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En vrac.
Weezer dand les oreilles. Il fait drôlement mal, ce film. Je veux dire, celui avec Sandrine Bonnaire (doutes sur l’orthographe) et ce type qui a une gueule excellente, cette escapade amoureuse en vol d’Icare : monter, monter, léger, se brûler les ailes, réaliser qu’on va tomber, qu’il y a la mer là en bas, tout en bas. Scènes étrangement familières. Des quais de gare, j’en ai connu. Des voitures où l’on se disait qu’il n’y aurait pas la place, et où il y en a toujours trop. Des cigarettes, pour nous accompagner dans la solitude qu’on ne quitte jamais vraiment — la douleur nous y confine inévitablement, et souffrir à deux n’y change rien.
J’ai fumé la dernière hier soir ; j’ai préféré ne pas en racheter, et c’est ce soir que j’en ai besoin, que l’estomac mnésique recrache un combien trop copieux repas d’images fortes, de souvenirs des meilleurs crus. Mais ce film m’a foutu le coeur en vrac. Trop vrai, trop semblable. L’envicieuse de monter dans la voiture, de gagner l’autoroute, de coller la pédale au plancher, de lâcher le volant. Pour voir, Icare. Je n’ai pas envie de tout écrire. Que comprendrez-vous vraiment, de tout ça ? Vous n’avez pas observé le gris du jour monter derrière la vitre, avec l’impression de regarder à travers des yeux derrière les yeux, tant la fatigue est grande, serré contre vous sa tête brune, regardé le long de ses cheveux rouler une perle saline, réprimé l’envie de tout lâcher, de tout laisser pisser par chaque trou du visage, de céder à la panique. Vous n’avez pas remonté la couverture sur ses épaules, enfoui le nez dans ses mèches sombres, inspiré l’odeur de parfum mêlée à celle de la nuit, tiède, moite. Vous ne savez pas comme il est dur de desserrer les dents pour poser encore un baiser, de desserrer le poing pour poser encore une caresse, sur sa joue endormie, sans la réveiller parce que tant qu’elle dort, ça va pour elle. Vous ne savez pas comme j’en ai voulu à la providence, combien de fois j’ai hurlé à Dieu qu’il descendrait se battre s’il était un homme. Vous ne comprendrez pas, et je vis avec ça, avec sous la peau ces habits des lendemains d’amour, ces habits qui puent le tigre, qui collent à la peau, et qu’est-ce que ça peut bien me faire. Vous ne comprendrez pas, deux zombies sur un quai de gare, et juste, juste, juste une main sous ton T-shirt, pour sentir encore cette douceur, cette chaleur, sentir que c’est dans une minute, mais qu’il reste encore tout plein de secondes dans celle-ci. Il faut toujours gris un jour de départ ; c’est un lendemain de cuite comme on n’arrivera jamais en prendre seul. Oh non, vous ne l’avez pas serrée dans vos bras, Place du Mort, bu dans la lumière des lampadaires la blancheur orangée de sa peau, remonté le long de sa cuisse, failli pleurer parce qu’elle n’a rien dit, mordu sa lèvre pour ne pas mordre la vôtre, parce qu’elle n’a pas dit non, parce qu’elle s’est accrochée un peu plus, alors quand le jour se lève et qu’elle dort, juste là, on a un peu envie de partir sans la réveiller, pour qu’elle puisse croire qu’elle a rêvé. On oublie, les rêves. Et putain, oui, crier que j’aurais préféré que ce soit un rêve, un film, n’importe quoi mais pas la vie, pas ma vie. Ne pas vivre avec tout ça, ce grand merdier où tout se mélange, l’amour, l’enfance, les départs, les retrouvailles, la mort. Et mille cigarettes dans un aéroport hagard, devant un tout petit café dans une petite tasse quand on aurait besoin d’un grand whisky dans une bouteille immense, mille cigarettes et les yeux dans le vague, sourire à l’hôtesse inquiète qui vous demande si ça va et répondre que tout va bien, tout va très bien, parlez à mon ombre s’il vous plaît. Se noyer dans la fumée, maintenir le plus longtemps possible le souvenir des derniers instants, ce qui n’est pas bien compliqué quand on a oublié de dormir. C’est amusant, ma vie amoureuse semble n’avoir jamais été faite que de départs. Que j’aime pleinement et je peux être certain que la gare ou l’aéroport ne sont pas loin. C’était le cas avec Ch. : à peine s’est on aimés qu’il nous a fallu nous séparer pour les grandes vacances. Puis bien des trains, bien des mois, ont passé, qui semblaient ne devoir commencer et finir que dans les gares. Ce fut le cas avec Pti Lu que j’ai rencontrée dans une gare, quittée dans une gare, et entre les deux ce ne furent que des gares de RER et de train. Ce fut le cas avec Chiara, avec qui je suis sorti la veille de son retour en Italie. « Et nom de Dieu, c’est triste Orly le dimanche. » Ils me font rire ceux qui me racontent que l’amour est beau, qu’il faut foncer. Allez raconter ça aux types qui sont allés prendre un bain de minuit sous le pont de l’Alma, bonne nuit Monsieur le Zouave. Je ne veux pas aimer, je ne veux plus aimer, je ne veux plus jamais de ces histoires-là, de ces aéroports, de ces quais de gare, de toute cette absurdité. Le reste me manquera un peu — comment pourrait-il en être autrement ? — mais je ne veux plus mettre le pied dans une gare, dans un aéroport autrement que seul, absolument seul. Dites-moi idiot, et je vous demanderai à quoi ressemblent, dans votre souvenir, les larmes de Ch. sur le quai de la gare de Rennes, et sur le quai de Saint-Lazare, et sur celui de la gare Saint-Charles, et sur le quai de la gare d’Aix, sur le quai de la gare d’Angers, sur le quai de la gare de Rennes à nouveau, et à nouveau encore. Dites-moi pourquoi on se retourne toujours, quand on quitte ce genre de gare, juste un mouvement d’épaule, avant que la clope ne tombe, et qu’il faille se cacher le visage dans le pli du bras, qui sent encore son parfum, mais qui n’a pas sa douceur, s’accrocher au premier réverbère, non pas parce qu’on risquerait de tomber : Ulysse entendait les sirènes ; on s’accroche au mat pour ne pas faire demi-tour, ne pas courir après le train, courir jusqu’à l’autre bout de la France s’il le faut. Je vais vous dire deux choses. La première, c’est que personne ne remplacera jamais Ch. Je suis uni à elle à jamais, non par l’amour, mais par la souffrance. Quand on est uni à quelqu’un par l’amour, on peut s’en sortir en remplaçant cet amour par un autre amour tout aussi agréable. Mais on ne remplace pas une souffrance par une autre, surtout si elle devait lui ressembler. Si un jour je croise une fille qui ressemble à Ch., j’espère que j’aurai le courage de repenser au train, et de m’enfuir, aussi loin que possible. A midi, ils parlaient des enfants — ils en attendent tous un pour la fin de l’année, ce doit être l’âge. A midi, comme ils parlaient des enfants, ils m’ont dit que j’avais le temps, et m’ont demandé mon âge. Alors oui, le temps, quoique vous savez parfois. J’ai écouté le vent, j’espérais qu’il m’apporterait des nouvelles. On en avait voulu, et on n’avait pas vingt ans. Mais on se connaissait depuis plus longtemps que vous, vous savez. Au fond, là, tout au fond, je crois que j’aurais aimé que ce soit elle. Pouvoir raconter à ces enfants-là comment c’était, quand on était même pas majeurs, et après, en rentrant du cinéma, les baisers dans la voiture. Et surtout, pouvoir chaque jour retrouver dans ses yeux ces moments-là, et ceux des départs, et savoir qu’on a bien fait d’endurer tout ça. On n’avait pas vraiment le choix, c’est vrai. On ne quitte pas quelqu’un qu’on aime, même si ça fait mal. Et puis se dire, chaque nuit, que la fille qu’on serre dans ses bras, c’est la même que celle qu’on a serré dans ces bras-là la première nuit, et puis telle autre après le feu d’artifice, et puis telle autre encore dans le camping-car des parents de mon pote, et puis encore telle autre, et telle autre, et toutes ces nuits totalement irréelles, ces mille et une nuits d’un conte que je narre comme ces hommes ivres vous racontent leur histoire, et l’on ne sait plus bien ce qui est souvenir et ce qui est alcool. Bientôt, si ce n’est pas déjà le cas, elle en aura, des mômes. A cette pensée, j’ai envie de m’enfuir. C’est comme si tout mon passé mourrait, qu’il n’en reste plus rien, un dernier espoir tout petit, mais malgré tout trop grand, qui s’envole ; la dernière tourterelle du pigeonnier. Et, dans le creux de mon coude, je cherche en vain son parfum. Ecrit par Barjac, le Mercredi 21 Juillet 2004, 05:55.
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