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Roi affamé ou esclave rassasié : que choisir ?
Ce soir, à la télé, il y avait « Se souvenir des belles choses », avec Bernard Campan et Isabelle Carré. Un film atroce, que je n’ai pas regardé. Mais il aura suffi de quelques éclats de voix parvenu depuis la télé en bas, pour que je reconnaisse l’histoire. Il y a des choses, comme cela, qui laissent une trace indélébile, tel l’Amsterdam de Brel, que je reconnais au premier gémissement de l’accordéon, et qui toujours me terrasse. J’avais vu ce film un dimanche, Fred était à Venise avec Jane, je le lui avais piqué, et seul dans le lab désert, j’avais pleuré, idiot, me répétant que bien sûr, ce n’était qu’une histoire. Une histoire qui m’avait poursuivi jusqu’à chez moi, écrasante, asphyxiante. Alors j’avais écrit, pour me vider l’esprit, jusqu’à ce que le sommeil enfin me libérât, bien des lignes, pour nourrir la corbeille.

Bien du temps a passé, depuis l’Angleterre, mais de n’avoir rien fait depuis me fait encore parfois croire que j’en rentre à peine. Oui, il faudrait trouver du travail, car le temps passe sans que je m’en rende plus bien compte. Les semaines vides se ressemblent tellement que je finis par ne plus savoir quel jour nous sommes. J’achète « Courrier Cadres », le magazine pour l’emploi des diplômés, et plus je lis, plus mon dégoût pour ce monde-là s’accroît. A travers les interviews, les photos, c’est toujours le même homme, réduit à une tête posée sur le même éternel costume de croque-mort. Est-ce cela que je souhaite devenir ? On y parle d’argent ; l’argent ne m’intéresse pas, sans doute parce que je n’en ai jamais manqué. Je n’ai pas d’ambition, je n’ai que des rêves, que je ne retrouve dans aucune offre d’emploi. « Vous aurez la responsabilité... » Alors je tourne la page, je cherche ailleurs. Responsabilités, m’avez-vous bien regardé ? Je ne suis pas seulement foutu de m’occuper de moi, on voudrait me voir encadrer ? « Esprit d’équipe, bon relationnel... » Quand je rentre d’en ville, je fais un grand détour, pour éviter de passer devant l’auto-école qui est sur le chemin, de peur que l’on ne me reconnaisse ; quand j’aperçois au loin une ancienne connaissance, je prends la première rue transversale, je fuis ; quand on reçoit du monde chez moi, je voudrais n’être qu’une ombre, pouvoir me faufiler jusqu’à ma chambre sans avoir à saluer. Je fuis l’homme comme d’autres les araignées ou les souris. La veille d’une leçon de conduite, je ne trouve pas le sommeil, j’angoisse jusqu’au petit matin, parce que je suis nul, incapable de dompter cette saloperie de machine, que je n’utiliserais même pas, si j’avais le permis ; j’aime trop marcher, ou pédaler. Je n’ai de toutes façons jamais de destination bien précise. Et pour les courses, le bus. Je hais les automobiles, je hais conduire. Au permis, mes bras se sont bloqués, je n’ai plus pu qu’aller tout droit. J’en rirais presque, si ce n’était pas de moi qu’il s’agissait. J’ai conduit aujourd’hui, grillé des feux, raté des priorités... Je le repasse dans trois jours. Ca serait bien si je pouvais l’avoir : je n’aurais plus à conduire.

Mais qu’on me laisse expliquer mes appréhensions concernant le boulot, et d’où elles proviennent. Vivre est un mot qui possède deux sens distincts, auxquels correspondent deux types d’existence. Dans son premier sens, le verbe « vivre » est synonyme d’« être en vie ». Il s’agit de vivre comme l’animal vit, c’est-à-dire se maintient en vie. Dans son second sens, « vivre » signifie « accomplir quelque chose ». C’est celui qu’on utilise lorsqu’on dit d’un homme qu’il a « beaucoup vécu ». Il s’agit alors de mesurer une « quantité » d’existence, par exemple en s’intéressant aux actes, émotions, oeuvres, qui ont fait une vie.

On voit bien que suivant le sens que l’on attribue au verbe « vivre », on organise différement son bref passage sur terre. Pour la majorité des hommes, je crois que le premier sens est celui qui prime. Ils s’en dédiront, bien sûr, mais qu’on observe leur vie : quel en est l’axe principal, cet axe tellement important, tellement présent, qu’ils ont fini par ne plus même le voir ? C’est le travail. A trois ans, cet homme entre à l’école, où il passera entre treize et vingt-trois ans. Hors qu’est-ce que l’école, sinon le tremplin vers le travail ? On ne demande pas à un enfant s’il souhaite travailler, s’il souhaite étudier, et on ne lui explique pas vraiment pourquoi il doit se plier à ce système dont il ne saisit pas vraiment la finalité. Fort heureusement, l’enfant ne se pose en général pas cette question, car c’est un être qui se construit par mimétisme. Le fait que ses parents aient suivi cette voie lui laisse penser qu’elle est l’unique voie à suivre. Qu’on ne se méprenne pas : mon propos n’est pas de rejeter l’école, ni le travail. Je crois que cette voie est bonne, ne serait-ce que parce qu’elle instruit, et surtout, occupe. Mais je crois aussi que la majorité des gens ne se rendent seulement pas compte qu’ils suivent une voie qu’ils n’ont pas tracée. C’est fort bien ainsi, d’ailleurs, car si le monde n’était fait que de gens comme moi, je suppose qu’on sombrerait rapidement dans un drôle de chaos. Cependant, j’en reviens à notre problème. Pour cet homme, ce monsieur 99,9% de la population, l’existence se bâtit autour d’un axe principal qui est la subvenance à ses besoins, que l’on appelle plus agréablement un métier, pour rendre positif ce qui n’est en réalité que l’esclavage de l’homme envers ses besoins vitaux. Quel homme, s’il avait la possibilité de ne pas travailler, se lèverait encore le matin pour aller travailler ? Celui pour lequel son job est en réalité un loisir, c’est-à-dire celui qui, rémunération supprimée, continuerait à s’y adonner, en raison du plaisir que cela lui procure. Mais je crois qu’un tel homme est rare. Non, je crois sincèrement que la majorité des gens travaillent parce que c’est le seul moyen qui existe leur permettant de vivre, au sens « se maintenir en vie ».

Ainsi, selon moi, pour cet homme-là, la vie gravite autour d’une seule chose : son boulot. Et puisqu’il ne peut s’en détacher, qu’il en a besoin, je le considère comme esclave de celui-ci, au même titre que le guépard est esclave de la chasse qui lui fournit sa nourriture. J’ai pour cet homme de la peine, de la pitié. Qu’est-il, au final, sinon une victime de l’ogre « travail » ? A vingt ans, plein de fraîcheur, il devient esclave. PDG où ouvrier, rien n’y change. Tous sont esclaves, ployant sous un même joug, bâtissant les mêmes pyramides pour des dieux sans visage, suant leur vie jour après jour jusqu’à l’heure de la délivrance. Affranchissement ? Non, simplement mise au rebut de vieilles pièces usées par le temps, qui ont tout donné pour une cause qui ne retiendra pas même leur nom, exactement comme il en fut des hommes qui bâtirent les pyramides de la grande Egypte. Cet homme, c’est le chien de la fable de La Fontaine, troquant sa liberté — liberté d’écrire lui-même son histoire — contre la pitance dont il a besoin.

Il est pourtant un autre type d’homme, indiscutablement plus rare. C’est celui qui trouve le courage de réaliser sa vie comme il l’entend, c’est-à-dire ni plus ni moins de suivre ses rêves. Celui-là place la réalisation de son existence au premier plan. Il lui importe de poursuivre une ligne qu’il tracera lui-même, dût-il payer son audace par la misère la plus noire. Cet homme, c’est l’écrivain, c’est le peintre, le poète, le musicien, bref l’artiste. C’est celui qui crée, celui qui donne. Les femmes comprendront très bien ce que je veux dire par là, car je parle simplement d’une force que l’on appelle fertilité, fécondité, une force qui devant la finitude de notre vie, nous pousse à créer, à transmettre cette vie, brisant ainsi les limites de notre simple existence en devenant maillon d’une chaîne, elle, théoriquement infinie. Celui qui écrit, celui qui peint, ne fait rien d’autre que donner à ce qu’il est une vie plus longue. Sur la toile, sur le papier, c’est lui-même qu’il étale au pinceau, qu’il couche à la plume. Il pose sur un support durable l’« éphémérité » de ce qu’il est, de ses émotions, de sa vie, avec l’espoir qu’elles traverseront le temps. L’oeuvre d’art est à l’émotion ce que le disque est à la musique : un support, une forme de stockage. Et c’est le spectateur qui en est le gramophone : c’est lui qui lit l’émotion, la restitue, en son sein. Lorsque je lis Zola (encore lui, mais c’est parce que la série des Rougon est fort longue à lire), je sens l’auteur vivre à travers les mots, je ressens les émotions qu’il a réussi à fixer sur le papier, et qu’il a lui même éprouvées, il y a bien longtemps.

Voilà le second type d’homme. Les rêves, quant à eux, sont des directions, des existences possibles. Mais il faut avoir le courage de les suivre, de quitter les chemins battus, de prendre le risque de crever de faim et de misère. Il faut oser placer la réalisation de l’homme avant sa survie, ce qui n’est pas naturel. J’ose croire que toutes les existences qui ont marqué la mémoire, celles des artistes, celles des grands hommes, celles des Hugo, des Zola, des Malraux, des Saint-Exupery, des Napoléons, et de bien d’autres, ont eu pour départ un rêve, et le courage de le suivre. Plus encore à notre époque, qui ne fait pas de cadeaux, il faut beaucoup de courage pour oser prendre sa vie en main, se faire artiste, au risque de finir tendant la main sur un trottoir gelé.

Voilà, voilà d’où provient mon indécision. Je suis partagé entre mes rêves d’un côté et mes besoins de l’autre. Trouver un boulot et vivre confortablement sans souci du lendemain, ou bien réaliser mes rêves, essayer d’écrire encore et encore, sans aucune garantie, pas même celle d’avoir le moindre talent ?

Je suis, hélas, lucide. Quand j’étais plus jeune, je voulais devenir musicien. Mes parents, sans prétendre m’en décourager, m’ont conseillé de faire des études qui me permettraient de subvenir à mes besoins, me laissant croire qu’à côté, j’aurais le temps de faire autant de musique que je voudrais. Maintenant, je sais deux choses. D’une part, que l’homme n’a pas une force infinie, qui lui permettrait de faire cent choses à la fois (à supposer qu’il en ait seulement le temps). On ne fait sérieusement qu’une chose à la fois, et cela nous épuise. Si ce doit être son travail, on n’a plus la force de se lancer à côté dans de grands projets. On a besoin de repos. D’autre part, j’ai aussi découvert que les rêves étaient comme les plantes. Si on ne les arrose pas, ils meurent. On dit alors : bah, c’était un rêve de jeunesse ; il n’était pas sérieux, la preuve en est qu’il m’a passé. Mais l’on se trompe. Ce n’est pas parce que le rêve n’était pas sérieux, qu’il nous a passé, c’est parce qu’on l’a laissé mourir, parce qu’on a cessé d’y croire. Quand j’ai commencé à avoir un peu d’argent pour acheter une guitare, puis un bel ampli (il y a deux ans), c’était trop tard. Mon bel ampli trône au milieu de ma chambre comme la stelle d’un ancien rêve mort. Je n’ai plus la passion que j’avais autrefois, j’ai cessé d’y croire, tout bêtement. Et pourtant, sur des bandes, j’ai plusieurs centaines de chansons écrites pendant les années où j’avais encore foi en ce rêve, enregistrées avec une guitare bon marché. Je suis certain qu’il y en aurait de pas trop mauvaises. Je n’en ai chanté que pour trois personnes : deux petites amies et mon meilleur ami d’antan. Les deux premières ont pleuré, le dernier, la mine grave, m’a dit que j’étais un génie. Sans doute, cela n’a touché que parce que c’étaient des gens qui me connaissaient, et m’aimaient beaucoup. J’avais peut-être du talent, après tout. Mais cela n’a plus d’importance, tout cela est passé. Au moins, j’ai cette consolation d’avoir pu faire passer mes émotions, et ce au seul public qui comptait réellement. Ces larmes et ces félicitations me seront certainement plus chères que ne l’auraient jamais été celles de centaines d’inconnus, eussé-je eu quelque succès.

Mais tout cela pour dire que les rêves meurent lorsqu’on cesse d’y croire, et que se dire : j’assurerai d’abord ma situation pour ensuite vivre mes rêves est une erreur. Il faut choisir, c’est l’un ou c’est l’autre. Alors en ce moment, j’hésite. Ecouterai-je mes besoins, au risque de pleurer plus tard mes rêves, ou prendrai-je le risque d’essayer de laisser une trace, comme écrivain, au risque de ne jamais sortir de la misère ? C’est le seul rêve qu’il me reste, à moi qui ne crois même plus en l’amour. Et je ne peux me résigner à le perdre, car alors je n’aurai simplement plus aucun objectif dans ma vie, qui ne sera qu’un passage, un coup de vent, rien. Mais je ne peux non plus me résigner à foncer dans un inconnu qui ne peut débuter que dans la difficulté. Parfois, j’aimerais connaître des fous, comme moi ; à plusieurs, on se donnerait du courage. Au pire, on se tiendrait un peu plus chaud dans notre misère, l’hiver venu.

Enfin, une chose est certaine : il me faudra choisir. Car il est certainement un troisième type d’homme, le pire de tous, c’est celui qui parce qu’il a peur de se tromper, cesse d’avancer tout court. Et plus le temps passe, plus je m’en rapproche.

Ecrit par Barjac, le Vendredi 30 Avril 2004, 07:22.
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Commentaires
Songe -
Le 30/04/04 à 14:29

Mon Cher Barjac,

 

Je suis touché de ces mots si justes et si vibrant d'une vérité douloureuse : je disais à quelqu'un que ton texte me faisait penser à un drame où l'acteur a le trac mais où la scène est sa vie.

Il est parfois si difficile de s'affranchir quand on se rend compte de quelle ingratitude est faite la vie qui correspond à notre nature profonde. Il est simplement si douloureux de savoir qu'entre Charybde et Scylla, il y a ce juste mileu d'une vie qu'on n'est pas sûr de pouvoir construire sans se laisser entraîner d'un côté ou de l'autre. Or l'un comme l'autre sont un peu la mort de l'âme, un peu la mort du moteur essentiel de la vie (et non pas celui d'une existence qui s'accrochera encore lorsque la dernière parcelle de rêve se sera déchirée douloureusement) : ses rêves ... l'espoir sans rêve n'est rien qu'un affamé sans nourriture, c'est une pensée qui quête le moindre confort comme une compensation d'une douleur trop profonde, la blessure d'une vie mésestimée ...

Aujourd'hui je me rends compte que bien trop souvent mes rêves sont repoussés à demain par une flemme de vie qui me retire la volonté de faire ce qui doit être fait. Parce qu'au fond je reste l'assisté, l'enfant à qui on a tout donné sans contrepartie et qui aujourd'hui se sent un peu égaré dans une société qui lui semble trop souvent étrangère et avare. Et les jours passent et un peu d'entrain trépasse avant de refleurir un jour, sur un coup de tête, sur un coup de folie qui fera faire un bond puis s'ensuivra d'un long moment de vagabondage indécis ...

Je fuis aussi bien souvent les hommes parce qu'ils sont pour beaucoup tellement vampires de rêve avec un pragmatisme appris et assimilé dans chacun de leur geste, dans chacun de leurs mots ... il y a parfois ce moment où je me trouve au milieu d'eux et où j'ai envie de me lever de ma place, sortir, courrir, courrir vite et loin jusqu'à me sentir vivant, ennivré par l'air, libéré de ces présences aussi peu convaincues et convaincantes que la mienne. Je n'ai pas encore trouvé de ces hommes dans les yeux desquels danse une passion furieuse, ce feu qui réveille le tien et te pousserait à conquérir le monde d'un mot, d'un geste, d'un regard entendu ... et je me dis que là où je suis, loin des hommes, dans ma bulle de solitude volontaire, mes propres yeux se ternissent, ma silhouette est grise lorsqu'elle sort, mon être s'éteind ... parce que je n'ai pas envie de laisser jaillir ma passion là où elle n'est pas partagée, là où elle se sentira trop isolée, trop seule, trop peu canalisée ...

Je suis esclave de ma soumission à ma résignation, je sais que je suis mon seul et véritable esclavagiste, bourreau ... et secrètement je cultive cet espoir qu'un beau matin c'est la saturation qui provoquera l'erruption et précipitera toutes mes énergies contenues, retenues et consumées vers la surface. D'ici là je creuse, telle une fourmi, mon chemin vers la surface, doucement et méticuleusement. Mais je perds du temps, je perds des énergies et je ne cesse de me dire que je me sens trop seul dans mon effort pour parvenir à convenir à mes projections. Je crois que je me suis amené à une situation où je n'ai pas le choix, où je dois avancer sous peine de déchoir totalement et d'une façon trop humiliante pour ma fierté ...

Tu sais Barjac, quand je lis tes mots je sens comme une puérilité qui m'habite, celle de continuer à jouer en toute conscience un rôle qui ne me convient plus depuis longtemps. Le rôle de celui qui sait où il va et sait toujours se justifier et trouver les arguments pour chacun de ses pas ... tes mots me ramènent si souvent à une humilité qui me fait parfois défaut et j'ai soudain cette vision de moi-même comme au bord d'un précipice qui n'a besoin que d'un saut pour être franchi mais au bord duquel j'hésite tandis que le sol meuble doucement s'emiette chaque jour un peu plus. Comme s'il fallait atteindre le niveau le plus bas pour enfin voir jaillir ce qui restait irrémédiablement contenu et retenu jusqu'alors ...

Et pourtant il semblerait que j'avance mais je ne sais vers quoi parce qu'au fond la seule certitude que j'aimerais avoir est celle qui me fait le plus défaut : je ne sais pas qui je suis et je ne sais pas ce que je suis capable d'entreprendre ... alors j'emploie toutes mes pensées à peaufiner un rôle qui pourrait être celui qui me conviendrait, à développer des traits qui parfois me semblent un peu futiles et risibles, à m'inventer une vie qui ressemble un peu à ces figures de romans; mais dans mon for intérieur j'entend les réclamations du anti-héros qui tient aussi à avoir sa place dans l'histoire. J'en viens à me dire que si je maintiens généralement un statu quo durant des temps trop longs au regard de ce que je revendique, c'est parce que la routine et l'habitude semblent créer une constance dans mon environnement que je ne parviens pas à saisir en moi-même. Et finalement j'emploie toutes mes pensées à faire abstraction du décalage existant entre mes adjectifs superlatifs et la réalité ...

Mais je ne voudrais pas conduire cette réflexion sur moi-même sous tes mots comme chevalier chantant sa complainte en canon ... que choisir ? Je crois qu'au fond on le sait ce qu'on choisirait si la crainte de l'inconnu ne nous acculait pas aux réticences les plus persistantes. Car au fond ce n'est pas un choix, c'est une évidence sur laquelle on pose une montagne de "si" et de "mais" sous laquelle la Sainte (et bonne) Raison nous enfouit. Il y a le souhait profond mais tellement angoissant (de par la marginalité qu'il suggère) d'une part et le choix par défaut tout fait, prêt à l'emploi par ailleurs ...  comment ne pas rester dans l'indécision entre le pas qu'on ose pas franchir de peur de ne savoir l'assumer et celui que notre nature se refuse à faire car tellement significatif pour ce que sera notre existence par la suite. Aujourd'hui si je devais définir ma situation actuelle, je dirais que j'ai franchi le pas mais que ma frilosité me pousse encore trop souvent à regarder par dessus mon épaule par peur (et flemme) d'avancer ... je suis rentré dans une existence qui ne ressemble à rien aux yeux des spectateurs et à laquelle un nombre infime de personne accorde du crédit; simplement se dire qu'il y a un long chemin à parcourir en spectre avant de parvenir à la lumière escomptée. J'ai simplement du mal à être écrivain, artiste alors que je ne peux pas partager l'expérience; trop souvent surgit la pensée que donner la vie, enfanter là où il n'y a personne pour la recevoir est dénué de sens. Pourtant je me réprimande et me convaincs du contraire parce que je crois intimement que c'est la seule voie puisse m'amener à ne pas me retourner un jour et soupirer pour tout ce que j'ai perdu en chemin ...

Que choisir alors ? Prétendant à un trône sans royaume pour ne pas finir un jour esclave sans fierté ? Peut-être le temps nous gratifiera-t-il de quelques heureuses conquêtes voisines qui rassasieraient quelque peu la populace affamée ... si César n'eut franchi le Rubicon, il n'eut sans doute pas reconquis sa dignité et aurait fini gouverneur de province, ce qui ne l'eut sans doute pas rendu heureux. Il n'eut sans doute pas péri non plus sous les coups de poignards mais je crois que c'est le prix qu'on sait risquer avoir à payer pour son idéal ...

Je crois que je préfère affronter les contraintes que de risquer de dépérir lentement de ne pas avoir su tenter de vivre ... par ailleurs je pense qu'à tout il y a une demi-mesure et qu'aucun choix n'exclue la prise de garantie et une prudence conservée.

Bien à toi

Songe

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Le 04/05/04 à 08:05
Mon cher Songe,

Je trouve une fois de plus en tes mots cet écho réconfortant qui m’avait saisi autrefois. Certainement, nous sommes faits d’un bois proche, malades tous deux d’une sensibilité exagérée, qui est un poids par ce qu’elle entraîne de difficultés à nous adapter au monde des hommes, mais dont nous sentons pourtant, derrière ces désagréments de tous les jours, qu’elle est une force, une force créatrice. Cet étouffement dont nous sommes victimes nous pousse à nous débattre, à chercher dans les mots un exutoire, comme si, poissons jetés hors de leur milieu aquatique, il nous fallait développer un autre moyen de respirer, en détournant les moyens communs d’expression (le langage, les mots) pour crier une douleur que le langage, trop limité, n’a pas été conçu pour exprimer.

En temps de guerre, un prisonnier a de la joie, à découvrir dans la cellule voisine un compatriote. Même si les barreaux ne tombent pas pour autant, c’est un soulagement de se savoir unis dans la peine, de pouvoir évoquer des idéaux communs, partager des souvenirs d’un même pays, et ne pas porter seul le poids de sa différence. Mon sentiment à te lire est semblable à celui de ce prisonnier.

Le rôle que tu évoques, celui de l’homme déterminé, sûr de la direction dans laquelle il oriente ses pas, ne trahit pas nécessairement un manque d’humilité. Je crois que bien des hommes font des choix, et cherchent ensuite à les défendre avec la rage d’une mère protégeant ses petits. C’est un réflexe bien naturel : en défendant ses actes et ses pensées, c’est l’ordre de son monde que l’on maintient. On prend des décisions, qu’elles soient bonnes ou mauvaises. Cette certitude que l’on défend, ce rôle que tu cites, c’est la justification du chemin parcouru. Je n’y vois pas de l’orgueil : le besoin d’avoir raison n’est pas nécessairement celui de prouver que l’autre a tort, ni de le convaincre. C’est simplement le réflexe, souvent inconscient je pense, de protéger ce que l’on est, ce que l’on a bâti, contre le doute qui ferait tout s’effondrer. Je n’accuserai pas l’homme qui défend son identité. C’est sa vie qu’il défend, la somme des actes, un édifice qu’il ne peut pas laisser s’effondrer. Moi, je n’ai pas le sentiment d’avoir jamais bâti quoi que ce soit. Je n’ai pris aucun engagement, sinon peut-être un jour celui d’aimer, que je n’ai pas tenu. Je n’ai donc rien à défendre, pas de vie à préserver, juste un avenir fait de rêves et un présent de peurs. Ce n’est pas par humilité que je me peins tel que je suis, mais par manque de courage, celui qu’il faut pour défendre ce que l’on est. Quand tu défends tes engagements, qu’ils soient politiques, idéologiques, religieux, c’est moins pour justifier le passé que pour préserver le futur. Perdre nos objectifs, c’est perdre la force qui nous pousse à avancer, et risquer de tomber dans la passivité, l’inaction, une forme de mort. Peut-être le rôle que tu joues ne te semble pas être le meilleur qui soit, mais au moins tu le joues, tu le défends, tu le fais tien. Moi, je ne joue aucun rôle, je reste en coulisses, à regarder se dérouler une pièce dont je ne suis pas, en me disant qu’un jour, j’aurai le rôle principal, comme si de rien, on devenait tout. Non, crois-moi, Songe, tu es plus proche que moi de la vérité. Avant d’avoir le grand rôle, il faut être figurant, puis second rôle. Tu as pris le bon chemin. Que mes mots ne t’entraînent pas dans une mauvaise direction (celle que j’ai prise ?), surtout.

En ce qui me concerne, je pense peut-être retourner en Angleterre, où j’ai les moyens de mener une thèse. Mais ce choix ne me satisfait qu’à moitié. Il me satisfait parce qu’il est déjà un choix, ce qui est mieux que ne rien faire. Mais il m’éloigne de mon objectif artistique, et de Paris, qui est ce vers quoi je tends (Paris est peut-être le seul amour qu’il me reste encore, espérons que je m’en lasserai pas). J’aurais du mal à expliquer pourquoi j’associe Paris à l’écriture. Peut-être parce que c’est à Paris que j’ai le plus écrit, peut-être parce que j’y vois la ville de bien des hommes de lettres. Peut-être aussi parce que j’y trouve les avantages de la ville sans y étouffer pour autant, du fait de sa grandeur. Sans doute aussi parce que Paris possède une poésie qui me fascine, par ses parcs, ses lieux riches en histoire. Mais d’un autre côté, je me dis que l’exil anglais aurait peut-être cela de bon que, dans ma solitude, en ajoutant à une marginalité d’esprit une marginalité de nationalité, il me contraindra peut-être à me mettre à écrire pour de bon. Je pense un peu comme toi aussi qu’il existe un seuil au delà duquel la gène (ici liée à la solitude) devient intolérable, et qu’alors peut s’effectuer le déclic, en réaction. Je ne considère de toutes façons pas sérieux le projet de me jeter dans l’écriture à plein temps pour le moment. La « bonne raison », que tu appelles ainsi à juste titre, me rappelle que le ventre vide, on n’utilise pas son énergie à noircir de la page, on l’utilise à trouver de quoi faire cesser la faim.

Maintenant, un retour en Angleterre ne m’offre que deux ans de répit ; et l’absence de constance, d’horizon, a tendance aussi à me faire repousser les choses sans cesse à plus tard, à « quand je serai installé durablement ». Je crois qu’il sera question de volonté, simplement. En espérant qu’une fille ne me tourne pas de nouveau la tête ; il n’y a rien qui consomme plus de temps et d’énergie que l’amour !


Je termine par un mot sur le partage de l’expérience que tu soulignes. Je ne saurais dire si l’écrivain écrit avant tout pour lui, ou pour ceux qui le lisent. A vrai dire, je pense que les deux pèsent autant dans la balance. Je comprends ta difficulté à écrire, si tu as le sentiment que ces pages finiront dans des bouteilles jetées à la mer. Je serais pour ma part, fort honoré de partager ton art et de te faire partager le mien. Même si ce n’est offrir qu’un regard extérieur, l’écrivain tel que je le conçois enfantant dans la solitude, de ce partage naîtra certainement une forme de richesse. Je n’ai encore rencontré qu’un seul ami auquel je puisse parler de questions littéraires sans avoir l’impression de parler vénusien, et avec ta permission, je compte profiter de cette aubaine.

Voilà, mon cher Songe. Tes mots me sont chers, et je suis toujours heureux de les trouver ici. Je tenais à te remercier pour ta fidélité, en dépit de mes longues périodes de silence (et du peu d’interventions de ma part sur ton blog).

Bien à toi,

Barjac
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Le 11/05/04 à 02:00

Cher Barjac,

 

Noctambule invétéré, c'est une heure de nuit tardive qui m'amène à coucher sur le clavier les pensées qui ne cessent de ma tarauder depuis quelques mois passés à ressasser cet épineuse question d'une vie en chantier ...

Et je dois dire que c'est un rare plaisir que de savoir trouver ici cette petite touche que je ne trouverais nulle part ailleurs, cette petite bouffée d'air de celui qui se sent toujours à deux doigts de suffoquer. Les mots coulent, s'écoulent, dérivent, débordent, rejoignent leur lit pour s'en détourner à nouveau mais où qu'ils me mènent je ne saurais pas plus les retenir que mes mains le sauraient faire d'une eau jaillissant de sa source. L'idée de me retrouver poisson dans le cours tumultueux de mes mots passionés n'est pas sans me déplaire ... comme si l'écriture était cet élément qui était indéniablement mien mais qu'il me fallait apprivoiser pour ne pas me trouver précipité sur une berge sèche, à dépérir suffoqué d'avoir voulu prendre élan trop grand dans cours trop étroit.

Souvent j'en viens à me houspiller de cette gravité qui me fait encore et toujours naviguer en eaux troubles; j'en viens à me dire que le poisson dans son aquarium semble bienheureux avant de me rappeler que je suis un peu comme ces poissons volants entre terre et ciel, que là où je me sens le plus proche de ma nature c'est à draguer l'écume d'une passion bouillonante, à la dompter pour en faire l'encre de ma vie ... toujours se sentir déraciné et décalé mais savoir aussi qu'on a une sensibilité qui se nourrit d'air salin, d'un air qui marie des éléments qui séparément me seraient trop ou pas assez, fatal à terme ...

Oui il est rassurant de penser que dans cette petite cellule il se trouve une ouverture qui nous offre le loisir d'échanger les papiers froissés de nos récits d'une guerre pour la vie ... et je dois dire qu'après tous ces mois à écouter le morse des autres cellules je n'ai su capter de mots qui répondent aussi justement aux miens que les tiens. Cet étrange sentiment de retrouver un ami après quelques années d'errance respectives et se dire que riches de nos expériences respectives nous pourions cultiver un jardin commun et goûter le repos à l'ombre de ses frondaisons fleurissantes. J'ai de l'amitié toujours cette image des grecs de l'antiquités conversant heureusement à l'ombre des cyprès tout en s'enrichissant mutuellement de leurs arts respectifs.

Il est ausi rassurant de s'entendre dire que son chemin est bon et que les pas de tous les jours ne s'égarent pas dans sur le terrain meuble qui borde le précipice. Mais ce ne sont pas des mots qui ma rassureraient venant de qui que ce soit d'autre que toi. Parce que je suis le chemin de ma sensibilité, l'hasardeux sentier de mes intuitions et sur celui-ci je ne peux écouter que les voix qui vibrent sur la même fréquence que la mienne. Je crains tellement de m'avancer à reculons sur un tremplin que j'ai besoin d'entendre la voix qui regarde derrière moi et me dis qu'elle me voit avancer et m'éloigner du gouffre d'un pas de l'avant.

Pour ce qui te concerne, je sais aujourd'hui pourquoi je suis à Paris et je sais que le pas qui m'en éloignera, m'éloignera du même coup de la réalisation de mes projets (du moins pour le moment) parce que cette ville est tellement riche de diversité qu'elle est la seule qui a ce jour ait répondu à mon tempérament inconstant, la seule qui sache m'offrir un coin de rêve pour asseoir mes rêveries, qui sache alimenter toutes mes curiosités, qui sache me donner et le sentiment de sécurité (on se sent chez soi en se sentant parisien) et le sentiment de liberté (j'aime traverser ces rues en vélo, j'aime découvrir indéfiniment de nouvelles directions à prendre). J'ai toujours su que Paris était ma ville et j'ai mis trop d'année à répondre à cette intuition. Il y a un jour où on sent son appel et ce jour-là je crois qu'il ne se reproduit pas beaucoup de fois dans une vie, ce jour où on se sait à la croisée de plusieurs vies possibles ... alors si tu penses qu'elle est tienne, que c'est là que se fera ta vie et nulle part ailleurs, que ton coeur ne sera jamais qu'en exil loin d'elle alors ne laisse pas des chaînes de plusieurs années entraver le pas qui te la fera retrouver sauf si tu penses que ces années t'offriront la quiétude pour y revenir l'esprit en paix par la suite. Dis-toi seulement qu'il y a des pas qu'on peut faire encore en chaque lendemain et d'autres qui repoussés t'éloigneront chaque jour davantage de leur réalisation; demandes-toi lesquels appartiennent à quelle catégorie et agis en fonction. Mais si ton coeur est comme le mien et qu'il ne saurait emprunter voie qui ne lui corresponde pas, alors prends le temps d'estimer quelles seraient les conséquences éventuelles de chacun de tes choix. Ne t'égarres surtout pas, le regret est plus mortel que la méprise elle-même ... ne vis pas l'existence de ceux qui vivent le passé à défaut de pouvoir encore regarder l'avenir.

Concernant l'expérience, tu sais que j'aurais toujours un grand plaisir à joindre mon art au tien par quelque moyen que tu puisses souhaiter (tu connais mes adresses email et postale). N'hésites surtout jamais à me faire connaître ce pour quoi tu pourrais avoir l'envie de solliciter mon avis ou simplement mon regard (et ce quel que puisse être le sujet, je pense avoir curiosité pour bien des choses).

Saches que tes mots me sont tous aussi précieux et ne t'inquiètes pas pour ce qui est du temps ou de ta présence : je la sais là et ne m'inquiète pas de son absence parce que je sais qu'elle sera là pareille à elle-même dans un lendemain et je l'accueillerais comme si elle était partie au jour d'avant.

Amicalement

Songe

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Le 30/04/04 à 15:41

                ,

(zut, encore un film chouette que j'ai raté, comme quoi le programme télé peut être culturel)
ma prof de philo [oui, comme ça je donne un peu d'épaisseur à ce que je dis] a régurgité que les besoins entravaient à la liberté, ce que je conçois comme juste (quoique je suis libre de choisir d'aller aux toilettes quand je veux, mais en disant ça le peu de contenance que j'avais essayé de mettre s'écroule).
Elle a également régurgité des choses sur l'art -bien que nous n'ayons point encore abordé le thème- comme quoi il devenait une marchandise quand on le vendait, et puis tout un blabla sur l'art de nos jours (ce qui m'a poussée à lui parler des mécènes à la renaissance, mais comprenez-vous bien que tout était Totalement différent, puisque tout est toujours différent quand ça nous arrange).

Tout ça pour dire que finalement, si on fait de l'art son métier, on en est tout aussi dépendant.
J'aime bien faire et développer des photos pour le loisir. ça m'amuse, de vouloir jouer à Cartier-Bresson parce qu'il n'y a pas mieux que les rails pour mener à un point de fuite, ou à Doisneau parce qu'on a eu de la chance que des gens passent par là pile à ce moment.
Je suppose que si j'en faisais mon métier (ce à quoi je n'ai jamais pensé d'ailleurs...), je devrais prendre des choses dont je me fous totalement.
Sans oublier le fait que je n'aime pas avoir à créer des choses sans l'envie ou sans voir la finalité.
N'être dépendante ni d'une quelconque inspiration, ni de l'appréciation des gens.

Si j'étais cynique, je ferai une grande citation d'un grand philosophe (non, pas Nikos...) :
"je n'attends pas qu'on me rende ma liberté, je la prends".
(bon d'accord c'était un type de la star'ac, comme quoi Nikos n'était pas loin - et maintenant on va croire que je regarde. ce qui n'est pas le cas.)

Et puis comme moi je ne suis pas lucide, je continue à croire qu'on peut faire les deux.
Ce qui me fait penser à Jeanne&Serge (vous citez Zola, je cite un dessin-animé. je m'impressione, tout de même, parfois.) parce qu'en acharnée, elle veut faire les JO. C'est sans-queue-ni-tête (là, les gens mettraient sic, sauf que je n'aime pas ces trois petites lettres, ça fait trop rictus).
J'aime bien toucher à tout.

En passant, aussi, pour l'homme rare dont le travail est un loisir : mon prof de physique. innecrédibeule beute trou, mon prof de physique ne fait pas de l'art, si ce n'est du théâtre à force de répéter toujours les mêmes blagues et les mêmes cours, mais c'est un des hommes rares - parce qu'il fait pleins de choses, mais continue à être prof. C'est bien qu'il aime ça.

(Et si vous avez fait pleurer, c'est peut-être parce que c'était vraiment incroyablement mauvais, non?
Moi je fais rire les gens en chantant (oh, et je les fais aussi crier "noon" ou "tais-toi", c'est selon), mais ce n'est pas vraiment parce que les chansons sont drôles.
Et pour votre permis, pensez à enlever le frein à main. Le genre de chose pas très pratique quand on oublie.)

Quant à la rencontre du 3ème type, c'est drôle, c'est un peu où j'en suis. Mais je suis poussée.
Alors puisque je ne suis pas du tout en plein refus de voir ce qui m'attend, on va dire qu'on le raye, celui-là, et qu'on le redessine en train de tout faire.

je suis un oooohoohogreuh Et je mangeuh les zenfants - AAAAGGGGHHH
copyright je-sais-pas-si-elle-a-envie-de-voir-son-nom.  (et puis d'abord c'est faux, je ne porte jamais de violet.)

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Le 05/05/04 à 09:50
Ma chère Lunule,

Je rejoins aussi les dires de votre prof de philo : en effet, nos besoins entravent notre liberté. La prétendue liberté que vous avancez en vous prétendant libre de répondre à ces besoins quand bon vous semble n’en est pas une, à mes yeux. Vous pouvez certes choisir d’aller aux WC quand bon vous semble, mais cela n’est qu’une liberté apparente. Vous seriez libre si vous pouviez échapper à ces besoins, c’est-à-dire dans votre exemple décider de ne simplement plus vous rendre aux WC du tout. Hors nous savons fort bien que cela est impossible. Vous pouvez choisir de repousser l’échéance, mais non indéfiniment. Viendra fatalement un moment où le besoin reprendra le dessus, et où vous ne pourrez plus alors que vous y plier (en vous souhaitant alors que les cabinets d’aisance soient eux ce que vous ne serez pas, c’est-à-dire libres).

Certes, si l’on fait de l’art son métier, on en devient dépendant, comme on le serait de tout autre métier. Il nous faut, de toutes façons, posséder un métier, puisqu’il nous faut pour vivre gagner de l’argent. Mais, comme je l’ai dit, ce métier sera, à l’échelle d’une vie, un plus grand consommateur de temps et d’énergie que toute autre de nos activités. Hors, la majorité des métiers présentent cet immense inconvénient qu’ils offrent des réalisations éphémères. En d’autres termes, dans une majorité de métiers, ce que je fais disparait au bout d’un temps donné, et il n’en reste rien. Je travaille sur des projets qui n’ont qu’une durée de vie limitée à quelques mois, quelques années tout au plus. Mon travail y consiste à fournir des solutions données à des problèmes présents, mais ces problèmes sont bien vite remplacés par d’autres, et alors, l’énergie que j’ai investi dans les précédents ne laisse aucune trace. Prenons l’exemple d’un comptable : à chaque fin de mois, il dresse le bilan de son entreprise. C’est un investissement de temps et d’énergie considérable, dont, d’un mois sur l’autre, il ne reste rien. J’ignore combien de temps une entreprise conserve ses comptes, mais quelle que soit ce laps de temps, une fois écoulé, les comptes obsolètes sont oubliés, inutiles, bons à jeter. L’art, à l’inverse, construit du durable. L’énergie investie par un écrivain dans un roman ne disparaît pas dans l’oubli une fois celui-ci terminé. Elle perdure tant qu’il est des gens pour reproduire et apprécier l’oeuvre. Il en va de même des peintres, compositeurs... Leurs oeuvres résitent au temps, parfois encore bien après que celui de leur existence se soit terminé. Ce qu’ont écrit bien des écrivains ne disparaîtra sans doute qu’avec l’homme. Les traités d’Aristote, vieux de plusieurs millénaires, se trouvent encore en librairie. Est-il un investissement plus rentable de l’énergie d’une vie que l’art ? Je ne le crois pas. Aussi, puisque l’on est contraint d’avoir un métier, et puisqu’il est l’activité à laquelle on concentre l’essentiel de son énergie, je ne vois pas de meilleur métier que celui qui est un art, car alors il permet de satisfaire un besoin pratique (celui d’argent) à un besoin existentiel (celui de faire de sa vie quelque chose de durable). Par ailleurs, un métier est une obligation. Si l’art reste un loisir, on a toujours la possibilité de le remettre à demain. S’il est un métier, on est contraint d’y travailler. D’une certaine manière, pour l’homme qui vit de son art, cette contrainte est positive : elle pallie à la fainéantise naturelle de l’homme, et l’oblige à se réaliser. Si Zola n’avait pas eu besoin de l’argent que lui rapportaient ses romans, on peut penser qu’il eût été moins assidu à la tâche, et n’aurait pas laissé l’oeuvre que l’on sait.

Bien sûr, comme vous le soulignez, se pose la question de l’inspiration, qui n’est pas constante, et donc le risque d’écrire de mauvaises pages, parce que contraint d’écrire, mais peut-être sans envie. Se pose aussi le risque d’un ras-le-bol : contraint de faire une chose, quand bien même on l’aime, peut conduire au dégoût. C’est un risque à prendre. Mais je pense que la contrainte, qui impose un rythme de production soutenu, fait qu’en mettant les mauvaises pages de côté, il en restera malgré tout bien plus de bonnes que si l’on eût simplement écrit par loisir (sans parler de l’expérience gagnée bien plus vite dans le cas d’un métier).

Quant à mes essais musicaux, peut-être en effet ai-je agacé aux larmes mon pauvre public, et les quelques compliments que l’on me fit n’avaient pour but que de me faire cesser. Qui sait.

Enfin, je me rangerai à l’avis de Songe, jouant la carte de la prudence, ainsi qu’au vôtre, en essayant d’abord de trouver de quoi vivre, et si ma volonté est assez forte, d’utiliser le temps libre pour faire mes armes comme écrivain amateur. Ensuite, s’il s’avère que ma plume me permet de vivre décemment, alors je m’y adonnerai tout entier. L’important, pour l’instant, est de ne pas rester statique par une indécision trop grande.

En vous remerciant pour votre commentaire,

Barjac
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Le 07/05/04 à 13:55
Oui, j'ai bien compris qu'on n'était pas libre. Et alors? Dois-je me lamenter un temps, puis jouer à l'Insensée en disant que ô mon dieu/ô ma déesse/ô nanabozo [ouah, au passage j'en profite pour rire de l'association. pfiou.], je ne serais jamais, Jaaaamaiiis libre? Ensuite je me relève, les projecteurs me suivent des zyeux, la musique démarre, je brise mes chaines et je me mets à chanter un air de Luc Plamandon.
J'aime jouer à la jeune crétine, alors continuons : oui nous sommes ignorants, non nous ne sommes pas libres, et alors? Comme je suis une jeune andouille qui essaie de s'instruire, j'ai lu Descartes, et n'ai qu'à peine accélérer quant au passage sur Dieu, ce qui m'a permis de savoir qu'en fait môssieur Dieu, en dehors d'avoir fait les Arts Déco, était l'être parfait sans besoin qui sait tout et tout le patacaisse. Par initiative personnelle j'ai conclu ceci par un "ah ouais. ouais ouais ouais...".
Alors voilà : nous ne sommes pas Dieu, et si lui n'a pas fait d'aliment bleu afin de déverser le bleu de l'océan/du ciel dans les yeux de certaines femmes (vive les papiers de papillottes), nous déversons notre océan dans des ersatz de paraboloïdes qui ont, et c'est la promo M6Boutique du jour, une chasse d'eau. Ami rempli mon verre, encore et encore...
[exercice imaginaire : comment en rajouter toujours plus.]

Hier j'ai réalisé que je voulais un lycée avec un club photo. Parce que même un appareil photo numérique ne me suffirait pas. Et puis j'ai réalisé que je n'aurai peut-être pas le temps de faire de la photo. Alors, finalement, je me suis dit que s'il y avait ce qu'il fallait, le temps, je le prendrais.
Une fois je m'étais demandé si Pythagore et Thalès étaient contents de passer à la postérité avec leurs théorèmes, que tout le monde connaissait un jour ou l'autre. Et puis finalement, ils étaient peut-être pas au courant qu'ils allaient être presque aussi célèbres que Nolwenn Leroy, alors je sais pas. (oh, pas la peine de me sortir le truc sur les sciences dont on doit communiquer les résultats et j'en passe, je l'ai lu aussi).
A part ça, mon 2ème pingouin a été embauché comme architecte.

Enfin, pour l'indécision, vous pouvez toujours mettre un beau jogging vert-gazon, et aller jouer à l'Euro-million.

en disant de rien pour le commentaire,
moi même.
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Le 08/05/04 à 10:40
Chère star,

J'ai choisi de dire sur ce blog ce que je pense, comme je le pense. Je pourrais, blessé dans mon orgueil par vos termes moqueurs, répondre simplement : "si ce que j'écris vous déplaît, faîtes comme vous le feriez dans une galerie d'art, passez votre chemin, cherchez des toiles qui répondent à vos goûts". Mais ce serait refuser la critique, et ne pas accepter qu'elle peut être juste. Je suis prêt à discuter et le fond et la forme, à une condition toutefois : que vous tombiez enfin cet insupportable masque d'arrogance ; je ne peux concevoir le dialogue que dans l'humilité. Reformulez votre critique en termes non offensants, alors seulement j'y répondrai.

Bien à vous,

Barjac
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Le 09/05/04 à 17:24
désolée, souvent c'est pour faire qqchose de drôle, je me rends compte de la méchanceté des propos qu'après, ou l'art de demander en regardant un bouquin de photos sur les chouettes paysages de Suède s'il y a des HLM en Suède. on efface on recommence?
je sais plus où, peut-être un blog après tout, j'ai lu que quelqu'un avait dit que pour faire comprendre ses pensées il ne fallait pas les codifier - j'essaie de refaire ça en plus clair dans les prochains jours.
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Le 10/05/04 à 16:16
"Erase and rewind", c'est pas un titre des Cardigans, ça ? Enfin, oui, effacez, recommencez, repartondubonpiez.

Au passage, il y a une double page sur Larcenet dans l'Express Mag. Si ça vous intéresse, je vous l'envoie.

Dans l'attente d'une reformulation de vos pensées non codifiées,

Barjac
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Le 11/05/04 à 21:29
["gran turismo", 2ème chanson il me semble]
bon. je réessaie en m'expliquant, et m'excuse d'avance.

Le fait est que nous ne sommes pas libres, je l'ai lu aussi, je l'ai même pensé, mais ce n'est pas un grand exploit, n'importe qui connait l'image du pantin (agh, je tiens au passage à dire qu'il est vraiment difficile de ne pas en rajouter.), ne serait-ce que pour le conditionnement (oui, j'ai aussi lu, pour réduire, qu'on était formaté durant l'enfance, je ne vous apprends rien mais vous évite d'avoir à le dire vous-même). or donc, nous avons aussi des besoins -ma prof de philo m'aime beaucoup depuis qu'un jour je l'ai répondu dans une de mes interventions- ce qui fait que, même en se libérant de tous ses préjugés [et là vraiment je ne peux m'empêcher d'imaginer à quoi ressemble la comédie musical "autant en emporte le vent"], on ne sera pas "libres".
c'est pas très novateur tout ça, et le fait de le dire ne nous rendra pas plus libres (libres libres libres, autant le dire plusieurs fois, puisque ça a l'air d'être l'obsession de tant de gens. qu'ils s'achètent un portable et boivent coca-cola.) 
ça va faire mi-résignée mi-jeune-en-jogging-rose [finalement il y a toute une codification dans les couleurs des joggings, à bien y regarder], mais qu'est-ce qu'on peut bien y faire?
Je suppose que ça fait avancer le schmilblick de le dire, même si je ne vois pas trop comment [ici une ouverture].
Alors le bout de chanson de Brel, c'était parce que ça me faisait penser aux conversations de comptoir tout ça. refaire le monde pour rien, avec des si, des constats à trois sous.
Est-ce vraiment à trois sous, doit-on ne rien dire parce que tout le monde le dit et personne n'y peut rien?
Non, bien sur. Peut-être juste jouer au homard dans le panier de crabe, parce qu'on le dit, qu'on s'en rend compte, alors finalement, c'est toujours ça de gagner. Il est libre Max, y'en a même qui disent qu'ils l'ont vu voler.

Tout ça pour dire mon brav'm'sieur que vidiou, c'est bien gentil de dire tout ça, mais prenez quelques cours à l'école kyosienne et/ou indochinesque, et vivez donc un peu.
Bien sur il faut prendre du recul, je ne vous conseille qu'à moitié de devenir stupide. Mais vous ne serez jamais libre et devrez toujours aller aux toilettes avant un long voyage en voiture (sauf si vous décidez de vous arrêter en route, profitez donc de votre liberté apparente), alors il faut parfois arrêter de se tracasser. 
[et là je replonge vraiment dans les conversations de comptoir mon gars, comprenez-donc pourquoi j'ai poussé le bouchon]

Pour l'histoire de Pythagore, Thalès et leur postérité, c'est un fait, je me suis posée la question pendant quelques semaines.
C'était plutôt pour dire qu'ils n'étaient pas artistes comme Nolwenn Leroy (j'avoue, c'était de la méchanceté gratuite sur la star-academy. mais c'est tellement spirituel et désinvolte de critiquer la real-tv que je ne pouvais refuser de jouer à ses soi-disants personnes spirituelles), mais qu'en scientifiques ils sont aussi restés. Juste que l'art n'est pas le seul ascenseur à postérité, si c'est ce que vous voulez, il y a aussi la recherche (et la parenthèse était pour vous éviter de régurgiter Descartes comme je pourrais le faire [quoique je suppose que vous pouvez en tartiner plus que moi sur le sujet]).
Le pingouin, je ne sais plus pourquoi je l'ai dit, mais mon gruyère de neurone devait avoir une bonne raison, sur le coup. [ah, et puis c'est vrai aussi, je n'invente toujours qu'à moitié].

Enfin, pour l'indécision...
J'avoue être tombée en admiration l'autre fois devant les gens qui jouent au PMU, et aussi au Lotofoot. on peut également rajouter à l'Euro-million, puisque nous sommes des européens convaincus, et que ça touche un public beaucoup plus large dans la beaufitude [puisque nous sommes tous beaufs par certains côtés - ce n'est pas Descartes cette fois, c'est Marcel et son orchestre]. bref, puisque l'indécision mène à la beaufitude, je vous invitais juste à aller jouer à l'euromillion puisque cet acte s'apparente alors à un acte décidé, très pidant.
ou alors faites comme... Two-faces je crois (si vous n'êtes pas fan de Batman et je vous comprends, lisez donc "les fous d'Arkham" de Mc Kean [oh, une bédé]), utilisez une pièce de monnaie pour vous décider. puis passer aux dominos, et au jeu de tarot, pour affronter les choix multiples.
(en passant, je suis en plein drame. j'avais l'autre fois cru avoir déjoué un vaste réseau de néo-nazis allemands qui produisaient de fausses pièces de 2zorros afin de se financer, puisqu'ayant trouvé une pièce allemande de 2€ dont la tranche avait des inscriptions [ici je préciserai que je soupçonnais également que Derrick ne soit un agent du KGB infiltré depuis l'achat de sa dernière perruque et n'étant pas au courant que les blocs se sont dissouts. les temps sont durs.], alors que les autres pièces de 2€, venant d'autres pays, n'avaient aucune inscription. alors j'ai sorti un dictionnaire d'allemand, et c'était une banalité, du genre le "liberté égalité fraternité" du pays. J'en ai donc conclu deux choses : la première et la deuxième. La première étant que j'avais peut-être une fausse pièce de 2€, la deuxième étant que vraiment, les maths me poussent à statuer sur n'importe-quoi pour faire une pause.)

c'est beaucoup plus long comme ça. peut-être moins agressif aussi (la réponse au pH doux).
merci bien pour Larcenet, je ne suis pas contre :) d'ailleurs je dois toujours scanner qqchose... (en passant, l'histoire de Dieu et des Arts Deco, c'était en rapport à Larcenet).

c'est un peu ennuyeux de mettre une phrase et une virgule,
et-aussi-une-signature.
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Le 13/05/04 à 10:00
Chère vous,

Revenons, donc, sur la question de liberté. Votre point de vue, si je l’ai bien compris, est le suivant : nous ne sommes pas libres, d’une part, et d’autre part le crier sur tous les toits, se lamenter, se raser la tête, se vêtir d’un sac de toile et marcher à genoux dans la cendre, tout cela n’y changera rien. Donc, dîtes-vous, puisque c’est inutile, rien ne justifie qu’on le fasse. Pis encore, puisque c’est inutile, on aurait tort de le faire.

A cela, je réponds par deux questions. D’une part, doit-on systématiquement laisser de côté tout ce qui n’aura pas de résultat, tout ce qui est inutile (l’art n’est-il pas bien souvent « inutile ») ? D’autre part, comment pouvez-vous être certaine de l’inutilité de mes propos ?

Je comprends bien votre point de vue : j’ai aligné beaucoup de mots pour exprimer mon sentiment d’être à un croisement avec une boussole devenue folle. Puisque la boussole ne se réparera pas d’elle-même, il me faudra bien faire un choix, le bon ou le mauvais, et continuer ma route. C’est exact, et vous avez raison sur ce point. Et, non, nous sommes d’accord, l’homme ne peut s’affranchir de ses besoins ; il donc doit trouver une occupation qui lui permette d’y subvenir. Je n’y reviens pas. A l’opposé, la quesion de la meilleure façon de se réaliser, c’est-à-dire d’utiliser de la façon la meilleure qui soit le temps qui nous est imparti. Avec comme réponse, celle de l’art, qui m’apparaît comme seul moyen valable d’écrire son histoire, parce qu’il est créatif (j’y reviendrai plus loin).

Mon intention n’était pas (seulement) de pleurnicher sur ma misérable qualité d’homme esclave de ses besoins. Toutefois, cela est-il malgré tout inutile, comme vous semblez le dire ? Cela, je vous l’accorde, ne portera sans doute aucun résultat au sens où je n’échapperai pas aux exigences de nos sociétés occidentales (à moins de filer au tibet élever des chèvres, et encore). Mais l’absence de résultat est soumise à un référentiel donné. Exprimer mon malaise ne m’affranchira pas des exigences de ma nature biologique. Mais cela permet d’autres choses. Primo, mes mots me permettent d’évacuer ce qui me pèse sur le coeur. Secundo, d’exprimer ces mots permet à d’autres de se dire « merde, il y a un type qui a les mêmes angoisses que moi », et de me faire partager les leurs. Comme je l’ai dit dans ma réponse à Songe, partager sa cellule avec un compatriote ne rend pas plus libre. Mais cela est malgré tout nettement préférable à être enfermé seul. C’est au moins rassurant de se dire qu’on est plusieurs à patauger dans la même gadoue. Enfin, mais cela ne s’applique plus à mes propos, il peut y avoir dans l’expression d’un mal-être une dimension créatrice qui a elle seule se suffit. Diriez-vous à M. Baudelaire qu’il était un âne, que la vie ne changera pas, et qu’alors il aurait mieux fait d’avoir la pêche et de s’éclater plutôt que de nous souler avec sa misère, vu que ces poèmes n’ont rien changé ? S’il avait écrit pour essayer de résoudre les choses, vous auriez peut-être raison. Mais je crois qu’il écrivait pour les deux raisons que j’ai citées précédemment : évacuer et partager. Pour reprendre mon image, Baudelaire n’est pas un libérateur, c’est un compagnon de cellule. On l’aime pour avoir su dire avec ses mots à lui nos maux à nous. Mais, je vous l’accorde, il ne résoud rien du tout.

Vous me faîtes un peu penser à un médecin qui à un malade atteint du cancer (bref d’un truc qui n’a pas de solution) dirait : « Allons, vous ne pouvez pas en guérir, alors ça ne sert à rien de pleurer. Soyez plutôt heureux, vivez vos derniers jours dans la joie. » Je me suis souvent fait la même réflexion, par exemple dans les bras d’une fille que je savais devoir quitter dans un temps fini : « bien sûr, tout ça aura une fin, mais là, présentement, elle est là, alors profites-en ! » Mais çe ne marche pas. Je n’arrive pas à apprécier la vitesse quand je vois au loin le mur sur lequel je fonce à toute vapeur. Si vous avez parfois des angoisses, vous saurez que tout ce qu’on peut bien se dire dans notre tête n’a aucun effet. Les bonnes paroles sont souvent pleines de raison, et vos propos sont pleinement justifiés. Simplement, ils sont tout aussi inefficaces que mes complaintes (mais ce n’est pas du tout de votre faute).

Pour ce qui est de la postérité, permettez-moi de préciser mon point de vue. Je n’ai pas élu l’art comme meilleur moyen de se réaliser par hasard. Je l’ai choisi parce que créatif et durable. Vous avez donc raison de souligner que la science permet aussi de faire du créatif et du durable. Et, accessoirement de passer à la postérité. Mais permettez-moi de dissiper des malentendus : je n’ai aucun désir de gloire, et la postérité, au sens « célébrité posthume » m’importe à vrai dire assez peu. Mort, les honneurs me feront un beau fémur. Je ne suis pas un ambitieux qui rêve d’applaudissements. Je l’ai été, dans ma jeunesse, comme beaucoup d’autre timides dont les rêves sont exagérés de manière inverse à leurs difficultés. Le timide désire être au dessus de l’homme parce qu’il a le sentiment d’être au dessous. Cela m’a passé. J’ai compris qu’on n’aimait pas les acteurs mais la personnalité qui transparaît à travers leurs rôles, que les grands chanteurs sont souvent de véritables déchêts humains, que les plus belles filles ne sont pas des femmes parfaites, mais des gamines souvent sans personnalité, et surtout que tout cela n’était qu’un rideau de paillettes et de confettis devant une réalité aux dents d’acier et dans les yeux de laquelle brûlent deux billets verts. Je ne peux allumer la télé sans éprouver un immense dégoût devant cet univers où se cotoient les « grands » de ce monde, grands en termes d’audience, d’image, de disques vendus, de films à succès, c’est-à-dire au final en terme d’argent. Grands parce que capables de drainer des flux monétaire importants, en vendant à vous, à moi, à l’homme en général, des mensonges, dont le plus grand est celui qui consiste à laisser croire que l’émotion, les larmes dans les salles de cinéma, proviennent de l’écran. Elles proviennent en réalité du coeur du spectateur, mais tant qu’il l’ignore, tant qu’il lui semble que c’est l’acteur qui le fait pleurer, qui génère le sentiment, il est heureux d’avoir payé sa place, il admire ce magicien qui sait faire toucher ses semblables là où cela fait du bien. Le vrai magicien, c’est lui-même. Les émotions sont en lui, l’acteur n’en est que la sage femme. La jeune mère remercie-t-elle la sage femme de lui avoir offert un si beau bébé ? Quant à cette gloire, elle n’est qu’une illusion, qu’une affaire d’image. Nous avons besoin de ces hommes parfaits, de leurs existences de milliardaires, parce qu’ils nous font rêver, nous offrent un ailleurs, nous laissent croire que « c’est possible ». En réalité, leur perfection n’est que le résultat d’une heure de maquilleuse / coiffeuse avant chaque apparition, d’une spontanéité qui ne saurait s’accorder avec la sincérité. Je ne vois dans le star-system qu’un immense mensonge, un mensonge nécessaire dans nos sociétés modernes, où l’homme préfère payer pour des rêves écrits par des businessmen plutôt que de construire les siens lui-même. Je suis suffisamment dégoûté des médias et de tout ce qui est gloire et paillettes pour ne plus jamais souhaiter appartenir à un tel univers.

Mais que je revienne à la science, et au pourquoi elle ne répond pas à mes critères de réalisation de l’homme. J’ai oublié de le dire explicitement tant cela me semblait évident, l’art n’est pas seulement créatif et durable, il est personnel. Quand j’ai dit que l’art était un moyen de stocker des émotions, c’est sur ce côté intime que je voulais insister. Pour moi, se réaliser, c’est d’une part faire quelque chose de durable, et d’autre part faire quelque chose d’unique. Ce n’est pas peindre n’importe quoi, mais se peindre soi. Comprenez mon objectif. Je me moque de ce que je pourrai laisser au monde en le quittant. Ce qui me tracasse, c’est plutôt ce que j’en emporterai. Je veux pouvoir, à l’image de ces guerriers anciens, être enterré avec mes bijoux et mes armes, emmener avec moi une partie de ma vie, de mon oeuvre. Je me moque bien de laisser ou non mon nom à la postérité. Je trouve parfois plus d’émotion sur certains blogs anonymes que dans les livres de grands auteurs. J’aimerais pouvoir me dire, en partant, que ce que j’ai écrit, une personne au moins s’y est reconnue, une personne au moins s’est dite : « oui, c’est ainsi que moi aussi je vois les choses ». Ce ne sont pas des ambitions de grandeur. Il ne s’agit pas de s’élever au dessus de l’homme, il s’agit simplement de s’élever jusqu’à son niveau. Je mourrais satisfait et heureux de savoir que telle nuit, un type a laissé la lumière allumée jusqu’au petit matin parce qu’une histoire que j’avais écrite le tenait en haleine. Je me moquerais de savoir qui serait ce type, je ne le connaitrais pas, il ne me connaitrait pas non plus, mais de savoir que pour une fois, ces choses que je cache à l’intérieur ont intéressé quelqu’un, même pas longtemps, me rétablirait dans mon estime propre. Ce n’est peut-être là encore qu’un rêve de timide, mais il est plus lucide que ceux qui visent la gloire, car la gloire transfère d’une solitude à une autre, et ne change rien au problème. Dans ce monde, ce qui compte vraiment n’est pas ce qui attire le regard. L’essentiel est au contraire discret, je crois.

Ce n’est pas non plus simplement une envie, comprenez bien, mais bien un besoin. Le besoin de dire ce qui se cache derrière le gamin solitaire, toutes ces pensées que pas un de ceux qui me connaissent ne m’accorderait. Le besoin de permettre à quelqu’un de s’installer dans mon crâne et de voir la vie à travers mes yeux, l’espace d’un roman. D’éprouver les choses comme je les éprouve. Maintenant, il y a fort à parier que mon point de vue ne collant en général pas avec ceux de mes congénères, il en soit de même par écrit. Et bien tant pis, nous dirons alors que j’écris pour les enfants que j’aurai un jour (par bouturage, vu qu’ils accordent pas l’adoption aux célibataires). Moi ça m’aurait fait plaisir de passer derrière le rideau paternel, de voir un peu comment qu’il est foutu à l’intérieur, le vieux. A défaut, en me lisant, lui pourra faire un tour derrière mon masque.

Voilà, je ne sais pas si j’aurai éclairé mon propos ; je l’espère.

Bien à vous quand même, qui avez décidément une dent contre les us, (et deux virgules pour le prix d’une !)

Barjac quand même.

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Le 13/05/04 à 21:18
Cher Barjac,

c'est étrange comme il me semble toujours avoir méprise - il s'agit toujours de dialogues de sourds.
Je n'ai pas dit/écrit que vos propos étaient inutiles, loin de là (bon j'avoue, je n'ai pas dit le contraire, mais ça, je ne devais pas le faire remarquer, parce qu'on va encore dire que je fais des sarcasmes). J'ai une idée très définie de l'inutile : lever un coup les sourcils  [ce qui se confond également avec le génial, mais je vous passe le cours sur mes expressions visagesques.]
Et puis je n'ai pas grand chose à dire, puisque je suis d'accord, et je sais bien que Baudelaire joue avec la forme pour y caser son fond.

A propos de l'idée du médecin, c'est drôle. Je dois être insupportable d'arrogance, en plus d'être incapable de compassion [mais ça me fait rire quand même].
Bon, soit, puisque ni les complaintes ni l'invitation au jogging jaune ne marche :

Cher Barjac,
Je comprends bien votre peine, il est toujours difficile de se décider. Certains diront qu'ils aiment se trouver à un carrefour, parce qu'ils ont encore tant de choix possibles. D'autres s'inquiéteront déjà du fait qu'une fois passé ce carrefour, ils ne pourront que se retourner et se demander ce qu'il aurait pu arriver sur l'autre voie. Personne n'en sait rien, et savoir qu'on se ferme des portes n'est jamais plaisant.
De même, je comprends votre besoin d'accomplissement : on veut tous être quelque-chose. Etre utile pour quelqu'un au moins, savoir que notre vie n'a pas été vaine. Mais sachez qu'il n'est pas toujours besoin d'écrire des livres pour être un héros anonyme - il y a des gens dans la rue qui me font sourire, seulement c'est comme si je lisais un livre en pleine nuit, je ne leur dirai pas "
hey toi là-bas je te lis". Je me disais que peut-être même votre boulanger était content de vous voir, mais non, en réalité, vous semblez préférer le retrait, ce n'est pas nouveau. Alors l'art, ce serait pour mieux laisser filer des sourires en vous cachant. Non, je dois avoir faux, d'ailleurs. Votre but n'est pas de faire sourire, non. Votre but, du moins votre envie, n'est pas le merveilleux, mais plutôt le partage des sentiments. C'est cela même, oui. Jouer à mettre des mots sur les sentiments et les sensations, n'est-ce pas?
Peut-être pour mieux les contrôler, au fond, et servir parce que quelqu'un s'y reconnaitrait, relirait un passage plusieurs fois.
Evacuer et partager.
Ainsi on peut comprendre votre dégoût des médias : tout est surfait. Ce n'est pas partager, mais créer, surjouer pour briller.
De même, vous écartez la science parce qu'impersonnelle.
J'ai lu je ne sais plus où, il y a longtemps -comme quoi je retiens tout est n'importe quoi- que pour être un homme, il fallait faire un enfant, un livre, et une troisième chose oubliée.
Peut-être juste ne pas savoir que faire de sa vie, et se sentir inutile. On doit bien se fixer des objectifs, parait que ça aide à marcher.
Bien à vous,
Anne


Sur ce, je reprends mon discours normal, c'est ennuyeux la diplomatie.
En fait, je ne disais pas que c'était inutile de se lamenter sur notre non-liberté. C'est juste que je trouvais que c'était un peu un jeu de l'escalier, même si je doute que ce jeu existe, en réalité ; monter d'une marche, se placer plus haut en montrant les rouages. J'étais à la marche juste au-dessus de la vôtre, et à dire ça je monte encore. Il mène nulle part cet escalier, c'est juste qu'on est tenté de toujours jouer au plus clairvoyant (ça s'appelle être emmerdant).
En fait toujours, vous êtes fort ennuyeux [non dans le sens où vous êtes ennuyeux, mais dans celui où je suis obligée de faire des efforts. preuve étant que je me suis retenue de mettre des blagues à 2bankizous dans le morceau emprunt de compassion, de partage, et d'identification (on aime tous beaucoup s'identifier, c'est le truc qui me fait le plus rire en ce moment chez les gens)]
Bien à vous,
Anne
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Le 15/05/04 à 09:02
Chère Anne,

Merci pour votre réponse. Les choses sont plus claires ainsi. Désolé d’avoir mal interprété vos dires. Cela m’aura toujours permis de préciser les miens, cela dit. Certes, il nous aura fallu répéter chacun trois fois la même chose pour se rendre compte que finalement il n’y avait pas opposition, mais au moins, là, c’est clair.

Pour l’image du médecin, il ne s’agissait nullement d’insister sur le côté humanitaire du rôle, ni de me comparer à un malade. C’est la seule image qui m’est venue pour parler de situation sans solution. Evidemment, ça sonne un peu comme un reproche au manque de pitié. Ce n’était pas mon intention. Je n’irai pas crier que vous êtes la personne qui transpire le plus la pitié non plus (je ne pouvais pas vous laisser sarcasmer sur moi impunément), mais enfin ce n’est pas au point qui me ferait lâcher les chiens. Enfin, oublions cette histoire, sinon on va encore traîner sur dix pages des oui mais non mais en fait alors.

Par contre, bien, le paragraphe en italique. Vous auriez commencé par celui-là, on aurait gagné de la place. Je n’aurais pu que répondre « merci Anne d’avoir tout compris à la première lecture ; vous êtes divine », ce qui était plus court. Ca passait en plus un coup de polish sur votre statue, ce qui ne gâche rien. Enfin, ok, je vois que vous avez tout pigé. Je suis pleinement satisfait.

Ah, si, pour le plaisir de pinailler. Je ne contesterai pas le mot « héros » que vous utilisez, parce qu’il s’avère juste. Mais attention, je ne souhaite pas devenir « un » héros, je souhaite devenir « mon » héros. En un mot, accomplir quelque chose qui me permette d’être fier de moi. A la manière dont peut l’être un cancre qui a exceptionnellement passé, de lui-même, le week-end à bosser et ramène une bonne note. Et puis, je passe mon temps à inventer des histoires, des scénarios, qui me passionnent un temps, et puis sont remplacés par d’autres. Alors, raconter tout ça, simplement. Parce que ça me fait plaisir, parce que j’aime bien écrire, voilà tout. Peu de choses, finalement, n’est-ce pas. :)

Voilà, une dernière chose avant de clore ce débat (à moins que vous ne sursursursurenchérissiez, mais peut-être vaut-il mieux attendre un nouvel article, parce que cette page commence à prendre une heure pour s’afficher) : la politesse (cf. le Petit traité de savoir-vivre à l’usage de nos jeunes gens, de Mme la Marquise de Rocquencourt) exige que les hommes passent les premiers dans les escaliers (sans doute parce que ça leur évite de s’user le monocle sur la courbure généreuse de la jupe qui monterait devant, à moins que ce ne soit pour rattraper la dame, car je vous rappelle qu’à l’époque, les femmes étaient très fragiles et s’évanouissaient au moindre courant d’air). Donc, ne faîtes pas trop la maline si vous avez une ou deux marches d’avance (mais c’est vous qui le dîtes, ça, petit scarabée). Aucun risque pour mon monocle ni vos chaussettes bariolées, mais disons que vous enfreignez les lois de la galanterie que Madame la Marquise a pris le temps de consigner si longuement de sa frèle main blanche pour parfaire l’éducation des jeunes hommes et (surtout) jeunes femmes destinées à rejoindre la haute société. A propos, c’est pas des blagues, si vous cherchez sur Gallica, vous trouverez un ou deux de ces traités de bonnes manières, et ça chiffre en centaines de pages. J’avais commencé à en lire un, mais c’était que pour les jeunes mariés, j’ai tenu que jusqu’au chapitre sur les bals en rose (à distinguer des bals en bleu et des bals en blanc — je sais plus si c’est la couleur des nappes, des robes ou des dragées). C’est à la fois instructif et amusant, ces bouquins-là. On se rend compte qu’à l’époque, entre le « ô Marie-Gaëlle, je me consume d’amour pour vous ! » et le « ô oui, Paul-André, je suis à vous toute entière ! », il y avait un véritable parcours du combattant, qui pouvait prendre des mois. Ah, nous vivons une autre époque, celle du resto drive-in, des appareils-photos jetables, des stylos à usage unique... Mme la Marquise s’en évanouirait net, je pense.

Bon, c’est fini, vous pouvez ressortir les blagues à deux faux euros allemands.

Bienàvous,
Barjac

PS: vous me parliez d’un pingouin qui faisait chépukwa, alors je vous confie qu’en ce moment même un moustique de nationalité inconnue survole mon espace aérien, malgré mes avertissements. J’ai comme un pressentiment que tout ceci va encore finir dans le sang (qu’au moins il ne pique pas la paupière ou l’oreille, ce nave. Y a pas des accords de genièvre — comme ils disent sur mon désodorisant WC, celui que quand on l’utilise c’est encore pire après — pour ça ?).
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