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Sables mouvants
Erky sous un ciel de plomb. Ecouter le murmure incessant des vagues, marcher sur le sable, lentement. Ouvrir les bras pour laisser le vent s'y engouffrer, faire claquer les vêtements, fermer les yeux et se sentir léger. S'emplir de cette odeur d'iode qui rend triste, apprécier la solitude. Regarder, au loin, les crêtes blanches des vagues, jouant à saute-moutons, là-bas, au pied d'un horizon courbé. Passer devant d'immenses maillons de chaînes, couverts de rouille, réaliser combien l'on est petit, sous ce ciel en couvercle de cocotte minute, devant cette infinie étendue d'eau grise, et comme chaque dimanche est une petite mort. Saluer un chien et son maître. Arriver au bout de la plage, s'arrêter au pied des rochers, qui abritent tant de petites mers avec leur population de coquillages, tant de trésors pour les enfants l'été. Se retourner brusquement, au son d'une voix. Et découvrir, en face de soi, des kilomètres de plage absolument déserte, des kilomètres d'eau sauvage. Juste un chant de sirène, mais il n'y a que le vent pour poser sa main sur notre épaule. Alors, sentir une vague sur le point de s'abattre, fouiller fébrilement dans la poche frontale, casser une allumette, en craquer une seconde, laisser la fumée nous envahir, tel un brouillard tiède qui recouvre les peines.
Rester là peut-être une heure, la tête entre les mains, à briser des allumettes. A parler à cette plage, à ce vent. Leur raconter tes yeux noirs, aussi profonds que cette mer, tes cheveux sombres en cascades bouclées. Leur dire quand tu te blottissais dans mes bras, si petite, si belle, fermer les yeux, inspirer, le parfum de tes cheveux et mon coeur en feux d'artifices. T'embrasser sur le front, glisser le long de ta joue, l'infinie douceur de ta peau. Ecarter du bout du nez une de tes mèches brunes, attraper le battement de tes cils dans mon filet à papillons, savoir que dans une seconde tu vas lever les yeux vers moi et sentir mon coeur se serrer. Et, dans un mouvement de paupière, voir le rideau se lever sur mon plus grand bonheur, ma plus douce prison : ton regard grave de petite fille, qui tant de fois me mit à genoux, et dix ans plus tard, me brise encore avec la même violence, comme ces vagues qui viennent se fracasser sur mon rocher, là en bas. Raconter à la mer, et raconter au vent comment, en t'amenant à moi, réaliser combien aimer est une chose sérieuse, te sentir t'agripper à moi, refermer mes bras sur toi, avant la chute. Alors, ayant fait nos adieux au monde, laisser nos lèvres se rencontrer et sauter dans le vide sans parachute. Je ne sais pas ce que tu es devenue, depuis. Moi, j'ai échoué sur ce rocher. Ce même rocher, peut-être ; c'est difficile à dire, ils se ressemblent tous. Cette même plage, pourtant, ou dix ans d'écume n'ont pas suffi à effacer nos empreintes dans le sable. Assis là, avec mon visage d'homme où les premières rides apparaissent, d'avoir tellement trop ri. Et tellement trop pleuré. Bien sûr, tu me manques. Mais ce n'est pas ça. On dit que le vent, parfois, porte les mots d'un coeur à l'autre. Laissant la plage derrière moi, tandis que la nuit tombe, je regarde une dernière fois la mer. Je voudrais courir jusqu'à notre village, ce village qui n'est plus le mien, jusqu'à chez toi, et dans mon rêve, tu ouvrirais ta porte et me rejoindrais sous les étoiles. Comme ce soir, te souviens-tu, après ces longs mois d'absence, je t'avais menti sur la date de mon retour pour te surprendre. Tes parents étaient dans la confidence, tout était arrangé. Tu avais pleuré, tu m'en voulais de t'avoir joué un tour, tu étais heureuse. Là, derrière chez toi, au bord du champ. Allongés dans l'herbe, observant les comètes désormais inutiles ; quel voeu aurions-nous bien pu faire, nous qui avions chacun l'autre, et besoin de rien d'autre ? Je pensais que je finirais par m'écrabouiller quelque part, et puis que je ramasserais mes os, recommencerais à zéro. Après dix ans de chute libre, j'ai fini par revoir ma théorie. On ne se remet pas. On ne repart pas à zéro. On fait semblant, avec plus ou moins de succès. Seulement au détour d'une chanson, d'un parfum, tout ce théâtre de Guignol se fissure, vole en éclats. Je donnerais tout rien que pour un baiser, juste un. Pouvoir encore, toi dans mes bras, retrouver l'intensité de ton regard, cet appel, cet espoir, comme si tu avais vu un ange. J'ai trahi ce regard, et la mer ne manquera jamais de me le rappeler. Bonne nuit, Ch. Ecrit par Barjac, le Dimanche 18 Mai 2008, 23:06.
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