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Eli, Eli, lamasabachthani !
La lune est presque pleine, et jette sur le monde sa pâleur froide. Debout dans la nuit, fumant dans l’air du soir, je regarde ce projecteur braqué sur moi, et je me sens acteur dans un théâtre désert, sur une scène silencieuse, sous les regards absents de cent fauteuils vides. J’ai parfois l’impression d’être un chrétien découvrant que Dieu n’existe pas. Alors il n’y a plus rien, rien que ce grand oeil pâle, ce bout de caillou mort me renvoyant l’éclat d’un soleil disparu. Quelle est donc cette maladie qui me ronge, cette tristesse immense et sans relief comme les plaines de la Beauce ? Me quittera-t-elle jamais ?

Oui, Dieu me semble mort, et alors c’est un vide, un monde qui s’écroule, un décor qui s’effondre, une vie aux allures de théâtre abandonné. Enfant, on a ses parents pour public, on grandit dans le regard de l’autre, et l’on se sent quelqu’un, de savoir la salle vivant avec nous notre histoire, accrochée à nos gestes. Mais adulte... Il n’y a plus de public, il n’y a plus que nous. Et cette lune étrange, irréelle, flottant dans le ciel comme un ballon oublié là par quelque enfant pressé. Un projecteur sans vie, qui se moque de l’acteur, qui en a vu tant d’autres et en verra encore. Est-ce une comédie, ou bien est-ce un drame ? La lune s’en moque, m’éclaire en me tournant le dos, et je voudrais lui crier « regarde, regarde-moi vivre, donne-moi l’impression que ma vie t’importe ». Mais elle ne me voit pas, vivant son existence minérale, constante et froide, hors de portée.

J’aimerais tant savoir, savoir ce qu’il me manque, savoir d’où vient ce vide et comment le remplir. Je croyais autrefois qu’il me manquait l’amour, qu’il me manquait l’amie ; ma vie était une attente, le vide n’était qu’un plein à venir. Aujourd’hui, je ne vois en l’amie qu’un creux semblable au mien ; l’union de nos deux vides ne ferait pas un plein. J’ai un dégoût amer, la honte d’être homme et de n’être que cela. J’aimerais avoir un rôle dans la pièce du temps, être un rocher, une colline, un nuage. Pas grand-chose, certainement, mais autre chose. J’aimerais pouvoir être de cette assemblée-là, et rejoindre la lune, le vent, la terre, ces entités immenses, ces vieux géants paisibles, ces sages silencieux. Mais je ne suis qu’un homme, à peine un éclair à l’échelle des ans ; que je m’agite, que je crie, que je me débatte ou que je m’accroche, je ne suis rien aux yeux de ces parents-là. Je suis le jouet du temps, et je réalise qu’au fond, j’ai aimé Chiara comme j’aime la vie, comme j’aime la terre, les arbres et le vent. Je les aime parce qu’ils apaisent, par leur présence et leur solidité, mon angoisse de la mort. Mais je les aime avec le désespoir d’un condamné, qui sait que ce n’est que l’affaire d’un mois, que l’attente d’une fin, d’une mort contre laquelle je suis impuissant. Et cet amour m’affole, me panique, dans la perspective d’une séparation qui s’approche doucement, et dont il me faudra porter seul toute la souffrance. Tel est le lot de celui qui aime sans être aimé, de celui qui s’accroche sans accrocher.

Chiara aura d’autres amants. De cela, je me moque ; c’est de l’histoire ancienne. Mais la terre, cette mère tant aimée, aura d’autres enfants. Les arbres, ces amis dans les bras desquels j’ai si souvent trouvé refuge, lorsque j’étais petit, consoleront d’autres peines. Le vent, ce père soufflant par jeu dans ma tignasse blonde, agitera d’autres blés. Mais moi, moi qui n’avait que vous, quand sera venue l’heure de faire chemin inverse, de retourner à la terre, que me restera-t-il ? Vous manquerai-je un peu ? Vous m’oublierez sans doute, car les rires des enfants à venir remplaceront le mien ; mais moi, moi je ne vous oublierai pas, et combien vous me manquerez, vous mes arbres, toi ma terre, et toi le vent, dans le séjour des morts !

Je ne peux chasser de mon esprit cette fin qui me montre ma petitesse dans le grand ordre des choses, mon impuissance, et ce départ me cause une angoisse sans nom. Si ma vie ne doit être que la répétition de mon dernier amour, mais en changeant les jours en années, bien du chagrin m’attend, bien des nuits encore à baigner de mes larmes l’objet de mon amour, le sentant déjà qui s’éloigne de moi, à jamais. Et je me sens sombrer dans une peur indicible, une chute sans fin, un cri dans l’obscurité infinie, comme au dernier jour, serrant dans mes bras cette fille aimée, goûtant contre ma joue la douceur de la sienne, la tiédeur de sa peau, de son sang, de sa vie, pour la dernière fois, la toute dernière fois, repoussant d’une seconde encore la déchirure, l’extinction des lumières, l’entrée dans le néant noir, glacial, inhumain, de la mort.

Je suis mort un matin rose, la veille de l’automne, en quittant l’Angleterre. Une petite mort, qui me cachait la grande. Un cauchemar qui s’achève en sombrant dans un autre, et où je me découvre, au réveil du calvaire, portant encore ma croix, et ayant cette fois non plus un mois mais cent, à regarder la fin s’approcher doucement.

Ecrit par Barjac, le Mardi 4 Mai 2004, 08:30.
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