est un soleil qui ne se couche pas ? La lune brille à son second quartier ; il lui manque sa moitié, où est-elle ? Où es-tu, toi la seule, toi l’unique, toi que je connais depuis toujours, toi que j’ai recroisée deux fois, une en Ch., une en Chiara, et que je cherche en vain depuis ? Où es-tu... Ecrit par Barjac, le Jeudi 1 Janvier 2004, 13:13.
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