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Les tordus du guidon
Parce que c'est la semaine internationale du vélo à la fac, un type en collants m'accoste tandis que je laisse mon destrier aux écuries. Il évoque la gratuité d'un café et me fait signe de l'attendre. Dans le hall d'entrée de la fac, les cyclomanes tiennent un stand. On me remet un coupon qui me donne droit à une boisson chaude aux frais de la princesse, un magazine où (surprise) il est question de bicyclage, et une carte des endroits où on peut rouler sans risque à Birmingham, qui ressemble beaucoup à une carte de Birmingham, sauf qu'il y a des lignes de couleur. A y regarder de plus près, ce ne sont pas vraiment des lignes, mais plutôt des tronçons de cent mètres, reliés entre eux par des pointillés, qui signifient "partie non cyclable" si l'on en croit la légende. Me voilà donc avec une carte qui finalement m'explique que pour me rendre du terrain vague à l'usine, pardon de l'appart à la fac, il me faut prendre mon vélo, faire cent mètres, descendre de selle, marcher cent mètres, remonter sur mon vélo et recommencer cent mètres plus loin. Ajoutez une brasse dans le canal et vous serez prêt pour le prochain triathlon.
Birmingham n'est pas exactement une ville aménagée pour les cyclistes, comme je le fais remarquer au type en combinaison. Ce n'est déjà pas une ville aménagée pour la conduite, avec ses voies doubles qui se croisent, se joignent, se multiplient dans un dangereux chaos, alors pensez ce que ça donne à vélo. Il y a des bouts de piste cyclable, disposés sans aucun sens aux quatre coins de la cité, sans doute en réponse aux complaintes contre le manque de verdure. Il y en a comme ça un morceau en face de la pharmacie, qui s'arrête au beau milieu d'un axe principal du réseau du bus. Vous quittez donc brusquement le confort de la piste cyclable pour vous retrouver à contresens dans une rue où les bus déboulent en continu. Un écureuil prenant un troupeau de mammouths laineux sur l'envers du poil. Je tire ma révérence à l'ingénieur urbaniste qui a dû longuement réfléchir avant de donner le jour à ce coupe-gorge. Une chance qu'ils l'aient collé devant la pharmacie. Mon moustachu en collants (qui me rappelle vaguement Michel Blanc dans Les bronzés font du ski, mais je me mords la langue pour garder l'air absorbé) m'indique que notre conseiller municipal (au cyclisme) est justement là. "Notre" conseiller municipal ? Apparemment, le simple fait d'aller au turbin à bicyclette a suffi à faire de moi un Membre Distingué de la Confrérie du Collant. Coopté avant que j'ai eu le temps de rien dire, voilà qui m'inquiète un peu (en particulier au vu de ce qui va suivre). Il me semble, pour ma part qu'il y a un malentendu. On a vraisemblablement confondu "Barjac" et "Les Frère Jacques". A tort, car ce n'est certainement pas demain la veille qu'on me surprendra vêtu d'une tunique en polyuréthane avec une peau de chamois collée au derrière. Je reste un adepte du cambouis plein le pantalon (c'est moi qui les lave) et de la fesse ankylosée (c'est aussi moi qui les lave, mais ça n'a rien à voir). Je n'ai pas l'occasion de discuter avec "mon" conseiller, qui est en plein débat avec un autre membre de ma toute nouvelle communauté (j'espère qu'ils discutent du tronçon de la pharmacie) mais cela n'a pas d'importance car une chouette nana (une sœur de la congrégation) m'aborde pour me vanter les mérites d'un cadenas ultra-sécurisé en acier trempé renforcé au Viagra. Apparemment, la fac les a achetés (ou la confrérie, je ne sais pas trop) et nous les revend à prix massacrés. Pour le coup, voilà qui m'intéresse. J'ai un tout nouveau vélo, et la ficelle qui me fait office de chaîne ne ferait pas long feu dans les mâchoires d'une pince-monseigneur. Je casse donc la tirelire et repars avec mon cadenas "Alcatraz" qui pèse six kilos, comme ça maintenant j'ai le vélo et les haltères. Plus tard dans la journée, j'essaie d'en apprendre plus sur cette Semaine du Vélo, et tombe sur le London Naked Bike Ride. Apparemment, le week-end dernier, tandis que Venus percutait Jupiter et que le monde devenait fou, des milliers de cyclistes à travers toute la planète ont décidé de protester, en défilant en tenue d'Eve et d'Adam sur leurs vélos, contre (quelque chose mais on n'est pas trop sûr de quoi, la voiture et le pétrole semblent être les termes officiels, ça permet de faire le lien avec l'Irak et le réchauffement climatique qui sont les grands chevaux de bataille du moment). Vous vous demandiez où étaient passés les babacs, pensiez qu'ils s'étaient éteints avec la fin du Vietnam ? Que nenni ! Ils sont toujours parmi nous et se déplacent à bicyclette. Je vous laisse le soin de faire vos recherches, il y a des tas de photos sur la toile (saurez-vous trouver la très jolie fille en patins à roulettes ? :)). Je vous rassure, il semble que l'événement n'ait pas été suivi ici à Birmingham. Non parce qu'il pleut et que le mercure se démotive quand il atteint 15 degrés, mais parce que comme je l'expliquais plus haut, c'est déjà assez dangereux comme ça habillé, alors pensez au naturel (peut-être surtout parce que les gens sont plus terre à terre, et qu'il y a aussi une forte population hindoue et musulmane). Résumons. En moins de 12 heures, je suis devenu membre d'une association qui promeut le vélo et l'exhibitionnisme de masse. Le tableau est clair. L'an prochain, je me fais embobiner par deux ravissantes étudiantes étrangères en tatouages et rastas, fringuées Camden Town, me retrouve à défiler tout nu au milieu de quinquagénaires bedonnants, apparaît en première page du Guardian, et dit adieu à ma carrière d'éminent professeur. PS : Emménager à Londres et acheter des patins à roulettes. Autant sur un coup de chance, ça peut marcher. Ecrit par Barjac, le Jeudi 19 Juin 2008, 00:42.
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