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Ce serait une route.
Ce serait une route, sous le soleil brûlant, traversant la campagne, bordée de part et d’autre, au delà des fossés, de champs de céréales. Nous y marcherions, parmi d’autres promeneurs. Ce serai mai, ou bien juin, ou juillet. Quelques plumes de duvet mettraient leurs tâches blanches sur le drap bleu du ciel, nuages immobiles dans le calme d’un après-midi d’été.

Nous marcherions ainsi, côte à côte, sans échanger un mot, nous tenant par la main, attendant patiemment. Alors, un paysan au loin, interpellerait l’autre, et les bras croisés sur le manche de leurs outils, ils feraient une pause, parleraient des récoltes. Devant nous, la famille à vélo s’arrêterait. La mère emmènerait le petit dans un coin, pour qu’il puisse répondre à un besoin pressant ; le père tirerait de son sac une bouteille d’eau, boirait, puis la passerait à sa fille ; ils marcheraient un peu, à l’ombre d’un marronnier, se pencheraient pour ramasser les bogues encore vertes que le vent aurait jetées à terre. Paysans, occupés de leurs blés, et cyclistes, improvisés herboristes, nous tourneraient le dos ; ce serait le déclic.

Nous nous échapperions, sur un chemin de terre qui se perdrait sur la droite entre deux haies d’herbes hautes, de ronces et de genêts. Nous courrions dans les ornières laissées par les tracteurs, mains jointes par dessus le renflement central, laissant derrière nous les battements saccadé de nos pieds sur la terre poussiéreuse et l’écho de nos rires étouffés. Nous avancerions comme deux fuyards ivres ou bien blessés, tantôt nous bousculant, tantôt nous éloignant, aussitôt ramenés l’un à l’autre par la tension soudaine de nos bras. Notre course serait, dans son étrange maladresse, semblable au hoquet de deux wagons filant sur deux voies parallèles, reliés par une chaîne, se tirant et se freinant alternativement l’un l’autre. Etrange machine que celle de notre couple, où à travers l’étirement de nos bras, nous prendrions physiquement conscience de nos deux libertés, mais qui malgré le travail de sa matière constituante, maintiendrait sa cohésion et son cap. Nous serions deux et un à la fois, semblables à ces ornières accueillant nos pieds, que sans cesse divise une ligne bossue d’herbe, et dont pourtant jamais les tracés ne s’éloignent, qui forment un chemin unique.

Bientôt, dans notre dos, la route aurait disparu, happée par un tournant. Alors, nous serions seuls, arrêterions nos pas, un instant seulement. J’ôterais ma chemise, pour laisser le soleil poser sur ma peau brune sa caresse brûlante ; tes bras nus à mon cou prendraient une douceur de linge frais. Nous soufflerions un peu, le temps de boire, à la source de nos lèvres, un baiser ; puis nous reprendrions notre course interrompue.

Nous serions déjà loin, et nos rires maintenant monteraient dans l’air tiède, se perdant par les champs, y semant leur gaieté jusqu’au plus proche village. A travers la campagne, nos rires sonneraient une messe nouvelle, répondant aux oiseaux et leur pépiement clair, appelant à l’amour les fidèles endormis. Nous serions déjà loin, mais pas encore assez. Sur le petit chemin, bien que peu emprunté, pourrait passer quelqu’un.

Alors nous filerions, sans nous lâcher la main, jusqu’à l’orée du bois, que marquerait un torrent. Là, un pont enjamberait ce dernier, adossé au bois de l’autre côté ; nous nous déchausserions, jetterions nos souliers, par leurs lacets liés, par dessus notre épaule. Un regard alentour pour nous assurer qu’aucun passant ne vienne, et nous descendrions prudemment le long de la berge. Comme nous aurions quitté la route pour le chemin, nous quitterions le chemin pour le torrent, laissant derrière nous, pour de bon cette fois, les voies tracées par l’homme.

Nous longerions l’eau dans le sens du courant, avançant prudemment sur de gros cailloux ronds, tels des funambules sur un fil tendu ; j’aurais replié, jusqu’au haut du mollet, le bas de mon pantalon, tu tiendrais dans ta main la mienne, et dans l’autre ta robe ramassée. Ca et là des rochers viendraient briser le fil cristallin du cours d’eau, soulevant une pluie fine de gouttelettes scintillant dans le soleil comme des perles d’or. Parfois, un banc de petits poissons effleurerait la surface, donnant dans l’onde claire un ballet argenté. Sur l’autre berge, des ronces offriraient des mûres comme des poings. Je jetterai des pierres en travers du ruisseau, pour y passer à gué. Je te ramènerais, en plusieurs voyages, toutes les mûres sauvages que je pourrais cueillir. Nous ferions un festin des baies gorgées de sucre et de soleil, riant de nous voir bientôt les lèvres maquillées de pourpre sombre. Alors, arrachant un brin d’orge, écrasant l’un des fruits sur une pierre plate, tu tremperais la plume dans cette encre sucrée ; tu tracerais ton nom sur mon épaule nue, et j’écrirais le mien sous le creux de ta gorge, juste au-dessus du coeur. Puis, d’un baiser gourmand ou du bout de la langue, chacun effacerait ce qu’il aurait écrit, et je regretterais que ton prénom si doux compte si peu de lettres, que le mien sur ta peau ne dure qu’un centimètre.

Alors, un autre cours, sorti de nulle part, rejoindrait notre guide. L’eau deviendrait profonde, la rive plus abrupte, et nous serions forcés, pour éviter la chute, de nous mouiller les pieds. De l’eau jusqu’au mollets, riant qu’elle fût si froide, nous nous enfoncerions sous le couvert des arbres, pénétrerions dans l’ombre de la voûte feuillue. Nous marcherions doucement, écoutant le ruissellement de la rivière, le raffut des oiseaux dans les branches, et bientôt quitterions ce tronçon de tunnel pour retrouver là-haut le bleu du ciel. Au sortir des arbres, un hêtre dont les racines se perdraient sous l’eau lancerait ses larges branches vers le soleil. Au sommet de la berge, il y aurait dans la bande de végétation dense qui longerait la rivière un interruption, longue de dix mètres à peine. En nous aidant du hêtre, nous nous y hisserions. Là, à perte de vue, s’étendrait le maïs aux épis déjà lourds. Entre le champ et la berge, dans le trou ménagé par la végétation, se trouverait un morceau de pré baigné d’ombre.

Alors, dans ce paradis vert donné par la nature, nous nous reposerions, bercés par le murmure de l’eau, le frémissement des feuilles au-dessus de nos têtes. Je m’allongerais sans doute, et sur mon torse nu tu poserais ta tête. Je fermerais mes bras sur toi, pencherais la tête pour sentir la douceur de tes cheveux sur ma joue. Nous ne ririons plus, un peu inquiets peut-être de nous savoir désormais seuls dans l’arène ; d’entendre, derrière les grilles, notre amour affamé et grognant d’impatience. Je suivrais du bout du nez la ligne de ta gorge, depuis l’oreille jusqu’à l’épaule, déposant un baiser, puis un autre, et puis encore un autre. Quelque part, une pie lancerait son cri rauque.

Ecrit par Barjac, le Vendredi 21 Mai 2004, 21:33.
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Commentaires
Je dis -
Le 13/03/05 à 02:49
Que ce texte est merveilleux et qu'il puise jusqu'au tréfond de l'innocence...  Il me rappel, à la fin, une nouvelle de Maupassant.  Je ne voudrais que vivre de rêves, des vôtres des miens, des leurs, peu m'importe. 
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