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La jolie stagiaire est revenue. J’ai pris du retard pour le café, j’y suis allé avec Romain. On n’a pas fait le détour salutations. Je suis allé me laver les mains, ensuite. En revenant, je l’ai croisée dans le couloir. On a échangé un sourire de connivence, comme deux jeunes gens qui savent qu’ils n’appartiennent pas à ce monde de l’entreprise. Pas encore. Et cela nous confère, implicitement, une certaine complicité. J’ai mélangé un « bonjour » à mon sourire ; elle a répondu « salut ». J’ai fait trois mètres, je me suis senti vieux. Demain, je dirai « salut ».

Je l’ai trouvée moins jolie. Humaine. Toujours de jolis yeux, toujours un sourire agréable. Mais je n’ai peut-être pas dit « bonjour » par hasard. Ca m’est venu comme ça, certes. Mais ne serait-ce pas justement à cause de la distance que cela mettait entre les sourires, de la vitre invisible mais bien présente entre elle et moi : je te vois, tu me vois, mais si tu tends la main, tu verras que tu ne peux pas me toucher, que je ne peux pas te toucher. Tout ça c’est du relationnel de circonstance. Un bonjour de collègue. Une couche de peinture sociale derrière laquelle on cache l’autre moi. Le plus dur à neutraliser, c’est le regard : tirer le coeur de toutes nos forces vers le côté gauche, le cacher derrière un pilier-oesophage, une côte, un renfoncement orbital, afin qu’elle ne puisse l’apercevoir, à travers les miroirs sans tain des yeux, grand ouverts sur le dedans. Nous sommes des édifices humains dans les caves desquelles se terrent nos vrais moi, pétrifiés par la crainte de cet autre, qui est en même temps notre plus grand désir. Loin des immeubles. Si l’on pouvait, une nuit, laisser nos armures du jour endormies, nous échapper nus et nous voir réunis à l’état animal, à l’état d’enfants, loin de cette pudeur, de cette appréhension, de cette estimation de ce que pense/voit/sait l’autre de nous. Comme les enfants se reconnaissent en tant que membres du même peuple des Petits Etres Roses et Potelés.

Demain, je lui dirai « bonjour », bien sûr. En cachant soigneusement, derrière un décor, un théâtre, une ville, l’autre moi, celui des collines et du vent, celui qui ne sait pas bien, qui ne sait plus trop, mais qui vous trouve si jolie, mademoiselle ! Bien sûr, là-bas, dans les herbes, sous les arbres qui levaient leurs bras faméliques dans le ciel gris et lourd, c’était facile. On était seuls, et j’étais le roi de cette jungle. Le ciel avait la couleur de mes yeux, les herbes sèches celle de mes cheveux, et les branches mortes des chênes n’auraient pas mieux rempli mon T-shirt.

Mais non, dans le monde de l’entreprise, la moquette est bleue, les bureaux sont bleus, groupés par quatre, se tournant le dos, en motifs répétés ; les chaises sont du même bleu, seuls les PC offrent une alternative de couleur : gris uniforme. Les chemises sont à carreaux, petits ou grands, les jeans sont du même bleu que la moquette, et les chaussures de ville rappellent à ceux qui arriveraient endormis que le rêve est fini. Ici, on gagne son pain. Ici, on perd son temps. Question de point de vue. J’ai eu Fred au téléphone ; il a commencé à bosser. Paumé tout seul du côté de Niort, petit appart, et toujours la même toile à laquelle on se raccroche pour ne pas tomber, sans réaliser que c’est la toile qui nous attrape, non l’inverse, et que l’araignée, tapie dans l’ombre, nous regarde de son oeil calme et froid. Fred était content de son salaire. Content ? Il essaie de s’en convaincre, le pauvre. PC, appareil photo numérique, ADSL, fringues de luxe. Deux jours par semaine pour vivre, avec la fatigue sur les épaules et, parce que ce foutu monde n’offre plus aucun autre moyen de rêver, il faut acheter, dépenser, accumuler tous ces objets dont on n’a pas le temps de profiter. Se donner, à travers la possession, l’illusion de vivre.

J’ai touché, moi aussi, ma paie du mois. La première depuis longtemps. Je suis riche. Mon compte qui n’a jamais dépassé qu’avec beaucoup de mal le seuil des 500 francs compte aujourd’hui 1000 euros. Alors le réflexe catalogue ; tout m’appartient potentiellement, je me noie. J’essaie, du mieux que je peux, de créer un désir. Alors, qu’est-ce qu’il me manque ? Mais, c’est comme chaque anniversaire, chaque Noël. Je n’ai besoin de rien. Je n’ai aucune envie. Mon bonheur tient dans un paquet de cigarettes, un bon bouquin, une promenade, la silhouette d’une jolie fille. C’est une composante importante de mon bonheur d’être fait de petites choses, de banalités, de détails. Savoir apprécier les choses, surtout les petites. Le reste, ce ne sont que des cartons, des cartons, des cartons, pleins de toute la haute-technologie que l’on voudra pour inonder les jeunes couples, les noyer dans le plaisir illusoire de la propriété, détourner leur attention de leur condition de jeunes travailleurs. Ce n’est pas le besoin qui pousse au travail, mais le travail qui pousse au besoin. Sans besoin, c’est l’absurdité de mon travail qui est révélée. Donc j’ai besoin de ce besoin, comme garant de ma stabilité, comme justification de mon quotidien, d’où tous ces « besoins » que l’on accepte de laisser les commerciaux inventer pour nous, tous ces inutiles d’autrefois aujourd’hui devenus indispensables.

Je n’arrive pas à piger pourquoi. Pourquoi il n’y a plus que cela, dans nos sociétés. Des centres commerciaux comme au Moyen-Age les églises. Simplement pour pour justifier ces 30 à 50 heures par semaine passées dans un grand carton tapissé de moquette bleue, justifier cet argent qu’on nous donne en échange de notre temps, de notre énergie, de notre potentiel créatif ? Le plus absurde étant qu’au final, notre boulot sert à fabriquer ce qu’on achète de l’autre côté.

Il est pourtant un besoin qui subsiste, et sur lequel se basent l’essentiel des nouvelles technologies : téléphones mobiles, Internet avec ou sans fil, appareil photo numérique... Tout cela n’exprime pas autre chose que le besoin de l’autre. Téléphones mobiles pour rester joignable n’importe où : le contact humain est si rare, si précieux, qu’il ne faudrait pour rien au monde le rater, aussi je tiens à pouvoir être contacté (ou à contacter, cela revient au même) en tout endroit, à toute heure du jour. Internet, utilisation équivalente : échanger avec tous ces hommes et toutes ces femmes que je ne vois pas mes carences et mes trop-pleins affectifs ; besoin de recevoir, besoin de donner. Appareil photo numérique : pouvoir mettre sur Internet ma vision du monde, leur dire : regardez, j’étais ici, j’ai vu cela, je l’ai vu de telle manière ; pour les authentiques, et pour les autres : regarde, ça c’est moi avec trois nanas, on avait bien accroché, tellement bien que tu les reverras sans doute jamais, mais il faut faire semblant, faire comme à la télé, jouer les Bachelor et les Marjolaine. La télé-réalité elle-même n’est que le reflet de ce manque de l’autre. Mettez dans un aquarium dix beaux crapauds mâle et un beau crapaud femelle (ou l’inverse) et observez ce qu’il se passe. On essaie, dans le champ des caméras, de mettre en scène les attractions naturelles qui nous poussent, garçons et filles, à aller les uns vers les autres. Mais, nous ne sommes pas des crapauds. Les crapauds, tant qu’ils se sentiront observés, ne bougeront pas. Puis, lorsqu’ils se seront habitués au regard extérieur, ils cesseront d’en être conscient, et retrouveront leur comportement naturel. Les hommes sont incapables, il faut croire, de fournir à la caméra quoi que ce soit d’authentique, qu’il s’agisse de dire non par pudeur, ou de dire oui par nature.

Je suis tombé sur Marjolaine, l’autre soir. J’ai regardé cinq minutes ; c’est le plus que j’ai pu supporter. Et d’éteindre la télé en me demandant si je devais en rire ou en pleurer. Rire de la niaiserie des participants, de leur arrogance, de la bêtise de ceux qui vivent par procuration à travers les plus minables ectoplasmes qu’on a pu leur procurer ? Mais le cynisme est toujours aisé. Et qui serais-je, moi, pour ricaner de ces gens ? Serait-ce que je vaux tellement mieux ? J’en doute. Maudire la télé, alors ? Mais la télé est démocratique, au moins dans la mesure ou tout foyer représente un pouvoir d’achat. Alors, si la majorité de mes contemporains trouvent leur compte dans de telles émissions, c’est moi qui suis marginal et, par conséquent, ai tort (toujours démocratiquement parlant). Dans ce cas-là, oui, pleurer sans trop savoir si c’est par pitié pour eux ou par désespoir pour moi. N’y a-t-il plus rien de vrai, d’authentique, ici bas ?

Arrêtons-là. Il est temps d’aller, dans la nuit, fumer ma dernière cigarette (du paquet). Ecouter la ville qui s’endort, sentir l’odeur de l’herbe brûlée, de la terre tiède, repenser sans doute à Ch., un peu ; angoisser, beaucoup (mais c’est une seconde nature), quant à un avenir qui me paraît bien sombre, tant pour moi que pour l’homme occidental.

Bonne nuit à tous et à toutes.

Ecrit par Barjac, le Mardi 20 Juillet 2004, 06:05.
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