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Petit volume sur une grande surface
   Il est des eaux où l’on flotte, perdu entre le ciel et l’onde, et d’autres où l’on se noie.    Il est des eaux où volètent, immobiles, fascinantes, des libellules bleues au reflets électriques, et d’autres où seuls dépassent les yeux faussement endormis des alligators.    Il est des eaux claires, où les truites arc-en-ciel se donnent en ballet, jaillissent dans l’air, arquent leur dos avec grâce devant le miroir de la surface, telles des danseuses en répétition, puis replongent en saluant d’un claquement de queue, et d’autres troubles, qui charrient un limon brunâtre où l’on distingue parfois le pelage maigre d’une bête crevée.    Il est des eaux où l’on flotte, perdu entre le ciel et l’onde, et d’autres où l’on se noie.

Hier, mon père et moi avons été, pour le second week-end consécutif, nous baigner au lac d’Esparon. Le lac est un de ces multiples lacs artificiels adossés aux barrages construits sur le Verdon. L’eau y était d’une fraîcheur contrastant agréablement avec la chaleur ambiante (trente degrés au thermomètre). Cependant, peu de gens s’y baignaient, les provençaux étant plus frileux que nous autres bretons. J’appréciai un moment d’absence, flottant sur le dos, coupé du monde, n’ayant plus pour seul horizon visuel que le bleu du ciel, pour seul horizon auditif que le murmure diffus du monde sous-marin à mes oreilles immergées. Sensation de légèreté, de liberté, d’espace.

En rentrant, après le bain d’eau, ce fut un bain de foule que nous allâmes prendre dans un grand centre commercial, avec pour mission de pourvoir au remplacement de certaines denrées essentielles telles que le chocolat en poudre pour le petit déjeuner. Sensation cette fois d’étouffement. Des centaines de voitures parquées sous le soleil à perte de vue, des milliers d’êtres humains se déplaçant en flots convergents. Horreur d’un samedi après midi au supermarché. Je suis saisi par l’inhumanité de ce mouvement de foule, toutes ces individualités mues par un besoin commun, l’impression de mettre la main dans une fourmilière et de la regarder, les yeux emplis d’horreur, se couvrir d’une myriade d’insectes tous absolument identiques. Je hais ces temples du commerce, où l’individu n’est plus qu’une fourmi, un humain, soudain dépourvu de toute son originalité, un être généralisé réduit aux simples caractéristiques communes à son espèce. Asphyxie dans ce lieu grouillant de milliers de créatures semblables, hommes et femmes venus ici accomplir la même tâche, répondant à un besoin identique n’impliquant aucune volonté, aucune particularité. L’homme qui fait ses emplettes devient aussi anonyme que l’argent avec lequel il achète ses biens.

Tous ces gens, et brusquement une prise de conscience douloureuse face au nombre. Que sommes-nous, sinon une immense fourmilière, et je ne peux plus, devant cet étalement d’inhumaine humanité, qu’assimiler l’individu à son voisin, comme une fourmi n’est jamais à mes yeux qu’une fourmi, jamais cette fourmi particulière, unique, différente de toute autre. Horreur de réaliser combien la masse nie l’individu, lui ôte toute singularité. Terreur de cette mise en abyme, de me voir, placé entre deux miroirs parallèles, me décliner à l’infini. Partie du tout, je ne suis plus rien. Mes pensées, ma différence, sont gommées au profit de l’essentiel, du commun, du général. Foule humaine, flots de bras, de jambes, de visages se répandant comme les vomissures d’un Prométhée pris de nausées face à son oeuvre. Mains fouillant dans les bacs, enfants ajoutant au désordre leurs courses anarchiques, cohortes d’insectes affamés exultant sur leur tas de légumes en décomposition, et partout la tension sous-jacente entre les couples, entre les parents et leur progéniture, entre les familles, entre tous ces individus que leur négation rend agressifs ; chacun est pressé, pressé de sortir de cette marée humaine, de cette odeur de friture et de sueurs mêlées, pressé d’échapper à ce bain corrosif qui dissout l’identité.

Foule dérangeante, mais aussi démocratie répugnante, vrai visage de la société telle qu’on ne la voit pas au quotidien, tant on est cloisonné dans son milieu. Et c’est à mon tour d’être pris de nausée, de nausée face à ce peuple dont l’idée m’est pourtant chère. Mon immense mépris du vulgaire, dans les deux sens du terme, me fait me détourner de ces hommes, mes semblables pourtant. Hommes gras suant jusque dans leurs moustaches, femmes fatiguées à la peau brûlée criant sur leurs teignes d’enfants, et je titube, hagard, écoeuré, entre les rayons où la marchandise renvoie le reflet du consommateur : objets identiques, alignés dans des quantités effrayantes. Vulgarité, de ces gens qui parlent fort, qui arborent les couleurs de leur équipe de football favorite, qui mettent dans leur chariot le disque de la Star Academy du moment, mais en même temps, pitié, pitié pour ces mêmes gens dont le comportement est dicté par les lois de la consommation, par les médias, et qui n’ont pas le recul pour maintenir leur unicité, leur esprit critique. Pitié pour ces gens qui n’ont pas les moyens de se définir par eux-mêmes, et qui laissent le merchandising le faire à leur place. Identification facile orchestrée par la publicité, identification avec les bleus victorieux, identification avec cette jeunesse naïve de la télé-réalité, besoin de s’accrocher à une identité qui fait défaut, et qu’ils sont trop heureux de trouver toute prête à servir dans les bacs. Envie de leur hurler d’être eux-mêmes, de ne pas être le français moyen, de ne pas être une majorité partageant un seul et unique visage, de se démarquer. Etre créatif ou ne pas être ; on est soit l’un, soit l’autre.

Pitié, mais aussi, je ne puis le nier, mépris. Mépris pour ces hommes et ces femmes qui parlent comme les chiens aboient, qui prononcent le ‘a’ comme si c’était un ‘o’ ouvert : « ’chais pô où qu’c’est », mépris pour la base de la pyramide qui n’a probablement pas la moindre idée de ce à quoi ressemblent les coquelicots de Monet, les chênes de Malraux. Et du mépris, je retombe dans la pitié. Je ne peux pas haïr ces gens. Je peux ne pas les aimer, mais je ne peux pas les haïr parce qu’au fond, ils sont les plus malheureux, de rater toutes ces choses. Sans doute, ils n’en seront jamais conscients, et cette ignorance leur apportera le bonheur, mais de savoir pour eux, cela me fait de la peine. Je regarde le fils, plein de sève et je vois déjà le père, gras, grossier, l’oeil morne. Je regard la fille, sautillante comme une abeille au printemps, et je vois déjà la mère, blondeur oxygénée et poches sous les yeux. Je regarde ces enfants, garçons et filles, qui sont les graines de plantes qui pourraient devenir des arbres majestueux et des fleurs aux parfums estivaux, si simplement il y avait quelqu’un pour les arroser. Et je me perds, de ne savoir qui tenir responsable de tout cela. Pourquoi certaines plantes poussent belles et vertes, et pourquoi d’autres jaunissent, se fanent avant d’avoir vingt ans ? J’ai envie de tourner le dos, de dire que je m’en fous, mais ce n’est pas vrai. Je ne m’en fous pas. Je voudrais que ces garçons deviennent le footballeur qu’ils admirent, que ces filles deviennent la Britney qui les fascine, puisque ce sont là leurs rêves, et tant pis pour Monet. Je voudrais qu’ils aient au moins une chance. Mais non, laissons-les dormir, ils ne savent pas, et c’est bien leur seule fortune.

Mais déjà, j’oublie ces considérations sociales, et je replonge dans la masse. Un homme plus un homme plus un homme plus un homme... Toujours la même main qui prend, retourne, tâte, évalue, transfère vers le chariot après l’examen, sitôt remplacée par la suivante. Immense file de caddies aux caisses, bonjour mécanique des caissiers. Il y eut l’ère du travail à la chaîne, bienvenue dans celle de la consommation à la chaîne.

Nous sommes ici aux antipodes de l’art, aussi loin de l’amour que l’on peut l’être. Les comportements se calquent sur les besoins, s’identifient, épousent le moule du consommateur ; tout acte créatif est impossible, impensable. Des filles, des femmes, à ne plus savoir où donner des yeux, de jolies, de moins belles, de jeunes, de vieilles, entassées, faisant brusquement ressurgir de ma mémoire mon premier contact avec la nudité féminine, tiré d’un livre d’histoire : femmes nues par dizaines dans la cour d’un camp nazi, visages hagards aux yeux vidés par l’absurdité d’une horreur qui n’a plus de sens. Malaise.

Le nombre nie l’amour parce qu’il nie l’individualité. J’ai envie d’arrêter une hôtesse, de lui demander où je peux acheter un sourire, pour le lui offrir, à elle ou à une autre, qu’importe ; juste un sourire, un regard qui vienne mettre son grain de sable dans les rouages de cette machine commerciale trop bien huilée où défile le produit humain, réduit à un numéro de carte bancaire. Le produit, le produit n’est pas dans les rayons, n’est pas dans les caddies, ouvrez les yeux ! Il est là, entre les rayons, derrière les caddies, vrai résultat de la production de masse. Je me sens défaillir ; je me raccroche à cet article du magazine Epok de la Fnac, Perry Blake, l’irlandais qui habite au bord d’un lac, loin de tout. Arrêter une hôtesse, lui demander où je peux trouver une bombe d’humanicide.

J’ai envie de leur crier de courir, qu’ils ne se rendent pas compte qu’ici c’est le néant, que cette porte automatique est une gueule qui s’ouvre béante, pour les avaler, les uns après les autres. Un instant, je me demande quel objet j’achèterais, si je devais en acheter un. Laphroaïg, sans doute. Pour foutre le camp d’ici le plus rapidement possible. Ou bien un marteau et un burin, pour briser cette masse homogène, redonner à l’individu ses contours nets.

Je croise un tunisien au regard triste, appuyé à son caddie, l’air perdu. Envie de lui dire de filer, de ne pas rester dans ce magma de chair molle, que dehors il y a des lacs bleus cachés dans les montagnes, où l’on peut se baigner.

Perdu dans mes pensées, je voir surgir, au détour d’un rayon, une fille en robe légère, marchant sur la pointe de ses pieds nus, si délicatement qu’on la croirait voler. Sa robe est d’une blancheur douce de satin ; les manches s’ouvrent en corolles sur ses bras minces de fée, le bas du vêtement dépose sur sa cuisse un ruban de dentelle ciselée, dévoilant des jambes fines. Deux mèches tressées, partant de chaque côté de son front, forment une couronne de cheveux dans l’anneau de laquelle une pâquerette jette sa tâche claire. Je n’ai pas besoin d’en approcher le nez pour savoir qu’il s’agit d’une vraie fleur. La jeune fille n’a pas de panier. Elle passe sans me voir, laissant sur son passage un parfum de lys comme une caresse. Hébété, je la regarde s’éloigner avec une grâce de jeune faon, fasciné par les ailes cristallines aux nervures irisées qui oscillent silencieusement dans son dos. Demoiselle. Au moment de disparaître dans une travée perpendiculaire, elle se retourne et ses yeux rencontrent les miens. Elle a un battement de paupières complice tandis qu’un sourire espiègle illumine son minois rose de chaton, et elle s’évanouit derrière une colonne de conserves. Je retombe brusquement sur mes pieds, me jette à sa poursuite. Dans la travée qu’elle a prise, un couple hésite entre deux boîtes de biscuits, une femme pousse un caddie qui déborde. Nulle trace de la jeune fille. Même déception dans les deux travées suivantes. Dans l’allée principale, corps et chariots s’agglutinent, déversant dans les rayons leur flot ininterrompu, sang épais affluant au rythme des battements de coeur du monstre commercial. Je retourne à mon point de départ, où flotte encore une odeur de linge frais. Je ferme les yeux, inspire une dernière fois cet air pur venu d’ailleurs. Des larmes commencent à poindre à l’orée de mes paupières. On me touche le bras. C’est mon père. « Viens, filons d’ici. »

En sortant à l’air libre, je jette un dernier regard sur ce torrent de vies au tumulte déjà lointain, sur le géant de tôle aux multiples gueules dont les mâchoires voraces s’ouvrent et se referment sans faiblir, engloutissant toujours plus d’hommes et de femmes, suçant leur identité, digérant leur unicité pour ne laisser dans son large estomac qu’une bouillie homogène. Derrière moi, la double porte vitrée s’ouvre, et mon coeur tressaillit. Dans la masse brune, l’éclat brusque d’un clin d’oeil de fée, un pan de robe éblouissant de lumière blanche, disparu aussitôt. Illusion née d’un reflet du soleil bas sur le rebord métallique d’un chariot. Le coeur malade, je m’enfuis.

Ecrit par Barjac, le Dimanche 6 Juin 2004, 14:22.
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Commentaires
nimantic -
Le 08/06/04 à 11:57
salut Barjac
je suis tres surprise du ton que tu donnes au texte, comment un événement déclencheur parvient à ébranler le quotidien, cela est émouvant, tout est tant fait d'illusion, un instant le coeur s'accroche à ce qu'il identifie à une émotion possible, touche de couleur pure, pas encore melangée en un gris homogène. Je vois la sortie du Auchan que je connais, et ce que j'en ai retenu de beau, c'est un soir, apres les courses en famille, chariot à la main, les portes s'ouvrent. Le soleil m'éblouit, ses rayons illuminent en couleurs chaudes la facade de tôle blanche de l'immense édifice fait de verre et d'acier. On dirait une plage, entre le mur et le parking, quelques metres ou presque personne ne passe, ou seuls quelques attardés du soir discutent de leur journée sans doute, d'amour fleuri peut-etre ... Une journée d'été touche à sa fin, trente degrés étouffant dans l'odeur des gaz d'échappement, il n'y a pas d'océan pour refléter la chaleur du monde, seulement des voitures qui circulent au pas, et qui toujours jettent un reflet métallique de peinture brillante. Cela y ressemble pourtant pour qui sait le voir. De vie, il n'y en a qu'au fond de nous, et pour que la foule anonyme ne nous l'arrache pas, on la serre contre soi, comme un bijou sans prix qui ne s'achète pas. Je redécouvre le ciel bleu immense, au dessus des actions humaines aux formes industrielles, le contraste est merveilleux.

je t'embrasse

- Annaelle -
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Le 14/06/04 à 20:39
Chère Annaëlle,

Je m'étonne moi aussi de ta verison des choses ! J'avoue ne pas comprendre comment un centre commercial peut apporter la moindre douceur. Tout y semble fait pour l'écoeurement, l'étouffement, tout y est saturé : l'air que les gaz d'échappement rendent irrespirable, où le soleil déverse des flots de lumière trop vive, des seaux de chaleur étouffante, et qu'une clameur constante emplit sans faiblir, l'espace où les corps se pressent et se bousculent, depuis l'entrée jusqu'aux caisses, le volume même puisque la tôle occupe la troisième dimension, bouchant tout l'horizon. Où que mes sens se portent, tout est saturé. Je ne peux, dans cet aquarium là, que me noyer. L'illusion n'est pas salvatrice ; le chant des sirènes nous attire vers le fond, vers la mort. Il n'y a pas de fée. Tout était rêve, alcool de l'âme, qui nous détache de la réalité. On croit que l'autre train avance, mais c'est le nôtre qui recule. Le monde ne s'efface pas, il ne disparaît pas. C'est nous qui nous effaçons, disparaissons, laissant notre âme monter, portée par les vapeurs de l'opium du moment. Il n'y a pas de fée, c'est cela qui fait mal. Quand le chant des sirènes s'arrête, crois-tu que l'homme soit sauvé, qu'il remonte à la surface pour y retrouver la vie ? Crois-tu vraiment qu'un homme qui a vu de ses yeux vu les sirènes remontera vivre une vie où elles n'existent pas ? Je crois pour ma part que de tristesse il nagera vers le fond, en sa pleine conscience. Il n'y a pas de fées, ni de sirènes ; ni là-haut, ni là en bas. Mais là en bas, au moins, il n'y a rien d'autre non plus, et surtout pas le désespoir de savoir qu'elles ne sont qu'un mythe.

Barjac
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