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Sometimes I still feel I'm walking alone
Sans bien savoir pourquoi, debout dans l’obscurité, me laissant digérer ainsi que les toits par la nuit tombant, voilà que soudain je repense à Green Day chantant « sometimes I still feel I’m walking alone », et je me souviens, ce soir-là. En boucle sur ma stéréo, cette chanson qui brusquement prenait tout son sens, annonçait l’orientation nouvelle qu’allait prendre ma vie, le retour à une solitude pour laquelle je n’étais pas faite. Je venais d’apprendre que nous allions partir, quitter notre Bretagne chérie, cette Bretagne qui m’avait vu grandir, m’avait offert le refuge des branches de ses chênes, cette Bretagne qui m’avait vu aimer, offert le refuge des bras d’une de ses filles.

Serrant dans le noir ma tête contre mes genoux, je voguais sur le flot de la mélodie, ne sentant même plus rouler, sur mes joues, les larmes. Dans ma tête, un vent de panique soufflait de toute sa force, un point d’interrogation brûlant, un « pourquoi » d’enfant qui ne comprend pas encore que certaines questions n’ont tout simplement pas de réponse. Le monde s’écroulait, mon monde, un monde fantastique où la vie avait brusquement jailli dans la lumière et la chaleur d’un astre féminin, ma seule amie. Alors, tout s’arrêterait ainsi, sans aucune raison. Innocent mais condamné, et sur le coeur un mélange insupportable d’injustice et d’impuissance. Un « pourquoi » jeté dans le vide d’une nuit d’été — et les étoiles conservant leur intolérable silence.

Je lui ai annoncé la nouvelle le lendemain, à l’intercours. Nous avions biologie, une heure où nous sommes restés l’un à côté de l’autre sans oser nous regarder, sans oser échanger le moindre mot, brusquement séparés, nos âmes dansant la danse de Saint Gui dans deux cages chauffées à blanc. Pour la première fois, nous étions seuls, chacun enfermé dans sa souffrance. On est toujours seul lorsqu’on souffre. Je revois ses mains, blanches, tremblantes, et je ne pouvais que me sentir responsable de sa douleur, une douleur qu’il m’était impossible de supporter moi-même, et qu’il me fallait de surcroît infliger à celle que j’aimais plus que tout. Je revois tout ça, et Dieu que cela me semble loin, qu’il a coulé de l’eau sous le pont des Arts depuis ce jour maudit ! Et pourtant, au fond de moi, j’éprouve encore cette peine indicible, ce sentiment que ça y est, le premier ange a sonné la première trompette, et les murs du monde se fissurent, s’écroulent dans un fracas tonitruant, s’ouvrant sur un néant infini, grand oeil mort qui m’observe me débattre en vain dans sa toile.

Vint le temps de midi, et je la revois se débattant à son tour dans la même mélasse que celle où je m’enfonce depuis la veille, luttant par instinct, sans réfléchir, comme un animal pris au piège, ancré pleinement dans un présent qui n’a plus de futur. Je la revois me repousser, et je lis la haine dans ses yeux, la haine de celle qui souffre et qui a besoin de pouvoir abattre ses poings fragiles sur son bourreau. Déchirer l’autre pour rester entier, parce que c’est la seule solution, et que dans la souffrance rien ne compte plus que nous. Nous avons fui, fui vers le parc immense ; nous nous sommes cachés derrière un buisson, pudeur soudaine de l’animal qui sent arrivée sa dernière heure. Et là, à l’abri du monde, assis l’un contre l’autre, le visage enfoui dans le creux de l’épaule aimée, nous avons pleuré notre impuissance. L’apprentissage de la vie se fait dans la douleur. Nous nous accrochions l’un à l’autre, un homme et une femme se noyant, luttant avec la vie, luttant contre la vie, donnant à notre étreinte une volonté qui ressemblait si atrocement à celle de notre première nuit d’amour… Ignorant nos articulations douloureuses, nos muscles endoloris, nous nous retenions avec ce désespoir qui allait devenir partie intégrante de notre amour, essayant de toute la force de notre impuissance de nous maintenir un et un seul, de nous fondre l’un en l’autre, sentant déjà les bras du destin tâtonner, chercher une prise pour nous arracher à l'objet de notre amour, nous rendre deux à nouveau. C'était pour nous comme si, par l’énergie que nous dépensions ce jour-là, nous devions repousser la séparation du lendemain. Ces étreintes terribles, ces étreintes de malade qui s’accroche à la vie dans un dernier spasme, avec dans les yeux la folie de celui qui sent sur ses chevilles se refermer les doigts osseux de la Faucheuse, nous devrions les revivre trop de fois sur les quais gris et bruyants des gares, rejouer tant de fois le drame de deux fantômes déchirés que les passants ne peuvent pas voir... Et toujours, comme une curieuse philosophie de la vie, le double visage d’une seule et même force : étreinte-passion des retrouvailles, étreinte-désespoir des séparations ; première étreinte de la naissance, dernière étreinte de la mort. Les plus grandes joies rejoignent si parfaitement les plus grandes peines... La terre est ronde ; les extrêmes s’y rejoignent fatalement.

J’essayais de calmer ses larmes par des promesses auxquelles je ne croyais pas plus qu’elle, de ces mots qu’on dit parce qu’on ne peut rien dire d’autre dans ces situations. Je lui répétais que rien, rien ne nous séparerait jamais, ni le temps, ni la distance, que ce n’était qu’une épreuve et que nous nous en sortirions comme nous l’avions toujours fait jusque-là. A ceci près que nous n’avons jamais été séparés plus de trois semaines, ajoutait la voix dans ma tête, et je la serrais encore plus fort contre moi, elle, elle que je connaissais par coeur, elle dont j’entendais le rire résonner jusque dans mes rêves, elle dans les yeux de laquelle je regardais le contenu du sablier s’immobiliser, elle qui jouait avec mes cheveux quand, la tête sur sa poitrine, allongés dans l’herbe, nous regardions en silence passer les nuages, à peine conscient des sourires qui illuminaient nos visages, elle que je retrouvais le matin à huit heures et que je quittais le soir à six, elle à qui j’écrivais chaque nuit, et nous échangions nos lettres au matin, chaque jour de chaque semaine depuis trois ans déjà, elle qui allait bientôt disparaître, et j’aurais beau tendre les bras ils n’attraperaient plus que du vide...

Nous avons passé l’après-midi dans le parc, surpris de voir déjà le soleil décliner sur un des quelques jours précieux qu’il nous restait encore ensemble, et qui, nous le savions, auraient inévitablement le goût amer de la résignation. Ce soir-là, j’ai lutté dans le bus contre les larmes qui se pressaient comme une foule en colère contre les barrières de la convenance. De retour à la maison, la digue a cédé, et ce fut une des rares fois dans ma vie où j’ai cherché le réconfort dans les bras de ma mère. Dans de telles situations, on laisse sa fierté au vestiaire, ça et tout le reste de ce qui semble avoir un tant soit peu d’importance d’ordinaire. Il me faudrait attendre cinq ans avant que cela ne se reproduise, et les situations n’étaient guère différentes : le bus était devenu un avion, Ch. était devenue Chiara, et moi... Moi, je n’ai pas dû changer. Mais n’ai-je pas écrit qu’en amour, on restait un enfant toute sa vie ? Cela ne fait que le confirmer : on a beau savoir où les chemins mènent, on tombe dans les mêmes pièges. Et, ce qui n’est que pure évidence, d’y être déjà tombé ne rend pas la nouvelle chute moins douloureuse.

Je n’ai pas perdu Ch. ce jour-là. Trois ans encore nous tînmes le coup. On se voyait à certaines vacances, en général celles de Noël et celles d’été, plus parfois en février. On comprendra sans peine ma haine pour le Sud, pour cet ailleurs que je tiens probablement responsable de mon malheur. J’étais un gamin qui n’avait jamais vraiment mis les pieds en dehors de chez lui. Des villes où j’ai vécu enfant, Saint-Etienne, Tourcoing, Tours, je n’ai jamais gardé qu’un souvenir très diffus. C’est la Bretagne qui m’a vu naître, la Bretagne qui en échange de mes dix dernières années de minorité m’a donné deux ou trois amis, une femme à aimer, et tant de souvenirs. C’est en Bretagne que j’ai commencé à me sentir chez moi, à vivre en me disant que ça valait le coup, que demain je serais encore là, entouré de ces personnes que j’aimais, qui m’aimaient. J’avais fini par y croire, mais c’est toujours lorsqu’on abaisse sa garde que la vie frappe, et l’on en est d’autant plus surpris, le coup en est d’autant plus dur.

Ces trois années ont été différentes des précédentes. Les rares moments que nous avons passés ensemble, nous les avons passés en adultes, avec cette même sensation d’amertume et de vague solitude que j’évoquais dans mon article « Première foi ». Il y avait toujours une certaine nervosité, le bonheur comme un devoir, parce que le temps nous manquait. Trop souvent, nous l’avons gâché, ce temps. Nous étions irritables, incapables de chasser de nos esprits la séparation dont chaque seconde écoulée nous rapprochait. Seuls les premiers instants avaient le goût d’autrefois, le goût de l’enfance, le goût magique, la tiédeur molle d’un premier baiser, oasis de fraîcheur après une longue marche dans le désert affectif ayant parfois duré plus de six mois. Un baiser qu’on avait si souvent rêvé, si souvent cherché dans un sommeil trouble, un baiser qui était une chaumière allumée sur l’autre versant de la montagne, et sur le quai de la gare, c'était cette fois les passants qui devenaient fantômes.

Ces longues périodes, c’est surtout moi qui me — qui nous — les imposais. Pour trois raisons, principalement. La première était le boulot. J’entrais en prépa, et j’étais bien déterminé à décrocher quelque chose. Je n’étais pas parmi les meilleurs, sans être pour autant parmi les plus mauvais. Pas question de flâner un week-end, ni de rentrer à toutes les vacances. Je dois avouer que j’ai passé là les deux années les plus difficiles, matériellement et affectivement, de ma vie. Déraciné, perdant brusquement mes amis, quittant la maison pour la première fois, séparé de la fille que j’aimais, et pour couronner le tout, croulant sous le poids du stress et du travail. Ce qui, quand j’y songe, n’était peut-être pas un mal. La tête dans les bouquins, je pensais moins à elle. Mais j’y pensais tout de même. Du réveil au coucher, du coucher au réveil, elle m’accompagnait. Je me demande comment les autres ont fait, ceux qui n’avaient pas de Ch., pour tenir jusqu’au concours. Car même loin, elle était un soutien sans lequel je n’aurais, je le dis en toute honnêteté, probablement pas tenu jusqu’au bout (en aurais-je été plus malheureux pour autant, cela n'est pas certain). Chaque jour, je recevais une lettre ; le mardi et le jeudi, elle m’appelait ; le week-end, on s’appelait encore. Et, le seul loisir que je me sois autorisé en semaine a consisté, chaque jour après les cours, en une petite heure réservée à cette correspondance dans laquelle je trouvais la force de continuer. Je lui dois d’y être arrivé, je lui dois les maigres joies de cette période de solitude. Je me souviens des cours de maths, où les équations sur le tableau noir, sous l’effet du manque de sommeil, se mettaient à danser, et je voyais la mer, je la voyais elle, et nous marchions sur le sable mouillé en nous tenant la main, tandis que les mouettes lançaient leurs rires dans le ciel gris. Certains ont leur Sainte Vierge, j’avais Ch. Ni sainte, ni vierge — le bon Dieu me le pardonne, j’étais amoureux (que j’emprunte à Brassens) -, et en cela incomparablement plus proche de moi que ne le sera jamais de l’homme aucune Marie en auréole.

La seconde raison à l’espacement souhaité de nos retrouvailles était qu’elles s’ensuivaient systématiquement d’une semaine où je n’étais plus qu’une ombre, tiraillé par le manque d’affection, dont je me retrouvais à nouveau brusquement privé, et je ne vivais plus que par l’écriture. Je m’isolais le midi, j’allais me cacher dans la salle de permanence des lycéens pour lui écrire, et je n’avais l’impression de respirer que lorsque la plume retrouvait enfin le papier. C’était peu, mais c’était tout ce que j’avais, et je m’y accrochai avec la force qu’on imagine. Je voudrais ne pas me souvenir des retours à ma chambre, louée dans un monastère à cause de la tranquillité qui y régnait (sur la vingtaine d’étudiants à y louer des chambres, nous étions d'ailleurs une majorité à n’être pas catholiques). Je me souviens simplement du cafard du dimanche soir. Mon père me ramenait, et il fallait rattraper le temps du week-end que j’avais consacré à l’écriture et au téléphone, pour les raisons les plus humaines qui soient. Je me souviens d’une fois où je suis rentré directement depuis la gare où je venais de quitter Ch. Je me souviens qu’il pleuvait sur les carreaux, que la nuit avait mis longtemps à descendre, que le sol était glacé mais que, les genoux repliés sur ma poitrine en position défensive, ce contact froid sur ma joue humide avait quelque chose de macabre et d’apaisant à la fois. A cause de ces moments-là, je préférais ne pas multiplier les séparations. Au bout de quelques mois, j’avais repris une vie quasiment normale, où les lettres et le téléphone me permettaient de maintenir un équilibre affectif fragile mais suffisant.

La dernière raison était purement matérielle : j’étais bien trop fier pour demander à mes parents de me payer le billet de train. Et ce que je mettais de côté ne m’aurait pas permis de visiter ma dulcinée beaucoup plus souvent.

Ce furent trois années curieuses. Il y avait, au bout, l’espoir de se retrouver, de se marier, d’avoir une maison à nous. Un espoir qui avait fini par devenir une habitude plus qu’une force motrice, un peu comme certains pratiquants vont à la messe par habitude plus que par foi. Et puis, la distance change les gens, voilà tout. On change au contact de ceux qu’on côtoie, et quand on cesse de fréquenter les mêmes personnes, on change l’un de l’autre. On en a vu de belles, et je ne peux pas reprocher à Ch. d’avoir cherché des moyens d’apaiser un manque affectif j’étais bien incapable de combler, quand je ne l’aggravais pas carrément par la distance que je prenais vis-à-vis d’elle à certains moments. Je ne lui en veux pas, pour son histoire. Moi, j’avais mon boulot, mon tempérament solitaire, et je ne voyais tout simplement aucune fille (le fait d’être en prépa et de crécher dans un monastère me facilitait la tâche, il faut bien le reconnaître). Elle, elle avait besoin qu’on prenne soin d’elle. Je ne dirai pas que « les femmes sont ainsi », parce que, même si les exemples proches que j’ai semblent le prouver, je sais bien que c’est aussi parce que « les hommes sont comme ça ». J’étais loin, je la délaissais pendant mes périodes de repli sur moi-même ; un autre était proche et l’écoutait, lui. Je n’ai fait que moissonner le grain que j’avais semé. Quant au salaud qui l’a tannée jusqu’à ce qu’elle cède, et qui savait parfaitement que la place était prise, comment lui en voudrais-je ? Il faudrait pour cela que j’oublie qu’un jour, j’ai fait la connaissance d’une belle italienne qui avait elle aussi un petit ami au pays...

La plus grave conséquence de ce déménagement, qui a sans doute beaucoup contribué à amener la rupture, était que j’étais redevenu un être en mouvement, balancé de ville en ville au gré des études. Et cette fille qui s’attachait encore à moi, qui n’étudiait qu’à une heure du pays où elle était née, qui y passera probablement toute sa vie, par sa staticité, ne correspondait plus à l’enfant trimballé ici et là que j’étais de nouveau. Mais je n’ai pas voulu, je n’ai pas voulu partir, je n’ai pas voulu redevenir un errant. J’étais bien avec elle, j’étais bien là-bas. Je jure devant tout ce qui compte encore pour moi, même si c’est peu de choses, je jure que je n’ai jamais voulu quitter cette vie, que j’aimais cette vie, ce pays, cette fille, de tout mon coeur. Je suis parti contre mon gré, et j’ai changé parce que je n’avais tout simplement pas le choix. Je te le jure. Je me le jure.

Parfois, je regrette d’avoir quitté Ch. Même si je sais que ce n’était pas une option, je regrette que l’adulte que je suis devenu ait trahi l’enfant que j’étais. Si j’avais pu, enfant, aimant Ch. comme on aime une personne quand on n’a rien au monde qu’elle, me voir plus vieux, me voir la quittant, combien aurais-je haï cet homme-là ! Et il m’arrive de me sentir coupable, vis à vis du moi passé, vis à vis du gamin qui mettait dans ses croyances toute la force de sa naïveté, au gamin qui croyait en l’amour, en la femme, en la vie. Je me sens, vis à vis de ce Barjac enfant comme un adulte qui raconte des bobards, invente des histoires, fait semblant de croire mais au fond ne croit plus. Je suis toujours frappé par la confiance qu’ont les adultes dans les enfants. Qu’ils aiment venir boire à la source intarissable de leur babillage, qu’ils aiment jouer, et comme ils rient des histoires qu’ils racontent, qu’ils se racontent ! Car un adulte qui joue avec un enfant, c’est un adulte qui joue avec l’enfant qu’il a été. Moi, l’enfant que j’ai été, j’ai parfois l’impression de l’avoir trahir. Sans doute, lorsqu’on est père, on doit éprouver ce genre de culpabilité, culpabilité de celui qui sait qu’il ment, même s’il ment pour préserver une innocence, une naïveté, une ignorance, qui font la force et la beauté de l’enfance ; qui sait que tout ça, les princes, les princesses, les papas qui aiment les mamans, les mamans qui aiment les papas, les petites graines qui font des choux-fleurs et des roses, tout ça c’est du vent, du carton pâte, du décor. Je m’en veux un peu d’être devenu adulte, d’appartenir à ce monde en toc, de n’être pas resté fidèle à mes engagements d’enfant. Mais le pouvais-je seulement ? Pouvais-je seulement continuer d’aimer Ch. alors que j’étais redevenu un itinérant ? Pouvais-je seulement retourner m’enfermer dans ma Bretagne d'antan alors que j’avais vu combien le monde est grand, et comment chaque frontière en cache toujours une autre, appelle à continuer plus loin, toujours plus loin ?

Je me souviens encore de la fois où elle est venue chez moi, en banlieue parisienne. C’était en février. C’était la dernière fois que l’on se voyait, et on passa de bons moments. Le regain de vigueur des malades condamnés, juste avant la fin. Nous avions été au marché, un maraîcher nous avait fait un prix « pour la demoiselle », le caviste du supermarché nous avait retenus, charmé par son pull aux manches qui s’ouvraient à la manière d’une fleur d’arum, nous avions mangé chinois, étions allés voir un film au cinéma, nous avions passé le reste du temps au lit, à rire dans la tiédeur des draps, à apprécier la douceur désormais familière de nos corps enlacés, et ce, sans le savoir, pour la dernière fois.

La vie est une chose étrange. Un carton dans lequel on jette tant de rires, tant de larmes, et qu’on retrouve dans le grenier de notre mémoire, surpris que, sous la couche de poussière qu’on efface du revers de la main, les couleurs aient conservé leur fraîcheur originelle. Dans ces moments-là, vous savez, je crois qu’elle me manque.

Ecrit par Barjac, le Vendredi 4 Juin 2004, 12:36.
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Commentaires
Le 04/06/04 à 20:37
barjac, juste une trace de mon passage pour te remercier de ton texte qui allie émotion et réflexion. Je le trouve très abouti et en même temps plein de fraicheur. Alliage difficile à réaliser. Chapeau ;-)
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